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Rapport N°3

le mécanisme de l'erreur

 

Expliquer comment on s’est engagé dans une impasse n’est pas une recherche des responsabilités. Il est cependant impossible d’analyser les facteurs qui ont conduit le législateur à produire la loi de 1994 sans préciser le rôle des uns et des autres. Les scientifiques, les anatomo-pathologistes sont parmi les premiers responsables de cette erreur, leurs convictions n’ont pas été exprimées avec suffisamment de force pour être entendues, même si la surdité de ceux auxquels ils s’adressaient était particulièrement difficile à surmonter. Pour reprendre un texte inadapté il convient de connaître dans le détail l’histoire des événements qui ont provoqué la décision et les éléments, humains ou autres qui étaient en présence comme autant de partenaires incompris ou ne sachant pas comprendre.

 

Plan

 

1 - Les partenaires

2 - L’autopsie, le médecin et le système de soins

3 - L’autopsie et la liberté individuelle

4 -  La comparaison des législations

5 - La situation de départ lors du dépôt du projet de loi

6 - Les premières modifications du texte du projet de loi

7 - Les dernières évolutions du texte au cours du premier semestre de 1994

8 - Conclusions

 

 

1 - Les partenaires

            L’autopsie. Elle était constamment présente en arrière plan dans le débat sans que le terme soit utilisé par le législateur qui ne voulait entendre parler que de prélèvements.

            Le Gouvernement qui a déposé devant le Parlement le projet de loi bioéthique en 1992 n’est pas celui qui a achevé de présenter ce texte aux députés et aux sénateurs. La durée du débat a été particulièrement longue avec une accélération terminale aboutissant curieusement à une procédure d’urgence avec la réunion d’une commission mixte paritaire ce qui n’est pas une procédure adaptée à ce type de loi.

            L’administration de la santé, pratiquement absente du débat, n’a pas fourni aux décideurs politiques et au législateur les éléments de la prise de décision, aucune donnée statistique sur l’autopsie médico-scientifique, ni de comparaisons entre les différentes législations. Ce type de lacune est fréquent dans le système de santé publique de notre pays, il s’explique en partie par la sous-administration du ministère de la santé.

            Le Parlement, avec deux assemblées nationales différentes, celle issue des élections de 1988 et celle élue en 1993. Deux rapporteurs différents sont intervenus à l’Assemblée, un seul au Sénat.

            Les scientifiques, en particulier les anatomo-pathologistes, et leurs représentants naturels, telle l’Académie de Médecine. Cette dernière s’est exprimée mais elle n’a pas été entendue, ce qui témoigne de la perte d’audience de cette institution qui n’a pas su se réformer pour conserver son rôle.

            Les médias. Les médias professionnels se sont désintéressés d’un sujet trop spécialisé et dépourvu d’enjeux économiques, en particulier sans intérêt pour l’industrie pharmaceutique. Curieusement c’est dans un journal grand public, “ Le Monde ” que le débat sur l’autopsie médico-scientifique a trouvé un écho (annexe 6).

           

            Pour tenter d’expliquer l’intervention de ces différents partenaires, j’utiliserai au maximum des documents reproduits en annexe pour éviter une interprétation a posteriori des faits. Je ne m’interdis pas d’utiliser dans mon argumentation des faits qui sont du domaine des conséquences de la loi, mais il est indispensable de les séparer de ceux qui ont été contemporains des débats. Les drames de la sécurité sanitaire tels que la contamination des dons du sang pour les transfusions, celle des produits thérapeutiques utilisés par les hémophiles, des hormones hypophysaires, nous ont montré la difficulté d’un jugement objectif exprimé cinq ou dix ans après les faits, quand l’évolution des connaissances rend évident le caractère inadapté voire fautif d’une décision, alors que le savoir disponible n’était pas identique au moment où la décision a été prise. Il est tout aussi abusif de dire “ on ne savait pas ” que de prétendre “ ils ont agi en pleine connaissance de cause ”. La seule méthode acceptable est de produire les documents, sans les tronquer et en les replaçant dans leur contexte, ce qui est le plus difficile.

 

 

2- L’autopsie, le médecin et le système de soins

 

            C’est un acte à part de la médecine. Le dernier devoir d’un médecin qui n’a pas compris comment la personne qui lui avait confié sa vie est morte. Son accomplissement témoigne d’une volonté d’en savoir plus, pour éventuellement faire bénéficier un autre patient de cette expérience supplémentaire, un mois ou dix ans plus tard. Quand cette volonté de comprendre s’associe à celle de faire partager aux étudiants l’accès à une forme de vérité qui est également une forme d’humilité, elle exprime la qualité d’un enseignement. Ce n’est pas un hasard si une proportion élevée d’autopsies est reconnue comme un indicateur de qualité dans les universités médicales américaines. Son rôle dans la recherche est une évidence, de 1970 à 1985 ce sont les autopsies que j’ai pratiquées à Garches chez des accidentés de la route qui m’ont permis de comprendre une partie des mécanismes de production des lésions traumatiques et de contribuer à améliorer les systèmes de protection. Reconnaissance des erreurs, enseignement concret par l’aspect des lésions, outil de recherche, les trois objectifs principaux de l’autopsie médico-scientifique sont faciles à définir. Ils peuvent être compris par des non-médecins. Même si Michel Foucaud n’est pas un individu ordinaire, ses pages sur l’autopsie témoignent de sa compréhension d’un geste à part qui n’a pas pour but de soigner mais de comprendre pour être capable de mieux soigner. Pour déterminer la place de l’autopsie dans l’histoire des sciences il faut relire le chapitre 8 de “ Naissance de la clinique ” dont le titre est : Ouvrez quelques cadavres. La citation suivante est extraite de ce chapitre d’une vingtaine de pages :

