rapport1
Accueil ] Remonter ] sommaire ] [ rapport1 ] rapport2 ] rapport3 ] texte des professionnels ] Débats ] Le Monde 23/03/96 ] Le Monde 1/06/1994 ]

 

Rapport N°1

 

Le problème

            Examiner un cadavre après la mort en dehors de toute procédure judiciaire permet de découvrir des erreurs de diagnostic, des complications thérapeutiques, d’enseigner les étudiants et de faire progresser la connaissance des maladies. Les formes humaines de maladie de Creutzfeld-Jakob d’origine bovine ont été identifiées en Grande Bretagne sur des arguments anatomiques et cliniques, l’examen du cerveau prélevé lors des autopsies mettant en évidence des altérations particulières. Une société qui organise l’abandon des autopsies supprime une forme de sécurité sanitaire et d’autocontrôle par les médecins de la qualité de leurs actes.

            La réduction du nombre d’autopsies médico-scientifiques pratiquées n’est pas propre à la France, tous les pays industrialisés observent cette évolution, mais elle est particulièrement importante dans notre pays. Cette situation est la conséquence d’un ensemble de faits qui ont conjugué leur influence :

n    le développement des méthodes d’exploration morphologiques qui donnent une meilleure connaissance des pathologies et de leur évolution (scanner, résonance magnétique nucléaire, échographie),

n    l’augmentation des prélèvements sur le vivant qui concourent également à l’amélioration de la qualité des diagnostics et de la surveillance des traitements. Ce phénomène augmente dans de telles proportions le travail des anatomo-pathologistes que ces derniers sont moins tentés de maintenir une activité d’autopsie, cet acte étant pénible, long et coûteux. Ce dernier aspect devient important dans une politique de budget global qui ne valorise pas la pratique des autopsies,

n    une évolution de la relation avec la science et la mort. Le scientisme est enterré. Nous savons tous que la connaissance permet d’améliorer notre action sur la maladie et de retarder la mort, mais ses limites apparaissent mieux après des erreurs médicales majeures liées à un excès de confiance dans le progrès et dans nos moyens d’action. Parallèlement, un retour à une forme d’irrationalité utilisant de multiples canaux se manifeste, et le statut du cadavre évolue. Il est moins l’objet sans âme destiné à la putréfaction et reprend la valeur à la fois concrète et symbolique d’une mort indissociable de la vie et qui fera éternellement peur, quel que soit le pouvoir des savants. On pouvait faire tout pour aider Pasteur, on n’a plus envie de tout donner à ceux qui clonent, qui transmettent le VIH, l’hépatite ou les prions, sans comprendre que l’autopsie fait partie des garde-fous qu’il est indispensable de maintenir.

 

A ces faits qui dépassent les limites de notre pays, il faut ajouter des aspects spécifiques, le plus important a été la révision de la loi de 1976 par un travail parlementaire de mauvaise qualité. Tous les inconvénients des modifications du projet de loi sur la bioéthique dans le domaine des prélèvements sur le cadavre ont été signalés par les professionnels, mais les pouvoirs publics et le Parlement n’en ont pas tenu suffisamment compte. On ne règle pas sans dommages par une commission mixte paritaire de quelques heures des problèmes aussi difficiles. Imaginer qu’un dispositif que nous sommes les seuls au monde à appliquer (le consentement présumé de la personne décédée que l’on doit vérifier en interrogeant la famille !) puisse être le meilleur, témoigne d’une autosatisfaction et d’un isolement inquiétants.

 

La situation actuelle

 

            La loi du 30 juillet 1994 a traité conjointement les prélèvements dans un but thérapeutique (greffes de tissus et transplantations d’organes) et les prélèvements dans un but scientifique. Pour ces derniers elle a distingué  les prélèvements scientifiques destinés à préciser les causes du décès des autres prélèvements scientifiques. Cette distinction n’a pas de réalité pratique, il est presque toujours possible d’affirmer que les prélèvements effectués après la mort vont contribuer à préciser les causes du décès. La seule conséquence de cette distinction est de supprimer des prélèvements tissulaires utilisés par des laboratoires de recherche pour étudier des faits sans rapport avec la maladie qui a provoqué le décès du patient, l’exigence d’un consentement de la personne décédée ne pouvant être satisfaite dans la quasi-totalité des cas.

            Non seulement cette distinction de deux types de prélèvement dans un but scientifique est artificielle et imprécise, mais elle est traitée dans le texte de loi avec des dispositions contradictoires. L’article L.671-7 affirme que les prélèvements “ à des fins thérapeutiques ou scientifiques ” peuvent être effectués “ dès lors que la personne concernée n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement ”. L’article L. 671-9 soumet les prélèvements à des fins scientifiques au “ consentement du défunt, exprimé directement ou par le témoignage de sa famille ”.

