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Rapport N°2

 

1 - Préambule,

2 - Définition du problème,

3 - Les mots et les pratiques,

4 - Rappel de l’évolution des lois sur les autopsies et les prélèvements sur le cadavre,

5 - L’évolution de la situation depuis le vote de la loi de 1994,

6 - Les solutions envisageables,

7 - Conclusions.

 

 

1 - Préambule

 

            Plusieurs catastrophes sanitaires ont réduit l’euphorie d’une société bénéficiant des progrès des sciences et des techniques médicales en oubliant que tous les systèmes vivants sont dépendants de faits en évolution rapide et souvent difficiles à prévoir. Les notions de sécurité sanitaire, de santé publique, apparaissent de plus en plus fréquemment dans les débats politiques et les médias. Il est cependant évident pour ceux qui ont cette préoccupation d’agir sur les comportements collectifs pour sauvegarder la santé individuelle qu’une culture de santé publique ne s’improvise pas. Il ne suffit pas d’utiliser les mots dans des discours incantatoires pour développer sur le terrain l’ensemble des systèmes d’observation et de prévention qui permettent d’agir. Notre pays est confronté à une difficulté supplémentaire, son appétence pour les solutions purement organisationnelles et formelles, édifiant à la suite de débats passionnés de nouvelles structures qui existent principalement sur le papier, états majors sans troupes qui font des recommandations dont la mise en œuvre sera différée ou insuffisante. Le problème n’est pas de savoir si telle agence doit être rapprochée de telle autre, si une super agence doit superviser le tout, de situer ces organismes spécialisés par rapport au ministère et aux ministres, mais de pouvoir et de savoir au jour le jour utiliser les méthodes et les moyens qui permettent de reconnaître nos erreurs et de les corriger. Nous savons dépenser des centaines de milliards pour les soins, nous ne savons pas en mettre un seul dans les tâches d’observation et d’évaluation des déterminants de la sécurité collective.

            L’exemple de l’organisation (involontaire mais prévisible) de la disparition de l’autopsie médico-scientifique par la loi sur la bioéthique est si démonstratif de cette contradiction entre une volonté affichée et la réalité du terrain qu’il devrait être enseigné dans les écoles de santé publique et d’administration.

            Cet “ accident ” n’a pas été provoqué par un facteur unique. Comme la majorité des accidents, il est le résultat d’un ensemble de faits qui se sont conjugués pour rendre possible l’événement législatif qui a transformé les facteurs de risque en réalité. Pour indiquer dès maintenant la complexité d’un problème en apparence simple, je retiens dans le déterminisme de cette situation les 8 éléments suivants :

n    la peur des mots. Il est intéressant de remarquer qu’un texte législatif qui règle la pratique des autopsies n’utilise jamais ce mot, il traite seulement des prélèvements sur le corps humain après la mort (mais il ne dit jamais sur le cadavre). Si les pathologistes avaient la même hypocrisie, ils feraient des autopsies sans faire de prélèvements, sans enfreindre les termes de la loi ;

n    la peur des résultats. Une autopsie peut révéler des faits qui n’avaient pas été soupçonnés du vivant du malade (c’est un des buts de sa pratique), ces faits peuvent mettre en cause la responsabilité des médecins, et la peur croissante des procédures civiles ou pénales n’incitent pas ces derniers à demander une recherche qui peut leur créer des difficultés. Partagés entre la volonté de comprendre et la crainte des complications que la vérité provoque, de nombreux médecins hésitent ;

n    le manque de valorisation de cet acte long et pénible. Dans une pratique de plus en plus marquée par la limitation de la croissance des moyens, réaliser des actes qui ne sont pas reconnus dans la nomenclature de la sécurité sociale relève du sacerdoce. Quand le développement des endoscopies, de l’immunologie, de la biologie moléculaire multiplie les possibilités d’action des laboratoires de pathologie, l’incitation à faire des autopsies disparaît et le bon “ gestionnaire ” ne se battra pas pour faire prévaloir l’intérêt de santé publique et de sécurité sanitaire ;

n    le développement des autres techniques d’investigation (imagerie médicale, biologie) donne l’impression que la connaissance des événements qui ont précédé la mort est suffisante pour que le recours à l’autopsie soit inutile. Cette idée reçue est en contradiction avec tous les résultats d’études récentes sur les autopsies. La multiplication des moyens d’action des médecins accroît la fréquence de complications imprévues qui sont mises en évidence par l’autopsie ;

n    les méthodes de travail du Parlement ne sont pas adaptées à l’élaboration de textes complexes et techniques. La partie du texte de la loi sur la bioéthique concernant les autopsies a été construite par une succession d’amendements mal coordonnés, l’accélération finale par une procédure d’urgence et l’examen de multiples points en suspens par la commission mixte paritaire ne pouvaient conduire qu’à l’échec ;

n     la faiblesse de l’administration de la santé ne permet pas d’instruire de telles décisions législatives. La commission qui préparait le débat parlementaire n’avait pas d’étude comparative des législations des pays de la communauté sur ce problème, aucune étude statistique nationale de la pratique des autopsies médico-scientifiques n’était disponible,

n    le sujet n’intéressait qu’un nombre limité de personnes. Les pathologistes ont rédigé des documents attirant l’attention sur le risque d’une réduction d’une pratique qui relève du contrôle de qualité. Quelques journalistes ont compris l’intérêt du problème et ont relayé leurs préoccupations, ces soutiens n’ont pas permis d’atteindre le seuil qui transforme une difficulté à résoudre en scandale de santé publique, condition paraissant indispensable pour attirer l’attention des décideurs dans une société médiatisée ;

n    les grands organismes nationaux, qui devaient être les relais naturels des pathologistes pour soutenir la pratique des autopsies médico-scientifiques, ont été défaillants. Soit ils ne sont pas intéressés au problème (Haut Comité de Santé Publique), soit leurs démarches ont été inefficaces, témoignant de leur inadaptation aux réalités de l’époque, à la perte inquiétante de leur pouvoir et de leur rôle (Académies) ;

n    d’autres facteurs sont intervenus, leur rôle a été secondaire, nous les citerons dans le corps de ce rapport.

