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les citations suivantes sont extraites du rapport du sénat

 

4. Une conception extensive du lien de causalité

Les infractions d’homicide involontaire et de blessures involontaires ne sont naturellement constituées que lorsqu’il existe un lien de causalité entre la faute et le dommage. En matière de causalité, deux grandes théories, présentées et soutenues par des juristes allemands, s’opposent traditionnellement. Selon la théorie dite de l’équivalence des conditions (présentée à l’origine par von Buri), tout événement sans lequel le dommage ne se serait pas produit, toute condition sine qua non du dommage, en est la cause. Cette théorie veut que tous les événements qui ont « conditionné » le dommage soient équivalents. Selon la théorie dite de la causalité adéquate ( présentée à l’origine par von Kries et Rümelin), tous les événements qui concourent à la réalisation du dommage ne constituent pas sa cause. Seuls peuvent être retenus comme causes ceux qui devaient normalement produire le préjudice. La jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’homicide involontaire et de blessures involontaires semble largement inspirée par la théorie de l’équivalence des conditions. De nombreux arrêts de la Cour de cassation précisent que les articles 221–6 et 222–19 du code pénal « n’exigent pas, pour leur application, que cette cause soit exclusive, directe ou immédiate »

La Cour de cassation a également estimé que le fait qu’un accident « n’ait été que la cause indirecte et partielle » d’un décès « ne suffit pas à écarter l’existence d’un préjudice direct dont pourrait se prévaloir les ayants droit de la victime »

Dans quelques cas cependant, la Cour a paru se rallier à la théorie de la causalité adéquate. Il en est allé notamment ainsi dans une affaire dans laquelle un cyclomotoriste, tombé de son engin à la suite du comportement dangereux d’un automobiliste en état d’ivresse s’est relevé pour se lancer à la poursuite de l’automobiliste en l’invectivant avant de s’effondrer terrassé par une crise cardiaque.

 

4. La loi du 13 mai 1996 et ses conséquences

En 1995, la commission des Lois a mis en place, à l’initiative de son président, M. Jacques Larché, un groupe de travail présidé par M. Jean-Paul Delevoye, chargé de réfléchir aux moyens de remédier à cet accroissement de la responsabilité pénale des élus locaux. Ce groupe de travail avait étudié de nombreuses pistes pour améliorer la sécurité juridique de l’action publique locale. Ses travaux ont largement inspiré la loi du 13 mai 1996 qui a, pour l’essentiel, modifié l’article 121–3 du code pénal. Celui-ci précise désormais dans son troisième alinéa qu’il y a délit « en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ». Ces dispositions générales, applicables à tous, ont fait l’objet de « déclinaisons » dans le code général des collectivités territoriales, dans les articles spécifiquement consacrés aux élus locaux. Ainsi, les maires ou élus municipaux, les présidents de conseils généraux ou vice-présidents ayant reçu une délégation, les présidents de conseils régionaux ou vice-présidents ayant reçu une délégation ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de l’article 121–3 du code pénal pour des faits non-intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions que s’il est établi qu’ils n’ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie. Il convient de noter que les rédactions retenues dans le code pénal et dans le code général des collectivités territoriales sont légèrement différentes. Le second fait référence aux missions que la loi confie aux élus, contrairement au texte général. Surtout, le texte du code général des collectivités territoriales précise plus clairement que le texte du code pénal qu’il incombe à la partie poursuivante de faire la preuve que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales.

B. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : MIEUX DÉFINIR LES CONTOURS DES INFRACTIONS D’HOMICIDE INVOLONTAIRE ET DE BLESSURES INVOLONTAIRES