            Morgagni publie son de sedibus en 1760, et par l’intermédiaire du Sepulchretum de Bonet, se situe dans la grande filiation de Valsalva ; Lieutaud en donne un résumé en 1767. Le cadavre fait partie sans contestation religieuse ni morale, du champ médical. Or, Bichat et ses contemporains ont le sentiment, quarante ans plus tard, de redécouvrir l’anatomie pathologique par delà une zone d’ombre. Un temps de latence sépare le texte de Morgagni, comme la découverte d’Auenbrugger, de leur utilisation par Bichat et par Corvisart : quarante années qui sont celles où s’est formée la méthode clinique. C’est là, non dans les vieilles hantises, que gît le point de refoulement : la clinique, regard neutre posé sur les manifestations, les fréquences et les chronologies, préoccupée d’apparenter les symptômes et d’en saisir le langage, était par sa structure, étrangère à cette investigation des corps muets et intemporels ; les causes ou les sièges la laissaient indifférente : histoire, non pas géographie. Anatomie et clinique ne sont pas de même esprit : aussi étrange que cela puisse paraître maintenant qu’est établie et enfoncée loin dans le temps la cohérence anatomo-clinique, c’est une pensée clinicienne qui pendant quarante ans a empêché la médecine d’entendre la leçon de Morgagni. Le conflit n’est pas entre un jeune savoir et de vieilles croyances mais entre deux figures du savoir. Pour que, de l’intérieur de la clinique, se dessine et s’impose le rappel de l’anatomie pathologique, il faudra un mutuel aménagement : ici l’apparition de nouvelles lignes géographiques, et là une nouvelle façon de lire le temps. Aux termes de cette litigieuse structuration, la connaissance de la vive et douteuse maladie pourra s’aligner sur la blanche visibilité des morts.

 

            Nous revivons une nouvelle période de crise dans la coordination de nos moyens d’action. La chimie moléculaire nous tire vers la compréhension des facteurs les plus élémentaires, comme la physique des particules nous donne l’impression de maîtriser les mécanismes fondamentaux qui gouvernent l’univers matériel. Cette remontée dans la chaîne des événements vers le plus élémentaire a tendance à inverser l’ordre des priorités. La finalité de la médecine est de rendre service à l’individu et si une erreur de prescription, ou de réalisation d’un geste technique, provoque la mort d’un être humain, la prévention de ces erreurs n’est pas au niveau du moléculaire. Une seconde cause de confusion se combine avec cette séduction de l’observation au niveaux les plus élémentaires, elle est liée à l’évolution de la notion de responsabilité, intimement liée à l’évaluation et au contrôle de qualité. Brandissant une éthique artificielle fondée sur le respect de la dépouille, la loi place au second plan l’éthique de la responsabilité vis-à-vis des vivants et le devoir de reconnaître ses erreurs. Cette hiérarchie a des avantages pour ceux qui préfèrent une erreur méconnue à une erreur révélée par une autopsie. Plusieurs facteurs se sont associées pour nous faire connaître une nouvelle période de régression, analogue à celle décrite par Michel Foucaud.

 

Parmi les multiples textes consacrés à l’autopsie et à son déclin dans les sociétés qui doutent d’elles mêmes et dont les médecins s’inquiètent de voir documenter leurs erreurs, j’ai choisi trois textes (annexes 7-1, 7-2 et 7-3).

- le premier est une étude pratique, rédigée par le professeur Brigitte Franc en 1992 pour faire comprendre qu’il est illusoire de penser que le développement des techniques d’exploration faites du vivant du malade explique tout, et que l’autopsie régresse parce qu’elle n’est plus nécessaire. Dans un domaine qui représente la première cause de décès dans notre pays, la mort d’origine cardiaque, elle met en évidence le caractère irremplaçable de l’autopsie “ son maintien constitue pour tous une garantie de sécurité ”,

- le second est également un texte de défense de la pratique de l’autopsie, rédigé par le professeur François Pottet. Il privilégie l’analyse de la place de l’autopsie dans le contrôle de qualité, et la bibliographie qui lui est annexée est très spécifique de cet aspect. Il est particulièrement important de savoir que les progrès des investigations effectuées du vivant du malade n’ont pas modifié la proportion d’erreurs de diagnostic. Des taux d’erreurs majeures allant de 15% à 23% sont rapportés dans ces publications. L’auteur décrit les méthodes introduisant les résultats de l’autopsie dans le contrôle de la qualité des soins. Le type d’erreur permet de déterminer quatre classes, la première étant constituée par “ les lésions importantes dont le diagnostic premortem aurait modifié la thérapeutique et donc probablement le pronostic ”.