 

 

2 - Définition du problème :

 

L’accord des pratiques avec l’éthique est difficile et progressif, même quand les principes sont nettement définis et les textes clairement rédigés. C’est pour tenir compte de ces difficultés que la loi sur la bioéthique du 29 juillet 1994, dans sa partie relative au respect du corps humain, prévoyait un nouveau débat après cinq années d’application. Dans certains domaines, les problèmes sont apparus immédiatement et il semble impossible d’attendre cinq ans pour les régler. C’est le cas pour les prélèvements effectués après la mort dans un but thérapeutique ou médico-scientifique.

Le but de ce document est de faire le point sur la situation et de préparer le travail du groupe d’experts que le gouvernement envisage de réunir pour lui proposer les solutions qui permettraient de sortir de l’impasse actuelle.

 

            Le problème posé peut se résumer comme suit :

 

Avant la loi sur la bioéthique de 1994 les médecins pouvaient faire des prélèvements sur le cadavre pour préciser les causes de la mort ou dans un autre but scientifique quand la personne décédée ou la famille n’avaient pas explicitement manifesté leur opposition à de telles pratiques. Ils n’étaient pas obligés de rechercher la volonté du défunt auprès de la famille. La loi du 29 juillet 1994 a distingué trois catégories de prélèvements sur le cadavre : dans un but thérapeutique, dans un but scientifique destiné à préciser les causes du décès, et dans d’autres buts scientifiques. Dans tous les cas la famille doit être soit prévenue, soit consultée, et ces dispositions ont provoqué deux attitudes : ne pas appliquer la loi pour maintenir des pratiques considérées comme utiles, l’appliquer et réduire dans des proportions très importantes ces prélèvements pour ne pas avoir à faire ces démarches auprès de la famille.

 

            Mon but n’est pas de définir ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas. Comme dans la majorité des problèmes complexes nous sommes face à un conflit d’éthiques et la difficulté consiste à créer une hiérarchie et des compromis entre des éthiques dont les principes s’opposent. C’est au Parlement de faire ces choix, mais il doit les faire en étant averti de leurs conséquences. Je tenterai donc de décrire des situations, de les expliquer et d’envisager les solutions possibles pour sortir de l’impasse actuelle.

 

 

3 - Les mots et les pratiques :

 

L’inadaptation du texte actuel à la réalité a plusieurs causes. Le refus d’utiliser des mots précis ou  l’introduction de distinctions qui ne correspondent pas à la réalité ont joué un rôle important dans la confusion introduite par la loi de 1994. Il semble impossible d’appliquer correctement des principes éthiques si l’on commence par refuser d’appeler les choses par leur nom. La première erreur du législateur a été de proscrire le terme d’autopsie qui lui faisait peur et de limiter le domaine de la loi aux prélèvements. Du fait de cette lacune un médecin pourrait actuellement pratiquer une autopsie sans effectuer de prélèvement, chez une personne ayant déclaré avant sa mort son opposition à toute atteinte à son cadavre. En réalité c’est l’ouverture d’un corps, l’atteinte à son aspect extérieur, plus que le prélèvement de quelques grammes de tissus pour des examens microscopiques qui est refusée par une fraction de la population.

Il est donc possible de respecter la lettre de la loi sans respecter l’intégrité d’un cadavre. Une autre confusion a été introduite lors de la discussion du texte devant les assemblées par la division du groupe des prélèvements scientifiques en deux catégories, ceux destinés à préciser les causes du décès et les autres. Cette distinction n’a jamais été fondée sur des critères ayant un sens pour les professionnels qui font ces prélèvements. Nous savons par les comptes rendus des débats que les législateurs ont créé tardivement cette distinction en réalisant que des dispositions trop restrictives allaient mettre en danger une forme de contrôle de qualité à l’hôpital, qui est la recherche des causes de la mort quand elle demeure mal expliquée par les médecins qui ont eu en charge le patient. Voulant éviter de se déjuger en abandonnant toutes les dispositions déjà adoptées, ils ont inventé cette distinction entre deux types de prélèvements scientifiques, en plaçant des contraintes plus difficiles à satisfaire aux prélèvements qui n’étaient pas destinés à préciser les causes du décès. L’erreur d’appréciation a été double car d’une part la distinction est dépourvue de sens, d’autre part la mesure s’est révélée inefficace.

Il est presque toujours possible de soutenir que les recherches paraissant purement scientifiques au premier examen vont contribuer à préciser les causes de l’affection qui a finalement entraîné la mort. Une pathologie mortelle est un enchaînement d’événements mettant en jeu des séquences causales qui s’intriquent étroitement et permettent de soutenir, sans la moindre mauvaise foi, que l’on recherche la cause du décès tout en faisant de la recherche scientifique. Nous prendrons un exemple d’actualité pour illustrer le caractère artificiel de ces distinctions et démontrer qu’une application étroite du concept de cause du décès est une illusion. La maladie de Creutzfeld-Jakob est connue depuis un siècle, des formes particulières sont survenues au cours des dernières années, que l’on tente de rattacher aux contaminations alimentaires des bovins par des farines contenant des prions. Quand un patient a une telle maladie documentée par le contexte clinique et éventuellement une biopsie cérébrale, il est indispensable de faire une examen complet du cerveau après la mort pour préciser la topographie des lésions et leurs aspect morphologiques. Ce sont ces aspects qui permettent de rattacher entre elles certaines formes anatomo-cliniques et de suspecter l’intervention causale de la viande de bœuf, sans que nous en ayons actuellement la certitude. Si les résultats de ces recherches scientifiques permettent de confirmer qu’il y a bien une entité pathologique que l’on peut rattacher à une contamination par de la viande bovine, la recherche scientifique aura joué son rôle pour préciser les causes de ce type de décès. Dans l’attente de cette confirmation nous ne pouvons dire que l’autopsie d’un patient atteint d’une maladie de Creutzfeld-Jakob est destinée à préciser les causes du décès, nous n’avons pas les moyens d’affirmer l’étiologie bovine. La nécessité de l’autopsie pour faire évoluer nos connaissances est reconnue par la communauté scientifique et par les responsables de la santé. Une circulaire de la Direction Générale de la Santé du 10 octobre 1996 (N°630) relative à la surveillance de la maladie de Creutzfeld-Jakob précise : “ Le diagnostic définitif, notamment celui des cas de la nouvelle variante de MCJ (V-MCJ), ne peut intervenir qu’avec tous les éléments neuropathologiques recueillis lors d’une autopsie. Une biopsie est fortement déconseillée car, en dehors des problèmes déontologiques et de la contamination du matériel, elle peut être négative dans une authentique MCJ et ne permet pas d’obtenir des éléments concernant la localisation des lésions, éléments indispensables pour établir la forme clinique dont il s’agit et donc envisager des hypothèses sur l’origine d’une éventuelle contamination ”.