Modifier les articles 221-6 et 222-19 du code pénal

Exiger une faute caractérisée pour que soit constituée l’infraction d’homicide involontaire ou celle de blessures involontaires risquerait de conduire à un affaiblissement très important de la répression dans des domaines où celle-ci est particulièrement nécessaire et singulièrement en matière de circulation routière. Dans ce domaine, des négligences légères, des imprudences mineures ont des conséquences dramatiques et il est nécessaire que pèse la menace de la répression pour inciter chacun à une vigilance constante. Aussi, la proposition de loi opère-t-elle une distinction entre les hypothèses dans lesquelles la faute a directement causé la mort ou les blessures et celles dans lesquelles la faute n’a causé qu’indirectement la mort ou les blessures. Lorsque la faute a directement causé la mort ou des blessures, il paraît nécessaire de considérer que le délit est constitué dès lors qu’il y a faute, quelle que soit la gravité de celle-ci. En revanche, lorsque le lien n’est qu’indirect entre la faute et le dommage, il paraît plus approprié d’exiger une faute caractérisée pour que le délit soit constitué. Dans ce dernier cas, les notions de faute lourde et de faute inexcusable n’existant pas en droit pénal, il est possible de se référer à la définition du délit de risque causé à autrui, qui n’est constitué qu’en cas de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Une telle formulation paraît plus conforme que la notion de faute lourde au principe de légalité des délits et des peines, qui est respecté dès lors que l’infraction est définie « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire » Dans cette perspective, la présente proposition de loi a pour objet, dans ses articles 1er et 2, de modifier la définition de l’homicide involontaire et des blessures involontaires en intervenant à la fois sur la définition de la faute et sur le lien de causalité. Compte tenu des remarques précédemment formulées, votre commission propose, dans l’article premier du texte qu’elle a adopté de modifier et de compléter cet alinéa de la manière suivante : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, à condition qu’il soit établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute est la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont pénalement responsables qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence ».Votre commission a donc retenu comme définition de la faute qualifiée la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Il lui est apparu que certaines obligations particulières de sécurité ne figurent pas nécessairement dans la loi ou dans un règlement. Il peut en aller ainsi lorsqu’un responsable s’est vu expressément notifier un danger, qu’il lui a été demandé d’y mettre fin. Il est normal de considérer que ces avertissements sont constitutifs d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence

b) Les articles 2, 3, 4 et 5 : une harmonisation de la rédaction des articles du code pénal relatifs aux délits non intentionnels Dès lors que l’article 121-3, article général applicable pour tous les délits non intentionnels, est ainsi modifié, il devient en pratique moins opportun de modifier les articles 221-6 et 222-19 du code pénal. Votre commission propose néanmoins de modifier ces articles, afin qu’aucune ambiguïté n’existe sur le fait que les distinctions de l’article 121-3 s’appliquent aux délits d’homicide involontaire et de blessures involontaires .Par ailleurs, les articles 221-6 et 222-19, mais également les articles222-20 (également consacré aux blessures involontaires) et 322-5 (incendie involontaire) méritent d’être modifiés afin que les rédactions retenues soient cohérentes entre elles et avec celle de l’article 223-1 relatif aux risques causés à autrui. Tel est l’objet des articles 2, 3, 4 et 5 de la proposition de loi. caractère très large des infractions définies à ces articles avait été aggravé par la jurisprudence, la Cour de cassation n’exigeant aucun lien de causalité direct entre la faute et les dommages intervenus et incriminant une simple abstention des décideurs face à un état de fait dont ils n’avaient pas conscience.

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Mme Geneviève Viney s’est néanmoins déclarée défavorable aux propositions de M. Pierre Fauchon et du groupe d’étude présidé par M. Jean Massot exigeant une faute simple en cas de causalité directe et une faute qualifiée en cas de causalité indirecte, estimant, d’une part, qu’il serait très difficile de mettre en place une jurisprudence cohérente sur la base d’une notion de causalité apparaissant fuyante et que, d’autre part, le resserrement de la causalité ne permettrait pas d’atteindre le but poursuivi. Elle a donné sa préférence à une solution distinguant entre l’imprudence active, résultant de l’exercice personnel d’une activité, et l’imprudence passive, résultant d’une surveillance insuffisante sur des personnes ou des installations conduisant à une absence de réaction à un danger. Elle a proposé, en outre, de supprimer l’incrimination de la maladresse et de l’inattention. Soulignant que le principe de l’identité entre la faute pénale et la faute civile, unanimement critiqué, conduisait le juge pénal à prononcer des condamnations pour préserver le droit à indemnisation des victimes sur le plan civil,

Mme Geneviève Viney a considéré que le législateur devrait, sans attendre un éventuel revirement de jurisprudence, préciser que la faute pénale pouvait être distincte de la faute civile ou que l’appréciation portée par le juge pénal laissait toute liberté au juge saisi d’une action civile.

Mme Geneviève Viney a ensuite ouvert plusieurs pistes pour limiter les poursuites à l’encontre des décideurs .Sur le plan du droit pénal, elle a considéré qu’un recours accru à la responsabilité des personnes morales pourrait limiter la mise en cause des personnes physiques même si, juridiquement, ces responsabilités n’étaient pas exclusives l’une de l’autre. Constatant que la responsabilité pénale des personnes morales était rarement mise en oeuvre, elle a préconisé la suppression du 2èalinéa de l’article 121–2 du nouveau code pénal ne permettant l’engagement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales que pour les infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Elle a en outre proposé de permettre la mise en jeu de la responsabilité de l’Etat. Elle s’est en revanche déclarée défavorable à la solution préconisée par l’Association des maires de France, imposant de poursuivre la personne morale avant la personne physique.