- le troisième est un article canadien paru en 1996 qui analyse le rôle essentiel de l’autopsie dans la pratique médicale et explique son déclin par une incapacité à intégrer sa pratique dans une conception de l’intérêt social dont le public serait convaincu. Ses remarques sur le caractère irremplaçable de l’autopsie dans le contrôle de qualité conduisent les auteurs à l’intégrer dans une relation non seulement avec la famille, mais avec l’ensemble du système d’évaluation des soins, ce qui implique une prise en charge par les organismes chargés de cette évaluation. Il faut comprendre que cette démarche se situe dans un contexte nord-américain qui inclut la recherche explicite de l’accord de la famille pour la pratique d’autopsies, en l’absence de l’expression prouvée de la volonté du défunt avant sa mort. Quand on connaît le développement des procédures pour “ malpractice ” aux Etats-Unis et au Canada, on comprend que l’autopsie peut devenir un élément clé de l’appréciation de la qualité des établissements pour les organismes qui les accréditent, mais aussi une source de renseignements permettant de fonder une plainte et d’obtenir des compensations financières pour la famille du défunt. Nous sommes loin d’une telle situation en Europe mais il n’est pas exclu que l’évolution des moeurs se fasse dans le sens de l’évolution nord-américaine.

 

3 - L’autopsie et la liberté individuelle

            Si l’éthique médicale inclut la recherche de ses erreurs et leur correction par l’approfondissement de ses connaissances, elle doit trouver un compromis avec le nécessaire respect des libertés individuelles, qui inclut le droit de refuser toute atteinte à l’intégrité de son corps après sa mort. Tous les textes législatifs produits dans le monde ont tenu compte de cette nécessité et ils diffèrent principalement par les modalités utilisées pour intégrer cet impératif. Schématiquement les législations se rattachent à deux grandes familles, celles qui exigent un accord explicite de la personne concernée de son vivant ou à défaut de sa famille après sa mort et celles qui admettent la présomption de consentement en l’absence d’indications contraires, les modalités d’obtention de ces indications créent des variantes et c’est “ l’originalité ” des modalités définies par la loi de 1994 qui a produit en France les difficultés actuelles. Les différentes dispositions capables de concrétiser le compromis entre le besoin de connaissance et le respect de la volonté individuelle ont déjà été envisagées dans la seconde partie de ce rapport, pour ne pas y revenir avec un texte personnel, j’ai préféré reproduire (annexe 8) un texte de Bruno Py paru en février 1996 dans la revue Mire Info. Il insiste à juste titre sur l’ambiguïté de certaines situations, quand la procédure prévue par la loi “ aboutit parfois à l’expression d’une opposition de la famille qui, bien que sans effet sur le plan juridique, paralyse dans les faits l’action des médecins préleveurs ”.

 

4 -  La comparaison des législations

 

            La Direction Générale de la Santé a pu obtenir des renseignements sur l’état des législations dans différents pays, mais ils sont actuellement insuffisants pour nous permettre d’établir un tableau fiable de ces dispositions légales. Cette difficulté est en partie liée à la différenciation de plusieurs types de prélèvements sur le cadavre qui peuvent être règlées par des textes législatifs différents. Dans ces conditions disposer d’une traduction de la loi concernant les prélèvements dans un but thérapeutique ne permet pas d’être assuré du contenu des textes précisant les conditions des prélèvements dans un but diagnostic (scientifique).

                Il est donc indispensable de poursuivre la recherche de ces renseignements, probablement par un questionnaire plus court que celui qui a été adressé aux conseillers pour les affaires sociales de nos ambassades. Il devrait poser la question suivante : quand un médecin veut préciser un diagnostic et demande une autopsie, en dehors de toute procédure médico-légale, doit-il effectuer une démarche auprès de la famille. Si cette démarche est obligatoire, doit-il s’enquérir auprès de la famille de la volonté du défunt ? ou est-ce la volonté de la famille qui est exprimée ?

            Dans l’état actuel des renseignements qui nous sont parvenus, il apparaît que la majorité des  pays européens disposent d’une législation fondée sur l’accord présumé tel que le définissait la loi Caillavet de 1976, c’est-à-dire sans recherche active de la volonté du défunt. C’est la personne de son vivant ou sa famille qui doit exprimer activement l’opposition. Ces dispositions sont appliquées en Allemagne, en Belgique, au Portugal, dans la Fédération de Russie, en Pologne, en Italie.

            L’Espagne prévoit la recherche de la volonté du défunt auprès de la famille. La Grande Bretagne et les USA prévoient un accord explicite mais avec des réserves qui laissent de larges possibilités d’autopsies destinées à préciser les causes du décès. Il faut noter en particulier qu’un décès dans un délai de moins de 24 heures après l’hospitalisation provoque obligatoirement une autopsie aux USA. Il apparaît bien que les lois sont dans une relation étroite avec la situation culturelle de chaque pays. La volonté de rechercher la cause d’un décès en Europe et aux USA n’est pas identique.Le développement des procédures mettant en question la responsabilité médicale prend une telle ampleur aux Etats-Unis que l’on voit se développer une pratique privée d’expertise autopsique inconcevable dans notre pays.

            Nous pouvons dire qu’il y a deux grands systèmes législatifs règlant l’autopsie médico-scientifique, en l’absence de procédure médico-légale :

-         l’accord présumé sans recherche explicite de la volonté de la personne décédée,

-         la recherche explicite de l’accord de la personne décédée ou de sa famille,

 

Je ne connais pas une législation distinguant deux types de prélèvements dans un but scientifique, suivant qu’ils concourent ou non à préciser les causes du décès, et qui combine cette distinction avec la recherche explicite auprès des familles de la volonté du défunt. Nous semblons avoir élaboré une législation qui n’a pas son équivalent au monde. Ce point doit être précisé par des études complémentaires.