 

 Il convient, avant toute étude de l’impasse actuelle de préciser le sens des mots et d’éviter des distinctions artificielles qui ne peuvent aboutir qu’à des confusions dans le domaine de l’éthique et des pratiques.

 

3-1 Les autopsies (synonyme nécropsies) sont des actes médicaux qui consistent à examiner un cadavre par des incisions portant habituellement sur le tronc pour explorer les viscères, sur le cuir chevelu et la boîte crânienne pour examiner l’encéphale, plus rarement au niveau de la colonne vertébrale et des membres. Cette exploration est suivie d’une reconstitution de la continuité des téguments par des sutures analogues à celles utilisées après les actes chirurgicaux. Ces atteintes à l’intégrité du corps après la mort ont des finalités très variables qui commandent en grande partie les cadres juridiques dans lesquels elles sont pratiquées.

 

3-1-1  L’autopsie médico-légale. Elle est en dehors du domaine couvert par ce rapport et réalisée à la demande des autorités judiciaires. Cette autopsie médico-légale est pratiquée par un médecin expert (ou plusieurs) désigné par ces autorités, dans le cadre du code de procédure pénale. La réquisition rédigée par le parquet ou le juge d’instruction fixe la mission de l’expert qui peut procéder aux prélèvements qui lui paraissent utiles. Aucune limite topographique ou méthodologique n’entrave cette expertise. Ni le patient avant sa mort, ni la famille après le décès, ne peuvent s’opposer à une autopsie médico-légale.

 

3-1-2  L’autopsie médico-scientifique. Elle est réalisée dans un établissement hospitalier habilité par le ministère de la santé. Le chef de service hospitalier dans lequel le malade était soigné effectue une demande qui est visée par un responsable administratif de l’établissement, après vérification de l’absence d’opposition à cette autopsie. L’acte est réalisé par un anatomo-pathologiste appartenant au service de l’établissement spécialisé dans cette discipline. Un médecin est responsable du rétablissement d’un aspect extérieur du corps permettant sa présentation à la famille. C’est ce type d’autopsie qui a été divisé en deux catégories par la loi de 1994.

 

3-1-3  Le don du corps pour la science. Pour faire des recherches anatomiques, apprendre l’anatomie aux étudiants en médecine, favoriser la mise au point d’interventions chirurgicales, réaliser des expérimentations, en particulier dans le domaine de la biomécanique, les services d’anatomie des Unités de Formation et de Recherche médicales ont développé des activités fondées sur le don du corps pour la science. Les personnes qui décident de leur vivant d’effectuer ce don entrent en relation avec les services de don du corps de ces UFR. Elles effectuent alors des démarches qui sont considérées comme un véritable legs. Après leur décès leur corps sera pris en charge par l’UFR et utilisé dans une activité d’enseignement ou de recherche. La loi de 1994 n’a pas modifié ces pratiques, le don du corps étant une démarche explicite qui satisfait les exigences de la loi pour les prélèvements dans un but scientifique.

 

3-1-4  Les autopsies destinées à préciser les causes de la mort dans des cadres particuliers indépendants du droit pénal et du domaine médico-scientifique. Une personne décédée pouvait être bénéficiaire d’une pension liée à un handicap ou une maladie reconnue comme secondaire à une cause ouvrant droit à une indemnisation. Une blessure de guerre ou une affection médicale survenue sous les drapeaux ayant laissé des séquelles, une maladie professionnelle ou un accident du travail, font partie de ce groupe. En cas de décès l’organisme qui assure le versement de la pension doit pouvoir établir si la mort est en relation avec l’événement qui la justifiait. L’article L-442-4 du code de sécurité sociale prévoit expressément le refus d’autopsie par les ayants droits supprime la présomption d’origine accidentelle. La famille doit alors prouver la relation de cause à effet entre l’accident et le décès. L’application de ces textes a provoqué de nombreuses procédures et la jurisprudence permet de mieux comprendre l’articulation entre la volonté de la famille et les exigences de l’organisme payeur. La présomption d’origine accidentelle du décès est très importante dans notre droit. Elle n’est écartée que si la circonstance qui a déclenché le processus aboutissant à la mort naturelle est mise en évidence, notamment par une autopsie révélant que le décès est la conséquence d’une pathologie antérieure. C’est à la CPAM de demander explicitement l’autopsie, elle ne peut se contenter d’avertir les ayants droits qu’ils peuvent eux-mêmes la provoquer et se prévaloir ensuite de l’absence d’autopsie pour considérer qu’il y a eu refus.

Cette situation nous aide à déterminer une forme de hiérarchie éthique dans les atteintes à l’intégrité d’un corps prévues par le législateur. Si les ayants droits refusent l’autopsie, ils renoncent du même coup à utiliser le moyen le plus efficace pour établir que le décès était en rapport avec la cause de la pension. Il faut rapprocher la rareté de ces refus et la fréquence de ceux qui interviennent lors de demandes de prélèvement d’organes dans un but thérapeutique ou médico-scientifique. Ce constat permet de dire qu’a un niveau statistique, l’intérêt financier passe avant le refus d’une autopsie. Cette notion devrait être prise en compte par le législateur quand il tente de préciser les fondements éthiques de ses choix.