AUDITION DE M. JEAN PRADEL PROFESSEUR A L’UNIVERSITÉ DE POITIERS Après avoir observé que, si le sujet retenu concernait de façon générale l’évolution de la responsabilité pénale et la définition des délits non intentionnels, en réalité la situation des élus et des décideurs publics apparaissait comme retenant davantage l’attention,

M. Jean Pradel a estimé que l’accroissement du nombre des condamnations, en particulier celles atteignant les maires, occasionné par les transferts de compétences résultant des lois de décentralisation, la multiplication des organismes de contrôle tels que le service central de prévention de la corruption ou encore le développement d’un climat général favorable à la pénalisation, justifiait de conduire une réflexion sur la pertinence du dispositif applicable en matière de délits non intentionnels. Il s’est félicité que la proposition de loi déposée par M. Pierre Fauchon et les conclusions du groupe d’étude présidé par M. Jean Massot n’aient pas préconisé de restaurer une protection spécifique pour les décideurs publics, solution contestable d’un point de vue tant politique que juridique.

M. Jean Pradel s’est interrogé sur la possibilité d’atteindre cet objectif de protection des élus et des fonctionnaires territoriaux en modifiant les critères de définition des délits non intentionnels. Après avoir rappelé que le code pénal de 1994 n’exigeait pas de lien direct entre la faute commise et le préjudice subi et faisait de la faute délibérée une circonstance aggravante, il a considéré que la loi du 13 mai 1996, prévoyant que l’imprudence ne devait pas être reconnue lorsque l’agent avait accompli des diligences normales compte tenu de ses compétences et des pouvoirs et moyens qui lui étaient dévolus, et donc théoriquement favorable aux maires, n’avait pas permis d’endiguer l’augmentation du nombre des condamnations et avait tout au plus favorisé une motivation plus circonstanciée des décisions des juges du fond. Constatant que la proposition de loi de M. Pierre Fauchon, comme le rapport de M. Jean Massot, prenaient en considération la nature du lien entre la faute et le préjudice, pour sanctionner la faute d’imprudence ordinaire dans l’hypothèse d’un lien de causalité direct et pour exiger une faute manifestement délibérée, dans la proposition de loi, ou une faute grave, dans les conclusions du groupe d’étude, lorsque ce lien est indirect,

M. Jean Pradel a estimé illogique de mettre en rapport la nature du lien de causalité et le type de faute. Soulignant qu’il n’existait pas de critère précis permettant de qualifier un lien de causalité comme étant direct ou indirect, il a exprimé la crainte que le juge ne joue de cette latitude d’appréciation pour atteindre l’objectif souhaité par lui, la simple qualification de lien direct dans l’hypothèse d’une causalité pourtant lointaine lui permettant de condamner plus aisément et d’accorder réparation. 

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Le Conseil d’État a donné les exemples suivants d’auteurs indirects d’homicides involontaires :

· le responsable d’un accident ayant provoqué chez la victime un traumatisme crânien grave à la suite duquel celle-ci s’est suicidée

· l’automobiliste qui, ayant garé son véhicule sur le trottoir, a obligé un piéton à descendre sur la chaussée où il a été renversé par un cyclomoteur

· le conducteur en état d’imprégnation alcoolique qui déséquilibre un cyclomotoriste, celui-ci se faisant écraser par un véhicule roulant à la suite

· le directeur d’une société ayant enjoint à des ouvriers d’une société sous-traitante d’intervenir sur un chantier confié à celle-ci, les deux ouvriers s’étant blessés notamment parce qu’ils ne s’étaient pas munis de ceintures de sécurité

· le directeur d’usine ayant employé un ouvrier souffrant d’insuffisance respiratoire dans des ateliers empoussiérés

En fait, dans la plupart des affaires d’homicide involontaire et de blessures involontaires, plusieurs causes ont contribué au danger. La recherche de la cause directe conduit à opérer une hiérarchie entre ces causes. La théorie de la causalité adéquate, mise en oeuvre par la juridiction administrative permet de ne retenir que certaines causes d’un dommage.

Ainsi, dans ses conclusions relatives à l’affaire Marais, le commissaire du gouvernement M. Galmot a évoqué en ces termes la question de la causalité :

« (...) l’enchaînement des événements qui précèdent la réalisation d’un dommage est, bien souvent, trop complexe pour qu’il soit possible de retenir comme causes de ce dommage l’ensemble des fautes qui ont concouru à sa réalisation (...) dans le droit de la responsabilité, la notion de cause se distingue de celle de condition nécessaire du dommage. Il appartient au juge d’opérer un choix parmi toutes ces conditions nécessaires et de ne retenir comme causes que celles qui lui paraissent liées au dommage par un rapport privilégié (...) La notion qui paraît rendre le meilleur compte des solutions jurisprudentielles est, sans doute, celle de « conséquence normale ».