                       

 

5 - La situation de départ lors du dépôt du projet de loi

            La volonté des rédacteurs du projet de loi sur la bioéthique a été de ne pas modifier les principes ni les modalités de la loi de 1976 concernant les prélèvements sur le cadavre dans un but thérapeutique ou scientifique. L’article correspondant du projet de loi était rédigé comme suit lors de sa première présentation au Parlement :

 

Art. L.667-7. - Le prélèvement d’organe sur une personne décédée ne peut être effectué qu’à des fins thérapeutiques ou scientifiques et après que le constat de la mort a été établi dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat.

            Le prélèvement ne peut avoir lieu si la personne, de son vivant, y a opposé un refus. Ce refus peut avoir été exprimé par tout moyen. Tout membre de la famille ou proche du défunt peut en témoigner.

 

            Il est probable que ce texte aurait été voté sous cette forme ou avec des modifications de détail, sans la survenue au cours de l’été 1992 d’événements regroupés sous le terme “ d’affaire d’Amiens ”. Un accident de la route avait provoqué le décès d’un jeune homme, le maintien d’une ventilation assistée et d’une fonction cardiaque donnaient la possibilité de faire des prélèvements d’organes pour des transplantations. Après une entrevue des médecins avec la famille et l’annonce de ces prélèvements, sans que la famille exprime une opposition de la personne décédée, la réanimation a été interrompue et les organes prélevés. Dans un second temps la famille a appris par un compte rendu de ces prélèvements (provenant de la procédure judiciaire concernant cette mort accidentelle) que des prélèvements oculaires pour greffe de cornée avaient été pratiqués. Elle a violemment réagi à cette pratique, disant ne pas avoir été prévenue de la nature des prélèvements effectués. Les médias se sont emparés de cette affaire et l’ont déformée dans des proportions qui sortent des limites habituelles des dérapages médiatiques. Les formes extrêmes de ces dérives ont présenté ces prélèvements comme ayant été effectués sans le moindre contact avec la famille, ce qui était inexact, la personne décédée a été souvent décrite comme étant un mineur, ce qui était également faux. D’autre part des détails ont été interprètés d’une manière absurde, contribuant à faire de ce prélèvement un geste sans respect humain, par exemple l’indication que le cadavre ayant été recousu avec du “ fil de fer ”. Quand les chirurgiens thoraciques reconstituent la paroi après une intervention, ils utilisent souvent un fil métallique inoxydable qui offre toutes les garanties de solidité et d’inaltérabilité. A l’opposé les médecins qui effectuent une autopsie utilisent habituellement un fil textile moins solide et moins cher. Dans un contre sens complet, le produit de luxe du chirurgien devenait le fil de fer du mépris. Cette affaire a provoqué plusieurs réactions ministérielles. La première sous la forme d’une instruction du 5 juin 1992 de Bernard Kouchner, en parfaite contradiction avec la loi de 1976 et son décret d’application, qui imposait aux établissements hospitaliers de ne pratiquer des prélèvements sur le cadavre qu’avec l’accord de la famille. Elle a été édulcorée par une circulaire du 31 juillet 1992 qui demandait à l’administration “ de s’assurer auprès de la famille ou des proches du défunt que celui-ci n’avait pas fait connaître de son vivant son opposition au prélèvement ”. Enfin une dernière circulaire du 21 septembre reconnaissait avec honnêteté “ qu’une enquête auprès des ophtalmologistes des CHU confirme un arrêt presque total des greffes de cornée à l’höpital alors que les cas urgents créent des situations très préoccupantes ”. Ces événements du printemps et de l’été 1992 ont eu à mes yeux un rôle déterminant dans le déroulement des débats de l’automne suivant concernant les prélèvements sur le cadavre dans un but thérapeutique ou scientifique. Nous verrons qu’aucune leçon n’a été tirée de ce qui s’est passé cet été là, alors que le législateur disposait d’une véritable expérimentation. La circulaire ministérielle qui avait prescrit de vérifier auprès des familles l’absence d’opposition des personnes décédées à des prélèvements de cornée avait réussi à mettre à bas un système qui fonctionnait correctement sur les bases de la loi de 1976 et de son décret d’application.

 

 

6 - Les premières modifications du texte du projet de loi

            C’est dans le dernier trimestre de 1992 que le projet de loi est étudié par l’Assemblée Nationale. Une première indication sur la partie concernée par ce rapport est contenue dans l’intervention du professeur Jean-François Mattei (Annexe sur le compte rendu de séance du 20 novembre 1992 page 5782). “ Le législateur dans sa sagesse, a adopté en 1976 la notion de consentement présumé. Mais les médecins éprouvent toujours quelque scrupule à se contenter du consentement présumé, car ils ont toujours en tête cette idée : est-ce que je respecte la volonté, la liberté de cet homme qui vient de mourir ? Aussi les dispositions proposées dans le texte de loi soumis à la discussion me semblent-elles bonnes, car elles ajouteront au consentement présumé deux vérifications supplémentaires qui ne devraient pas nuire ”.

            Lors de la première séance du 24 novembre 1992, la discussion du projet article par article est particulièrement intéressante.