 

3-2 Les prélèvements sur le cadavre

 

            La notion de prélèvement sur le cadavre est à la fois liée à la pratique des autopsies médico-scientifiques et distincte de cette dernière. Nous avons vu qu’il est possible de faire des autopsies sans prélèvement, en particulier quand les lésions sont observables à l’œil nu et qu’il est inutile d’user d’une méthode microscopique exigeant des prélèvements. J’ai pratiqué de très nombreuses autopsies de victimes d’accidents de la route, la majorité d’entre elles n’exigeaient pas de prélèvements de tissus ou d’organes. A l’opposé, certaines atteintes à l’intégrité du cadavre après la mort ont pour seule finalité l’examen des prélèvements qui ont été réalisés. La distinction la plus importante sépare les prélèvements dans un but thérapeutique des prélèvements destinées à produire des connaissances.

 

3-2-1  Les prélèvements dans un but thérapeutique. Ils se divisent en deux catégories :

 

· prélèvements effectués “ à cœur battant ” d’organes destinés à des transplantations avec rétablissement de la continuité des vaisseaux qui les alimentent. Ils sont possibles quand le décès d’une personne a été constaté par les méthodes définies dans le décret n°96-1041 du 2 décembre 1996. La ventilation assistée (éventuellement la circulation assistée) est maintenue jusqu’au moment du prélèvement pour éviter des altérations de l’organe qui compromettraient la réussite de la transplantation.

 

· prélèvements effectués à distance de l’arrêt cardiaque. Dans un but thérapeutique il s’agit de tissus dont la survie n’est pas compromise par un prélèvement effectué quelques heures après la mort (peau, cornée, valves cardiaques) ou de structures anatomiques qui sont utilisées pour leurs caractéristiques physiques permettant le remplacement de structures identiques supprimées par un acte chirurgical et dont la vitalité n’est pas indispensable à leur fonction mécanique. (osselets de l’oreille moyenne, os du bassin destiné à remplacer un os identique enlevé pour une tumeur etc.).

 

3-2-2   Les prélèvements dans un but médico-scientifique. Il s’agit de prélèvements de tissus ou d’organes destinés à un examen par des techniques microscopiques, microbiologiques (recherche de germes, de parasites) ou biochimiques. Le but est de préciser la nature des pathologies observées chez un malade (particularité de l’affection, complications, étiologie, influence des thérapeutiques etc.). Nous avons signalé l’absence de fondement pratique d’une distinction entre les prélèvements scientifiques destinés à préciser les causes de la mort et les autres prélèvements scientifiques. Les prélèvements dans un but scientifique qui ne contribuent pas à la compréhension des causes de la mort sont rares.

 

 

4 - Rappel de l’évolution des lois sur les autopsies et prélèvements sur le cadavre.

           

4-1  La loi n° 76-1181 du 22 décembre  1976, dite “ loi Caillavet ” (annexe 2) a précisé des dispositions qui étaient déjà appliquées en pratique dans la période antérieure. Elle se fondait sur la notion très simple d’accord présumé (accord implicite). Si un individu n’a pas fait connaître de son vivant son opposition à des prélèvements sur son corps après sa mort, de tels prélèvements peuvent être effectués. Le point important n’est pas dans le texte de la loi mais dans le décret d’application n°78-501 du 31 mars 1978 (annexe 2). Ce dernier ne contraignait pas les médecins ou l’administration à rechercher auprès de la famille, après la mort, la volonté du défunt. Il fallait que la personne ait explicitement fait état de son vivant de son opposition à de tels prélèvements ou que la famille exprime cette opposition par une démarche volontaire, sans que l’administration ou les médecins aient à rechercher cette volonté. Cette situation a souvent été considérée comme ambiguë, la loi étant mal connue et de nombreuses personnes pouvant ne pas savoir qu’une démarche de leur part était indispensable pour éviter un prélèvement sur leur cadavre. Il faut cependant conserver deux notions à l’esprit, les conflits liés à l’application de ces dispositions étaient très rares et d’autre part il était facile d’améliorer la connaissance du public dans ce domaine sans modifier la lettre du texte de la loi de 1976.

            Pour comprendre les difficultés introduites par la loi de 1994, il est indispensable de savoir que la loi de 1976 était appliquée suivant deux modalités différentes correspondant à la distinction que nous avons expliquée en  3-2-1 et 3-2-2 entre les différents types de prélèvements. Quand les prélèvements étaient effectués dans les services de soins, à “ coeur battant ”, au terme d’une réanimation devenue inutile et dans un but de transplantation d’organes, les médecins avaient une relation avec la famille durant laquelle ils expliquaient ce qu’était la mort cérébrale avec maintien artificiel de fonctions cardiaques et respiratoires. Ils abordaient également le problème de la transplantation et recueillaient éventuellement une opposition à cette pratique sous une forme habituellement ambiguë, c’est l’opposition de la famille plus que celle de la personne décédée qui était exprimée. Cette relation avec la famille était absente dans la plupart des cas lors de la pratique d’autopsies médico-scientifiques ou lors de prélèvements tissulaires effectués à distance de la mort dans un but thérapeutique, en particulier pour des greffes de cornées. Il y avait donc une erreur manifeste d’appréciation quand le législateur a cru qu’il ne bouleversait pas la loi de 1976 en exigeant la consultation de la famille sur la volonté du défunt, il introduisait en fait une transformation majeure de la loi puisque la majorité des prélèvements effectués sous le régime de la loi Caillavet étaient réalisés sans consultation de la famille, les médecins et l’administration se contentant de vérifier l’absence d’opposition exprimée auprès des services administratifs de l’établissement. Il faut comprendre que ce n’est pas pour des raisons éthiques que les médecins parlaient de prélèvements à la famille en cas de prélèvements à coeur battant et ne disaient rien pour d’autres prélèvements effectués plus tardivement. Leur éthique n’était pas à deux vitesses en fonction du type d’organe prélevé. C’est le contexte du prélèvement qui déterminait l’existence ou l’absence d’une relation avec la famille sur ce point. C’est le passage en salle d’opération pour prélever les reins ou le coeur et les poumons, le foie, et l’arrêt des machines après ces prélèvements, qui marquait pour la famille dans l’attente de l’irréversible la véritable mort. Une relation avec la famille était indispensable dans un tel contexte.