            Les prélèvements destinés à rechercher les causes du décès sont soumis à une condition particulière : “ la famille est informée des prélèvements effectués en vue de rechercher les causes du décès ”. Il faut remarquer que le mode de conjugaison du verbe informer ne précise pas si l’on prévient avant de faire ou après avoir effectué, et cette imprécision semble avooir été voulue. En pratique cette ambiguïté destinée à sauver l’autopsie médico-scientifique n’a pas atteint son but. L’expérience a prouvé que peu de médecins se sentent en mesure d’accroître les problèmes d’une famille en deuil en la prévenant qu’une autopsie a été faite ou sera faite. Plusieurs interprétations peuvent être données de cette attitude, souci d’humanité ou crainte de faire apparaître des insuffisances dans le domaine du diagnostic ou des soins. Le choix entre ces motivations est secondaire, seule la situation réelle a un sens pour ceux qui s’intéressent au  respect des lois et aux progrès de la santé publique, cette dernière n’étant que l’expression collective de la sauvegarde des individus.

            J’ai effectué une enquête auprès de la totalité des services d’anatomie pathologique pratiquant des autopsies médico-scientifiques, soit 136 services. Le nombre total de ces autopsies en 1996 a été de 4125. Nous ne disposons pas de valeurs comparables pour les années précédentes au niveau national, mais une étude faite sur les seuls établissements de l’assistance publique - hôpitaux de Paris en 1980 indiquait que 5791 autopsies avaient été pratiquées cette année là. Cette réduction s’accompagne de différences régionales considérables, certaines régions ayant pratiquement renoncé à la pratique des autopsies (carte 1, page 4).

            Le point le plus inquiétant dans un Etat fréquemment qualifié “ d’état de droit ”, est l’absence de respect des dispositions de la loi de 1994 dans de nombreux établissements. 46 établissements sur 121 qui ont répondu à cette question n’appliquent pas la loi, c’est-à-dire que les familles ne sont pas prévenues systématiquement que des prélèvements ont été effectués (ou seront effectués) pour préciser les causes de la mort. Les hôpitaux qui l’appliquent strictement ont réduit le nombre d’autopsies dans des proportions beaucoup plus importantes que les autres. Les hôpitaux qui ont documenté la réduction du nombre de leurs autopsies avant et après l’application de la loi indiquent une réduction moyenne de 61% après application des textes de 1994.

 

Ma proposition

 

Elle se fonde sur les notions suivantes :

n    la loi précédente de 1976 réglant les autopsies médico-scientifiques, dite loi Caillavet, fondée sur le consentement présumé, ne rencontrait pas de difficultés d’application importantes. On peut seulement lui reprocher d’avoir été mal connue. Les malades et leur famille ignoraient fréquemment que pour exprimer le refus d’une autopsie il fallait une démarche active du patient (document écrit ou déclaration lors de l’hospitalisation), ou de sa famille après sa mort. A une période où les moyens de communication sont ce que nous connaissons, cet état de fait traduisait une absence de volonté de communiquer sur le contenu de la loi et non son inadaptation,

n    nous sommes dans une situation dominée par l’ambiguïté, celle du législateur qui a rédigé un texte qui divise les juristes et celles des responsables administratifs et politiques qui se sont refusés à produire ne serait-ce qu’une simple circulaire administrative pour donner des directives aux établissements et aux médecins. Le résultat est à la fois une réduction du nombre des autopsies et la non-application de la loi par la majorité des établissements. Nous ne pouvons demeurer dans cette situation cumulant l’imprécision de la loi et sa non application, il faut trouver rapidement une solution associant les principes éthiques énoncés par le législateur à une qualité pratique permettant une application sans ambiguïté.

n    si l’on souhaite remplacer un accord présumé (qui ne s’est pas opposé consent) par un système hybride entre l’accord présumé et l’accord explicite, en recherchant activement la volonté de la personne décédée, ce n’est pas en questionnant la famille après le décès que l’on se place dans de bonnes conditions pour connaître la volonté du défunt. Il y a un moment pour le deuil et d’autres moments pour réfléchir au destin du corps après la mort, c’est-à-dire faire un choix entre le service rendu aux autres et l’interdit de toute atteinte physique à son cadavre. La seule méthode raisonnable est de demander à chacun d’entre nous quelle est sa volonté, ceux qui sont habilités à faire des prélèvements sur le corps humain après la mort pouvant consulter le registre informatisé où cette volonté sera exprimée. Elle doit pouvoir être modifiée à tout moment.

 

Cette solution pourrait être traduite dans la loi par les dispositions suivantes :

 

Remplacer avant la fin de l’année 1997 les articles L 671-7 à L 671-9 de la loi du 30 juillet 1994 par les dispositions suivantes :

Art. L 671-7.

            Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée a fait connaître de son vivant son acceptation d’un tel prélèvement. Sa volonté peut être exprimée sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Elle est modifiable à tout moment. Les conditions de fonctionnement du registre sont déterminées par un décret en Conseil d’Etat. Il doit comporter des dispositions organisant la consultation de l’ensemble des assurés sociaux majeurs et de leurs ayants droits.

 

Art. L 671-8 inchangé

Art. L 671-9 Pendant la période précédant la mise en œuvre du registre prévu par l’article L 671-7 ou si la personne décédée n’a pas fait connaître sa volonté sur ce registre, les dispositions de la loi N° 76-1181 du 22.12.1976 demeurent applicables.