- Jean François Mattei (p.5937) propose de supprimer les mots “ ou scientifiques ” du texte pour réserver le consentement présumé aux prélèvements dans un but thérapeutique, alors qu’un consentement explicite serait appliqué aux prélèvements scientifiques. Le rapporteur indique que la commission a refusé cet amendement, et qu’il attend une nouvelle proposition du Gouvernement sur ce problème. Dans une nouvelle intervention Jean-François Mattei développe la distinction entre des prélèvements “ médicaux ” et “ scientifiques ”, il rassemble sous le vocable de prélèvements médicaux ceux qui sont destinés à des greffes et les autopsies ayant une finalité médicale, par exemple en permettant de mieux conseiller une famille sur une maladie génétique.

            La crainte de faire régresser la connaissance par l’adoption de mesures trop restrictives est présente dans ce débat, y compris dans la bouche de ceux qui soutiennent la distinction souhaitée par Jean-François Mattei. Jacques Toubon pose clairement la question (p.5938) “ Allons-nous régresser si nous adoptons l’amendement de Jean-François Mattei ? ” Le ministre de la santé et de l’action humanitaire Bernard Kouchner prend nettement position pour l’unicité du traitement législatif des deux types de prélèvements (p.5938)   Il faut donc, monsieur Mattei, en rester au consentement présumé pour l’autopsie et le prélèvement scientifique, faute de quoi nous ne pourrions pas faire le travail hospitalier courant ”.

            Dans la suite du débat apparaît une solution de compromis qui permettrait d’isoler une forme de prélèvement dans un but “ purement scientifique ” qui serait soumis à l’accord explicite de la personne exprimé de son vivant et les prélèvements destinés à préciser les causes du décès qui échapperaient à cette exigence. Cette solution est proposée par le Gouvernement.

            Lors de la seconde séance du 24 novembre, une série d’amendements envisagent successivement toutes les possibilités d’expression de la volonté des personnes dans les différentes circonstances envisagées lors de la séance précédente. Le lecteur peut se reporter à cette longue discussion dans le compte rendu des débats (p.5945 à 5950). Il faut savoir que c’est finalement l’amendement proposé par le Gouvernement qui va instituer la nécessité de rechercher auprès de la famille et des proches l’absence de refus de l’intéressé pour les prélèvements destinés à des greffes et la possibilité d’exprimer son refus sur un registre automatisé. C’est également le Gouvernement qui va proposer l’amendement numéro 207 destiné à placer dans un cadre spécial l’autopsie visant à préciser les causes du décès et à exiger le consentement du défunt pour les autres prélèvements scientifiques (p.5950). Cet amendement ajoutant un article 667-8bis à la loi est ainsi rédigé : “ Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille ”.

            Nous pouvons donc dire que c’est au cours de ce débat du 24 novembre que tout s’est joué. Initialement la commission voulait modifier le texte du projet de loi en rendant obligatoire la consultation de la famille sur la volonté du défunt et certains de ses membres voulaient distinguer plusieurs formes de prélèvements scientifiques. Le Gouvernement a finalement accepté cette double modification de la loi Caillavet et de son texte initial en proposant lui-même des amendements qui ont intégré la consultation obligatoire de la famille et qui exigeaient le consentement du défunt pour les prélèvements scientifiques, à l’exclusion de ceux destinés à préciser les causes du décès.

            Le bilan de cette journée était le suivant :

- prélèvements d’organes pour transplantation : pas de modification importante de la situation de fait, les transplanteurs avaient l’habitude de consulter la famille lors des prélèvements à coeur battant qui marquaient la fin des maneuvres de réanimation,

- prélèvements d’organes après le décès (cornées, os, peau etc.), modification importante de la situation, il fallait s’efforcer de recueillir le témoignage de la famille, alors que ce n’était ni fait ni obligatoire dans la loi Caillavet,

- prélèvement dans un but scientifique : modification de la situation antérieure, l’absence de refus ne suffisait plus, il fallait rechercher un consentement du défunt auprès de la famille,

- autopsie : modification dans le sens d’une facilitation, plus aucun obstacle n’existait après ce “autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès” qui excluait la nécessité de rechercher le consentement, sauf à considérer que cet article devait obligatoirement se combiner aux dispositions de l’article 667-7 et que la recherche d’une absence de refus auprès de la famille demeurait nécessaire pour l’autopsie.

           

            Exprimé plus simplement, le texte à sa sortie de la première lecture à l’assemblée était complexe (trois types de prélèvements), contenait des contradictions (exigence de non refus se transformant quelques lignes plus loin en exigence de consentement), et demeurait ambigu pour le sort des autopsies destinées à préciser les causes du décès (le consentement n’était plus exigé mais l’absence de refus apparaissait une condition moins nettement précisée).

 

7 - Les dernières évolutions du texte au cours du premier semestre de 1994

 

            Les modifications apportées par l’Assemblée au projet de loi de 1992 avaient provoqué une réaction des professionnels concernés par l’autopsie médico-scientifique. L’Association des enseignants et des chercheurs en anatomie et cytologie pathologiques, la Société française d’anatomie normale et pathologique et le Syndicat national des anatomo-pathologistes français avaient produit une analyse conjointe de la situation (annexe 9) et proposé de maintenir les dispositions de la loi Caillavet sans rechercher auprès de la famille la volonté du défunt. Ce texte exprimait clairement l’inquiétude provoquée par des dispositions qui apparaissaient trop complexes pour être facilement applicables.