A l’opposé quand la mort est survenue dans un autre environnement que celui dramatique de la mort cérébrale avec conservation artificielle des autres fonctions, la situation est très différente. La famille a vu le corps d’une personne dont la mort est dépourvue d’ambiguïté à ses yeux. Ce corps sera transporté dans une salle des morts et aucune association n’est alors possible entre les prélèvements effectués et l’arrêt de la réanimation. Les médecins qui parlaient à la famille dans un type de prélèvement et ceux qui n’en parlaient pas dans d’autres types de prélèvements n’avaient pas deux éthiques différentes, ils étaient dans des pratiques différentes dont l’une rendait la relation avec la famille indispensable, l’autre pas.

 

4-2  La loi du 29 juillet 1994 est issue d’un projet qui dans sa forme initiale reprenait les dispositions de la loi de 1976. Ce texte a été progressivement modifié au cours des débats parlementaires et il est difficile de comprendre le texte final si l’on ne suit pas sa complexification progressive aboutissant à une transformation profonde et surtout à des imprécisions graves, voire à des contradictions.

            Le texte suivant reproduit le texte de la loi avec en italiques mon commentaire sur les principaux problèmes posés.

 

 

Section 3

 

       "Du prélèvement d'organes sur une personne décédée.

 

           "Art. L. 671-7. - Le prélèvement d'organes sur une personne décédée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques ou scientifiques et après que le constat de la mort a été établi dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat.

                  

       "Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement.

 

       "Ce refus peut être exprimé par l'indication de  sa volonté sur un registre national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment. Les conditions de fonctionnement et de gestion du registre sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.

 

Les deux alinéas indiquent que les prélèvements à des fins scientifiques peuvent être effectués en l'absence de REFUS.

"l'indication de sa volonté sur un registre national automatisé" permet d'organiser soit un fichier limité à l’enregistrement de la volonté de ceux qui effectuent la démarche de s’y inscrire, soit un fichier de la quasi-totalité de la population si une démarche de questionnement systématique est entreprise. Les résultats pratiques seraient totalement différents.

      

       "Si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir le témoignage de sa famille.

      

       "Art. L. 671-8. - Si la personne décédée était un mineur ou un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection légale, le prélèvement en vue d'un don ne peut avoir lieu qu'à la condition que chacun des titulaires de l'autorité parentale ou le représentant légal y consente  expressément par écrit.

      

       "Art. L. 671-9. - Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le  témoignage de sa famille.

      

Quels sont les critères permettant de différencier l'autopsie scientifique pour préciser les causes du décès et les autres autopsies scientifiques ? Pour les prélèvements autres que ceux ayant pour but de préciser les causes du décès, l'absence de refus du L671-7

devient un consentement. Les deux articles sont contradictoires.

 

 

       "Toutefois, lorsque le défunt est un mineur, ce consentement est exprimé par un des titulaires de l'autorité parentale.

      

       "La famille est informée des prélèvements effectués en vue de rechercher les causes du décès.

 

Le temps de conjugaison semble indiquer que la famille peut être informée après la réalisation des prélèvements. Cette obligation s’ajoute-t-elle à celle de l’article 671-9 (recueil du témoignage de la famille) ?

 

 

            En résumant les débats parlementaires et le résultat du travail de la commission mixte paritaire on peut dire que le Parlement a maintenu le principe du respect de la volonté du défunt (ce n’est pas la famille qui donne ou refuse son accord), et du moins en théorie maintenu le principe de l’accord présumé. Si la personne n’a pas exprimé son opposition de son vivant, elle est considérée comme acceptant des prélèvements sur son corps après sa mort. Cependant, pour éviter toute ambiguïté dans les modalités d’expression de cette volonté, une ultime modification introduite lors de la commission mixte paritaire a introduit la nécessité de recueillir le témoignage de la famille. Cette disposition transformait profondément l’application pratique de la loi.

            La seconde modification importante a concerné les prélèvements dans un but scientifique. Ils ont été scindés en deux groupes, ceux destinés à préciser les causes du décès (pour lesquelles “ la famille est informée des prélèvements effectués ”) et les autres prélèvements scientifiques qui ont été l’objet d’une exigence supplémentaire. Ce n’est plus l’absence d’opposition du défunt qui était requise mais son consentement. Comme pour les prélèvements dans un but thérapeutique, le médecin devait rechercher auprès de la famille ce consentement s’il n’en avait pas une connaissance directe. La contradiction devenait alors évidente entre le second alinéa de l’article 671-7 qui traitait à la fois des deux types de prélèvement (thérapeutiques ou scientifiques) en précisant que “ Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement ”


5-  L’évolution de la situation depuis le vote de la loi

 

            La partie de la loi de 1994 qui nous intéresse ne comportant pas de décret ni d’arrêté nécessaires à son application, ses dispositions concernant les prélèvements au cours d’une autopsie médico-scientifiques devaient être appliquées dès le début du mois d’août 1994. Une minorité d’établissements a appliqué la loi, habituellement après un délai de quelques mois à un an correspondant à l’attente d’instructions ministérielles sur la manière de procéder (elles ne sont jamais venues), la majorité ne l’applique toujours pas au début de 1997.