            En janvier 1994 c’est au tour du Sénat d’examiner ce texte, rappelons qu’entre temps la majorité parlementaire a changé de bord à l’Assemblée Nationale et que les ministres qui participent au débat ne sont pas ceux de 1992.

            Les articles 667-7 et suivants sont analysés dans la séance du lundi 17 janvier. Deux modifications importantes interviennent. Le Sénat supprime le registre automatisé avec des arguments contradictoires, soit il serait inopérant, trop peu de gens y faisant inscrire leur volonté, soit il serait dangereux pour la transplantation, son succès risquant d’augmenter la proportion de refus. La seconde modification est beaucoup plus importante et exprime la confusion introduite par l’Assemblée dans le domaine des prélèvements à but scientifique. Avec un certain bon sens le Sénat refuse la distinction introduite entre les prélèvements à but thérapeutique et ceux qui ont un but scientifique. Il utilise dans ce but une méthode sans nuance, la suppression de l’article 667-8bis. Il supprime du même coup la nécessité de rechercher le consentement du défunt auprès de la famille et les dispositions particulières introduites dans cet article sur l’autopsie destinée à préciser les causes du décès. L’ambiguïté de cet article apparaît alors clairement puisque sa suppression est décrite comme un acte favorable à l’autopsie par le ministre délégué Philippe Douste Blazy exprimant le soutien du Gouvernement à l’amendement supprimant l’article 667-8bis : “ Il convient donc de ne pas multiplier inutilement les exceptions et de ne pas rendre plus difficiles les prélèvements opérés pour des fins scientifiques et pour les autopsies pratiquées afin de découvrir les causes du décès ”. En réalité la suppression de cet amendement était avantageux pour les prélèvements “ purement scientifiques ” qui réintégraient la loi commune, mais désastreux pour les autopsies destinées à préciser les causes de la mort qui réintégraient également ces dispositions communes, c’est-à-dire étaient à nouveau soumises à la règle de la recherche de l’avis du défunt auprès de la famille.

            Ces évolutions brutales et importantes du texte de la loi font alors redouter le pire aux pathologistes qui vont rencontrer les deux rapporteurs et leur remettre le texte rédigé en commun par les différentes structures de la profession, actualisé après le passage de la loi au Sénat. C’est avant le passage du texte en seconde lecture à l’Assemblée que nous adressons ces documents à la presse, un seul journal exprimera clairement notre inquiétude, “ Le Monde ” dans un article du mercredi 23 mars 1994 signé de Jean Yves Nau et intitulé : “ l’autopsie en danger de mort ” (annexe 6).

            En avril 1994, le projet de loi est rediscuté à l’Assemblée Nationale. Le jeu des rénumérotations d’articles a transformé les articles 667-7 et 667-8 en 671-7 et 671-8. L’article 671-7 et les suivants sont étudiés dans les 2ème et 3ème séances du jeudi 14 avril. Dès le début du débat sur ces articles Jean-Yves Le Déaut exprime bien l’ambiguïté du texte : “ Le législateur semble mal à l’aise : il pose le principe du consentement présumé mais demande au médecin de s’efforcer de recueillir un témoignage auprès de la famille et des proches. Il indique parfaitement que le problème posé par la loi Caillavet n’était pas la notion de consentement présumé, mais l’insuffisance d’information du public. Il est surprenant de constater à quel point les problèmes furent bien cernés par les orateurs qui ont participé au débat, sans que les conséquences logiques de leur réflexion se traduisent dans le texte. Les amendements proposés opposent ceux qui souhaitent un accord explicite exprimé du vivant et ceux qui veulent revenir à la loi Caillavet, le rapporteur propose un amendement pour l’article 671-7 qui revient au texte déjà adopté par l’Assemblée deux ans auparavant. Il s’agit de la solution intermédiaire, pas d’accord explicite mais on vérifie l’absence de refus par une procédure explicite. Le registre automatisé est recréé et surtout le recueil du témoignage de la famille réapparait comme une obligation. Cet amendement est adopté. Une fois le débat à nouveau verrouillé sur ce point, réapparait le désir de favoriser l’autopsie médico-scientifique, le législateur réalisant bien que la consultation de la famille va la mettre en péril. Le rapporteur propose alors (p.835) un amendement rétablissant l’article supprimé par le Sénat (devenu le 671-9) qui distingue à nouveau les prélèvements dans un but scientifique, (avec une exigence de recherche du consentement du défunt) des prélèvements destinés à préciser les causes du décès. Survient alors un événement très important pour l’interprétation de la loi actuelle, sous la forme d’une intervention du ministre d’état, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, Simone Veil. Elle propose d’ajouter un sous-amendement (numéro 264, p.836) qui précise que les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 671-7 (le compte rendu des débats indique par erreur 671-9 !) s’appliquent aux prélèvements destinés à préciser les causes du décès. Cet amendement est rédigé sous la forme suivante : “ Le deuxième alinéa de l’article L-671-7 est applicable aux prélèvements destinés à préciser les causes du décès ”. En clair cela signifie que le Gouvernement s’était rendu compte que l’articulation des deux groupes de dispositions adoptées, celles générales de l’article 671-7 et celles particulières aux prélèvements dans un but scientifique de l’article 671-9 étaient très mal coordonnées. Si l’on considérait l’article 671-9 comme indépendant, il n’y avait plus aucune limite aux prélèvements destinés à préciser les causes du décès. Le ministre a donc souhaité rétablir l’application à ces prélèvements de la règle fixée à l’alinéa 2 de l’article 671-7 :  “ Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement ”. Il faut remarquer que le ministre n’a pas placé dans son amendement une référence à l’alinéa suivant qui introduisait la recherche de la volonté de la personne concernée auprès de la famille. Cette disposition sauvait l’autopsie médico-scientifique en rétablissant en pratique la loi Caillavet : accord présumé sans recherche explicite de la volonté du défunt. Après le vote de cet amendement particulièrement important, le Ministre a souhaité en préciser la rédaction et a demandé une seconde délibération sur cette partie du texte. Le court débat sur cette demande se situe au début de la troisième séance du 14 avril, (pages 841-842). La seconde délibération est rapportée dans les pages 912 à 914 du compte rendu de la séance du 15 avril 1994 (cette seconde délibération n’a pas eu lieu immédiatement après la demande du gouvernement mais à la fin de l’examen des différents articles du texte). La modification du texte est la suivante : “ Le deuxième alinéa de l’article L-671-7 est applicable aux prélèvements destinés à préciser les causes du décès  ” est remplacé par : 