            Nous affirmons souvent pour nous rassurer que nous vivons dans un état de droit. La réalité est plus nuancée, nous connaissons un certain nombre de situations ou le droit ne s’applique pas. Il peut s’agir de domaines dans lesquels l’évolution des moeurs à été telle que la loi est trop éloignée des réalités pour être applicable, il serait alors utile de mettre ces textes désuets en accord avec les pratiques pour conserver à la loi le respect qu’elle mérite. Pour la loi sur la bioéthique, la réaction à des aspects inadaptés de ce texte a été le refus de son application. Cette situation est d’autant plus surprenante que cette illégalité est connue des responsables administratifs ou politiques et constitue une forme d’acceptation de la mise entre parenthèses de nos références démocratiques. Confrontés aux difficultés d’application de la loi, et à ses ambiguïtés, certains pathologistes ont sollicité l’avis de leur tutelle, en particulier en écrivant à la Direction générale de la santé pour avoir des instructions précises sur les modalités de mise en oeuvre du texte et sur l’interprétation des dispositions paraissant contradictoires. Ils n’ont obtenu aucune réponse. Les administrations hospitalières n’ayant pas lu ni compris, pour la majorité d’entre elles, les modifications apportées par la nouvelle loi, ou considérant que la responsabilité des démarches auprès des familles incombait aux médecins, ne sont pas intervenues et ont continué à viser des demandes d’autopsies médico-scientifiques comme si la nouvelle loi n’avait pas modifié la situation existante. Ce fait est en particulier attesté par le fait que trois ans après le vote de la loi, de nombreux établissements hospitaliers ont conservé les anciens formulaires de demandes d’autopsies faisant référence à la loi de 1976.

            Ayant été chargé de rédiger ce rapport sur les autopsies médico-scientifiques, j’ai demandé à l’administration de la santé une étude des pratiques réelles. Il m’a été répondu deux mois plus tard qu’il paraissait “ difficile de mener une enquête exhaustive sur ce thème sans envoyer un questionnaire précis et prévoir d’emblée les modalités de son exploitation, ce qui nécessitera dans le meilleur des cas plusieurs semaines. Peut être serait-il plus efficace que vous tentiez une estimation réalisée sur l’activité de prélèvement ayant pour but de rechercher les causes de décès dans les CHU pour l’année 1995 et 1996 ”. J’ai donc entrepris moi-même cette étude, préférant retarder la remise de ce rapport et lui donner un contenu répondant à la question qui m’était posée. Un questionnaire a été adressé à tous les services hospitaliers publics ayant un service d’anatomie pathologique, qu’ils aient le statut de centre hospitalier et universitaire ou de centre hospitalier, et aux centres de lutte contre le cancer (annexe 3). Les centres qui n’avaient pas répondu ont été relancés, l’échec d’une seconde relance a provoqué un appel téléphonique du chef de service jusqu’à l’obtention de la réponse, une étude exhaustive me paraissant indispensable.

            136 centres ont réalisé 4281 autopsies d’enfants et d’adultes en 1996, 6465 autopsies de fœtus, d’enfants morts nés ou à la suite de décès péri-nataux. Cette distinction en deux groupes des autopsies médico-scientifiques me paraissait indispensable, car les obstacles à la réalisation d’autopsies de foetus ou de nouveaux nés sont très limités par rapport à ceux qui interviennent dans les autopsies d’enfants plus âgés ou d’adultes. Associer les deux types d’autopsies risquait de masquer l’effondrement de la pratique des autopsies dans ce dernier groupe. Cette situation s’explique assez facilement. Les parents veulent savoir quelle est la raison d’une interruption de la gestation par la mort du foetus, en particulier pour être assurés que le phénomène ne risque pas de se reproduire lors d’une nouvelle grossesse. Les liens affectifs établis avec un enfant à naître ne sont pas identiques à ceux qui unissent à un enfant plus âgé ou à un adulte, et en pratique les autopsies foetales ou périnatales sont facilement acceptées, voire demandées par les parents.

            Les résultats détaillés sont présentés dans les tableaux de l’annexe 4, ils sont illustrés par deux cartes établissant un taux par rapport à la population de chaque région. Il aurait été plus précis d’établir ce taux par rapport au nombre de décès observés dans les régions en 1996. La différence aurait été minime, les différences entre les taux de mortalité des régions sont sans commune mesure avec celles que nous observons dans la pratique des autopsies médico-scientifiques. Il existe une géographie de la régression de la pratique des autopsies qu’il est difficile d’évaluer avec précision car aucune étude antérieure de ce type n’est disponible. Nous savons cependant que dans les seuls services de l’Assistance Publique/Hôpitaux de Paris, le nombre d’autopsies d’enfants et d’adultes pratiquées en 1980 était de 5791, il était donc supérieur à celui des autopsies équivalentes pratiquées sur l’ensemble du territoire national en 1996. Il faut remarquer que deux régions ont une situation un peu moins dégradée qu’ailleurs. L’Alsace dont la tradition de rigueur dans la mise en oeuvre de la méthode anatomo-clinique persiste encore de nos jours, et la région Ile-de-France qui exprime également une certaine fidélité à des traditions de maintien d’une connaissance scientifique malgré les obstacles législatifs. Dans certaines régions c’est un abandon dramatique d’une forme de sécurité sanitaire qui s’est produit.

            L’analyse des modalités d’application de la loi fait apparaître une grande diversité des situations. Sur les 121 centres qui ont précisé leur pratiques d’autospsies en 1996 :

            - 75 (62 %) ont respecté la loi, les médecins demandeurs avaient prévenu la famille que des prélèvements seraient pratiqués au cours d’une autopsie ou s’étaient engagés à le faire. Ils avaient dans ce but modifié les documents administratifs utilisés. Un exemple d’une demande conforme aux dispositions légales est présenté en annexe (annexe 5),

            - 46 (38 %) ont continué à appliquer les dispositions de la loi de 1976, ne renonçant à faire l’autopsie que si la famille (ou le patient lors de l’hospitalisation) avaient manifesté activement leur opposition à sa réalisation, sans que cet avis soit sollicité.

           

La situation peut donc se résumer dans les termes suivants :

 

- une loi réglementant les prélèvements sur le cadavre dans un but médico-scientifique a été votée il y a trois ans, elle n’est pas appliquée dans la majorité des établissements,

- les responsables politiques et administratifs connaissent cette situation et ils n’ont pas tenté de la modifier,

- les médecins limitent progressivement leur recours aux autopsies, préférant ne pas les demander plutôt que d’avoir à les faire dans les conditions prévues par la loi. Le résultat est une diminution inquiétante du recours à cette forme de contrôle de qualité relevant de la sécurité sanitaire.