 “ Le deuxième alinéa de l’article L-671-7 est applicable à tous les prélèvements ”.  Cette seconde délibération fait bien apparaître le soutien du rapporteur Jean François Mattei à ces nouvelles dispositions qui sauvegardent l’autopsie médico-scientifique, mais il est tard pour revenir sur les erreurs de la première lecture à l’Assemblée, le Sénat risque d’avoir des difficultés à suivre l’évolution des députés.

Le second passage devant le Sénat de la partie du texte concernant les prélèvements d’organes sur le cadavre intervient le mardi 17 mai 1994. Dans son intervention introductive (p.1585), le ministre d’état, madame Simone Veil, rappelle l’importance de l’autopsie dans le contrôle de la qualité des soins et indique qu’à la demande du Gouvernement, l’Assemblée Nationale a souhaité que les prélèvements effectués lors d’autopsie “ obéissent à une procédure plus simple que les prélèvements en vue de dons et qu’on se borne à appliquer, comme c’est le cas aujourd’hui, la règle du consentement présumé ”. Elle insiste sur l’intérêt de santé publique de telles dispositions. L’intervention initiale du rapporteur, Jean Chérioux, indique d’emblée que le Sénat n’a en rien modifié sa position et que la commission propose de supprimer toutes les dispositions reprises ou nouvellement adoptées par l’Assemblée Nationale. Il s’agit en particulier du registre des refus de prélèvements et les dispositions spécifiques pour les prélèvements scientifiques et pour les autopsies, qui rejoignent le régime commun du consentement présumé avec recours éventuel au témoignage de la famille. Une phrase de cette présentation de la position de la commission est particulièrement intéressante : “ Il apparaît en effet que beaucoup d’autopsies médicales peuvent avoir un intérêt pour la famille. Pourquoi donc s’affranchir du recours à son témoignage ? Il est en effet à peu près certain qu’elle acceptera l’autopsie ”. Malgré les documents qui lui ont été donnés par des spécialistes de l’autopsie et l’entretien oral que nous avions eu avec le rapporteur (le Président de l’Association des enseignants et des chercheurs en anatomie pathologique, le Président du Syndicat des Anatomopathologistes et moi-même), la position de la commission du Sénat demeurait d’un dogmatisme absolu, déconnectée des réalités. L’idée que l’autopsie médicale va dans de nombreux cas bénéficier directement à la famille est contraire à la vérité. C’est la collectivité qui va bénéficier d’un contrôle de qualité visant d’abord à améliorer les actes et la compétence des médecins. Ce rôle de santé publique de l’autopsie est au premier rang des arguments des anatomopathologistes qui défendent l’autopsie. Savoir reconnaître des erreurs de diagnostic, des complications thérapeutiques, médicales ou chirurgicales, former des étudiants, contribuer à la recherche, n’a rien à voir avec l’autopsie qui révélerait une pathologie familiale dont la connaissance pourrait bénéficier aux autres membres de la famille. L’erreur d’appréciation exprimée par la phrase de Jean Chérioux est totale. Il ne faut pas espérer du Sénat une défense de l’intérêt de santé publique. L’article 671-9 est une nouvelle fois supprimé. Tous les efforts du Ministre d’Etat et du rapporteur de l’Assemblée pour tenter de sauver l’autopsie médico-scientifique sont réduits à néant.