 

6 - Les solutions envisageables

 

6-1  Attendre le délai de cinq ans prévu dans la loi sur la bioéthique pour modifier certaines de ses dispositions,

 

            Cette solution de facilité aurait des conséquences importantes. Un pathologiste est actuellement formé en quatre années et l’on peut se poser le problème de la valeur d’un diplôme obtenu dans une région où l’autopsie médico-scientifique aurait disparu pendant une durée supérieure à celle de la formation d’un spécialiste. Les arguments les plus importants pour limiter au maximum la période de nuisance de la loi actuelle tiennent également à la rapidité avec laquelle les habitudes contraignantes se perdent. Les autopsies sont une charge pour les services d’anatomie pathologique, alors que la période actuelle est caractérisée par un développement de leur activité dans des domaines nouveaux. L’immunohistochimie, la biologie moléculaire, la multiplication des prélèvements endoscopiques et des biopsies qui les accompagnent, modifient considérablement l’activité de nos services. La solution de facilité est de développer ces activités en récupérant le temps gagné par la suppression des autopsies. Cette tendance est aggravée par la faible valorisation de l’autopsie dans l’activité d’un service, en particulier parce qu’elle est absente de la nomenclature de la sécurité sociale. Certains établissements ont créé une nomenclature parallèle pour prendre en compte les actes “ hors nomenclature ”, mais l’autopsie demeure sous évaluée en temps de personnel nécessaire à son accomplissement et cet élément jouera un rôle important dans sa régression si elle n’est pas rapidement facilitée et valorisée. Quand plusieurs facteurs se conjuguent pour simultanément créer des obstacles à l’accomplissement d’un acte et en réduire l’intérêt pour des motifs économiques, il est urgent d’agir.

 

 

6-2  Tenter de modifier les effets les plus nocifs de ce texte en agissant par la voie réglementaire

 

            Si nous voulons que la majorité de la population s’exprime de son vivant et que le renseignement soit immédiatement disponible après la mort, il faut qu’un registre informatisé indique aussi bien l’acceptation que le refus de prélèvements et que la quasi-totalité de la population s’exprime. Dès 1994 j’ai proposé cette utilisation du registre prévu par l’article 671-7 de la loi, non comme un registre utilisé par une minorité de la population pour exprimer un refus, ce qui lui ôte tout intérêt pratique, mais comme un registre où l’on peut inscrire aussi bien son acceptation que son refus et dont on développe au maximum l’usage en demandant systématiquement à la population quel est son avis sur les prélèvements d’organes après la mort, en distinguant le but thérapeutique et le but scientifique.

            Deux objections peuvent être faites à un tel usage de la loi de 1994. La première est que la loi utilise le terme de refus dans l’article L671-7 (“ Ce refus peut être exprimé... ”) et ne parle pas d’acceptation. Cet argument a une portée limitée car la suite de la phrase utilise le terme “ d’expression de  sa volonté ”. Une volonté peut être aussi bien une acceptation qu’un refus et cette interprétation d’un texte dans l’ensemble très mal rédigé ne serait pas plus indigne que sa mise entre parenthèse et l’absence d’action des responsables pour sortir de l’impasse où la loi nous a engagés. A partir du moment où le médecin aurait directement connaissance de la volonté de la personne décédée en consultant le registre, il pourrait pratiquer les prélèvements utiles. La seconde est pratique, comment réaliser un fichier aussi important, impliquant le questionnement des personnes adultes résidant sur le territoire français ? La taille du fichier n’est pas un argument, le permis à points a imposé un fichier beaucoup plus compliqué et comportant un nombre équivalent d’enregistrements. Le questionnement est plus difficile à réaliser mais il ne s’agit pas d’une entreprise insurmontable et particulièrement coûteuse. Au moment du renouvellement annuel des cartes de sécurité sociale, il est possible d’adresser des questionnaires à l’assuré et à ses ayants droits majeurs, réadressés au service médical de la caisse primaire. Un marqueur ne précisant pas le choix mais la présence d’une réponse permettrait de pratiquer des relances sélectives des personnes n’ayant pas encore exprimé leur avis.

 

 

6-3  Modifier la loi

            Les options possibles sont en nombre limité si l’on veut éviter de nouvelles expérimentations dommageables pour la santé publique. Le législateur peut soit revenir à la loi précédente, c’est-à-dire renoncer à une démarche auprès de la famille destinée à faire connaître la volonté du défunt, soit maintenir l’exigence d’une preuve de l’absence d’opposition du défunt et il est alors contraint d’organiser le recueil de sa volonté de son vivant.

 

6-3-1  Revenir à la loi de 1976 dite loi Caillavet

            Si les inconvénients majeurs de la solution d’attente (6-1) ou les difficultés de l’action par voie réglementaire (6-2) font renoncer à ces choix, la seule solution raisonnable est de revenir à la loi de 1976, avec des différences dans son mode d’application qui limiteraient les inconvénients que l’on a reconnus à cette loi. Le principal argument en faveur de ce texte est qu’il correspond à la législation des autres états européens. Quand un texte de loi a une diffusion aussi importante, c’est une bonne garantie de son acceptabilité et de son applicabilité (à l’opposé la loi de 1994 qui combine l’accord présumé en cas d’absence de refus et la recherche explicite de cette absence auprès de la famille suivant des modalités qui n’ont pas leur équivalent dans d’autres législations). Le principal inconvénient reconnu à la loi Caillavet est qu’elle n’était pas suffisamment connue. Quand une famille apprenait qu’une autopsie avait été pratiquée, elle s’étonnait parfois de ne pas avoir été consultée, croyant que l’accord de la famille était obligatoire pour qu’une autopsie soit faite. L’absence de communication sur ce texte durant la période 1976-1994 explique cette situation, mais elle n’est pas irrémédiable. Les moyens actuels de communication permettent que la loi soit connue et nous connaissons des exemples de textes de loi dont la connaissance par le public a dépassé 90% de la population quelques mois après son adoption par le Parlement. Il ne s’agit donc pas d’un obstacle insurmontable et l’on peut envisager un retour à la loi de 1976 dans sa forme, complétée par une information de la population qui supprime l’argument d’une loi qui permet aux médecins de faire ce qu’ils veulent sans tenir compte de l’avis des personnes. Si la loi est connue, ceux qui veulent s’opposer à toute atteinte à l’intégrité de leur cadavre pourront le faire en utilisant un registre informatisé limité à l’enregistrement des refus.

 

 

6-3-2  Obtenir un consentement ou un refus explicite de chaque individu

            Si les responsables politiques ne souhaitent pas revenir à la loi Caillavet avec les améliorations dans sa mise en oeuvre suivant les modalités indiquées ci-dessus, et si la réalisation d’un fichier où l’ensemble de la population exprimerait sa volonté n’est pas réalisable par la voie réglementaire, la solution la plus appropriée est d’organiser ce fichier par la voie législative. Nous avons indiqué dans la première version de ce rapport les modifications de la loi qui permettraient d’atteindre cet objectif. Il conviendrait de remplacer avant la fin de l’année les articles L 671-7 à L 671-9 de la loi du 30 juillet 1994 par les dispositions suivantes :

Art. L 671-7.

            Ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée a fait connaître de son vivant son acceptation d’un tel prélèvement. Sa volonté doit être exprimée sur un registre national automatisé prévu a cet effet. Elle est modifiable à tout moment. Les conditions de fonctionnement du registre sont déterminées par un décret en Conseil d’Etat. Il doit comporter des dispositions organisant la consultation de l’ensemble des assurés sociaux majeurs et de leurs ayants droits.

 

Art. L 671-8 inchangé

 

Art. L 671-9 Pendant la période précédant la mise en œuvre du registre prévu par l’article L 671-7 et si la personne décédée n’a pas fait connaître sa volonté sur ce registre, les dispositions de la loi N° 76-1181 du 22 décembre 1976 demeurent applicables.

 

 

7 - Conclusions

 

            Une loi exigeant des conditions nouvelles pour réaliser des prélèvements après la mort dans un but médico-scientifique a été votée en 1994. Ses conséquences ont été une réduction importante de la réalisation de ces prélèvements, malgré l’absence de respect de cette loi dans de nombreux établissement hospitaliers.

            Cette situation est préjudiciable à la sécurité sanitaire. L’autopsie médico-scientifique est une forme de contrôle de qualité des actes médicaux, permettant aux médecins de préciser l’origine d’évolutions imprévues vers la mort, en particulier lors de complications thérapeutiques ou d’actes diagnostiques. Elle joue également un rôle important lors du développement de pathologies nouvelles et mal connues. L’exemple de la documentation par l’autopsie des cas anglais de nouvelles formes de maladie de Cretuzfeld-Jakob probablement d’origine bovine est démonstratif, comme l’avait été le rôle de l’autopsie dans l’individualisation des différentes formes d’atteinte cérébrale dans le sida.

            Les dispositions restrictives de la loi sont apparues à un moment critique de l’évolution de la responsabilité médicale, beaucoup plus souvent engagée que dans le passé. La perspective d’avoir à annoncer à une famille que des problèmes imprévus peuvent avoir contribué à la mort de leur proche, et qu’il faut une autopsie pour les préciser, a joué un rôle dissuasif majeur dans la demande d’autopsie. Cette dernière risquait d’apparaître comme l’aveu d’une forme d’ignorance coupable alors qu’elle est le plus souvent justifiée par une ignorance acceptable et qu’il convient de lever après la mort par l’accès aux lésions morphologiques.

            La rédaction de la loi est ambiguë, des dispositions contradictoires sont présentes à quelques lignes d’intervalle. Dans l’article L-671-7  l’absence de refus d’un prélèvement est le critère retenu, tant pour les fins thérapeutiques que diagnostiques, il devient une exigence de consentement dans l’article L-671-9 pour les prélèvements à des fins scientifiques autres que celles destinées à rechercher les causes du décès. D’autre part la distinction entre deux types de prélèvements scientifiques, ceux qui contribuent à la recherche des causes du décès et les autres, ne correspond pas à une réalité identifiable par des critères objectifs. Il est enfin impossible de savoir si les dispositions de l’article 671-9 sur les prélèvements destinés à rechercher les causes du décès excluent ou non l’application des dispositions de l’article 671-7. Autrement dit faut-il d’abord recueillir le témoignage de la famille et ensuite la prévenir des prélèvements effectués, ou n’effectuer que la seconde démarche, éventuellement après les prélèvements compte tenu du mode de conjugaison employé ?

            Cette loi mal faite, donc mal appliquée ou non appliquée, doit être modifiée rapidement. Il est de la responsabilité du Parlement d’établir un nouveau texte compréhensible et applicable.

            Pour cette révision de la loi, plusieurs solutions sont envisageables, les plus raisonnables sont soit le retour à la situation antérieure, soit la réalisation d’un fichier où la volonté de chaque individu serait exprimée, d’une part pour les prélèvements à des fins thérapeutiques, d’autre part pour des prélèvements à des fins médico-scientifiques. Il est indispensable d’éviter de rechercher l’avis du défunt auprès de sa famille après la mort, c’est le pire moment pour ce genre de démarche et il suscite des refus qui ne correspondent pas à l’opinion des personnes concernées de leur vivant. Un fichier partiel où ne s’expriment que les refus, tel qu’il est prévu dans la loi de 1994, n’a aucun intérêt, il ne concernera qu’une minorité de personnes qui effectueront la démarche et ne dispensera donc pas de la recherche auprès des familles dans la majorité des cas. Le fichier doit concerner toute la population, chaque individu étant questionné et pouvant modifier à tout moment de son existence la volonté qu’il a exprimée.

            On ne peut souhaiter une médecine de qualité, le développement du contrôle de qualité, exiger la sécurité sanitaire, et adopter des dispositions qui s’opposent à ces objectifs. Chacun est libre de livrer son corps intact aux vers ou à l’alchimie illusoire des thanatopracteurs. Si, à l’opposé, la volonté d’un individu est de faire précéder ces événements d’un geste qui témoignera de sa solidarité avec l’humanité, par le don d’organe à des fins thérapeutiques ou en favorisant le progrès des connaissances, il doit pouvoir le faire sans intermédiaires. Ce n’est pas à la famille de réécrire le testament dans un domaine aussi personnel.