            Les données disponibles du débat parlementaire s’arrêtent à ce point. Le texte ne continuera pas sa navette entre le Sénat et l’Assemblée. Pour éviter la poursuite de la discussion, le Gouvernement demande la formation d’une commission mixte paritaire. Cette procédure permet de sortir d’un conflit entre les deux assemblées, le texte produit par la commission passe devant les deux assemblées et il ne peut être modifié sans provoquer le retour devant l’Assemblée Nationale qui a le dernier mot. Une telle procédure est discutable quand il s’agit de mettre au point un texte de société aussi complexe. Il était probablement nécessaire au stade où le texte était parvenu de demander aux commissions de revoir les professionnels qui pouvaient les informer et préciser certains points très mal compris du Parlement. Il me semble extravagant qu’un texte sur les autopsies soit adopté sans que les commissions aient reçu les spécialistes qui les pratiquent. Nous ne connaissons pas les arguments développés lors de la réunion de la commission mixte paritaire car les débats devant cette commission ne sont pas rendus publics. Nous connaissons simplement le résultat. Malgré une dernière tentative de sauvetage de l’autopsie que j’adresse au journal “ Le Monde ” (1er juin 1994, annexe 10), la commission mixte paritaire va achever la rédaction d’un texte complexe, incohérent et destructeur de l’autopsie. La recherche de l’avis du défunt par le  témoignage de la famille, le registre automatisé des refus, l’article qui donne un cadre particulier aux prélèvements dans un but scientifique et en exclut l’autopsie, sont rétablis. Une disposition supplémentaire supprime tout l’intérêt d’avoir exclu l’autopsie pour préciser les causes du décès des dispositions concernant les autres prélèvements scientifiques. Quand de tels prélèvements sont  pratiqués, la famille doit en être informée. Cette disposition conduit à l’impasse actuelle, ces dispositions ne sont pas appliquées, les centres qui les appliquent ont réduit dans des proportions catastrophiques le nombre d’autopsies, parfois de plus de 90%.

 

8 - Conclusions.

            La relecture de la totalité des débats parlementaires et des documents produits lors de la préparation de la loi ou au cours des débats autorise un certain nombre de conclusions. Des logiques contradictoires étaient en présence et la loi devait savoir trancher et les hiérarchiser. Dans l’ensemble les parlementaires me semblent avoir été plus proches des principes que des réalités, or une loi bioéthique est nécessairement l’application de principes à des situations réelles et une décision législative est bien destinée à agir sur les comportements. Tout au long du débat le souci de faciliter les greffes et les transplantations, le souci de sauvegarder l’autopsie destinée à préciser les causes de la mort comme une forme de contrôle de qualité à l’hôpital, a été affirmé. Cependant la loi a aggravé la pénurie de tissus prélevés à distance de la mort en créant la consultation obligatoire de la famille, qui n’était pas pratiquée dans les conditions d’application de la loi précédente (la famille n’était au courant des prélèvements que dans les prélèvements à coeur battant). Elle a réduit le nombre d’autopsies médico-scientifiques en exigeant que la famille soit prévenue que des prélèvements sont effectués.

            Dans l’ensemble le débat a été très fermé sur le monde. Il était inacceptable de légiférer dans un tel domaine sans disposer d’un tableau comparatif de ce qui était pratiqué par exemple dans les pays de la communauté européenne. Nous avons entendu au cours du débat quelques allusions à la situation de la Belgique pour l’enregistrement des refus d’autopsie, mais la connaissance des législations étrangères était très réduite comme si la France n’avait rien à apprendre des autres. La personnalité des intervenants et des rapporteurs a également joué un rôle dans le choix des solutions. Si le rapporteur en seconde lecture devant l’Assemblée avait compris que les exigences soutenues en première lecture pour les prélèvements scientifiques mettaient en péril l’autopsie médico-scientifique, et a soutenu les tentatives du Ministre d’Etat pour la sauvegarder,  la méconnaissance du problème des autopsies par le rapporteur du Sénat, Jean Chérioux, a été totale. La commission mixte paritaire a parachevé le désastre en introduisant ce que le Gouvernement avait cherché a éviter, une forme de consultation de la famille pour les autopsies destinées à préciser les causes de la mort. C’est peut-être dans cette artifice ultime destiné à mettre d’accord les membres de la commission mixte paritaire que le côté “ cuisine ” de ces débats est le plus manifeste. Il n’y avait pas trois possibilités mais seulement deux et imaginer des situations intermédiaires était une utopie absurde. Ou on prévenait la famille ou on ne la prévenait pas. Que la relation avec la famille soit pour connaître un éventuel refus, un consentement du défunt ou pour la prévenir que des prélèvements sont effectués pour préciser la cause de la mort n’a pas d’importance pratique, ce sont des subtilités de débat parlementaire sans incidence sur le comportement médical. Dans la majorité des cas, si un médecin demande une autopsie c’est qu’il n’a pas compris quelque chose, sans cela il ne la demanderait pas. Il faut manquer d’imagination pour croire qu’une forme d’autocensure ne jouera pas au moment où le médecin devra aggraver les difficultés d’une famille en lui annonçant qu’il y a des faits mal compris dans le décès de leur proche. Le rejet de cette relation sera maximal quand le médecin doutera d’avoir eu l’attitude la plus adaptée à la bonne exploration ou au bon traitement de son patient. Plus l’autopsie est systématique, plus il est facile de l’expliquer à la famille, plus elle est rare et faite “ sur indications ”, plus il est difficile de la justifier auprès de la famille sans mettre en question la compétence du médecin. Nous nous situons à un changement d’attitude dans la relation du médecin avec le malade et sa famille. La période du médecin qui ne dit rien et auquel on doit faire confiance parce qu’il est médecin est révolue. Le médecin doit la vérité à son malade et les cas où l’on admet qu’il limite ce transfert de connaissances  se réduisent d’année en année. On veut maintenant qu’il sache dire, je n’ai pas compris, je peux m’être trompé. Il apprendra peut-être, mais en attendant il préférera ne pas demander d’autopsie s’il doit prévenir la famille de ses incertitudes. La transparence n’existera pas,  mais la perte pour la santé publique sera une réalité.