Chapitre 8
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CHAPITRE VIII : Mieux armer juridiquement les décideurs publics

 

Toutes les propositions du groupe d'étude pour améliorer la prise en compte du fonctionnement des administrations par la juridiction pénale, adapter la procédure pénale et orienter les victimes vers d'autres voies que le juge pénal perdraient une part de leur justification et seraient probablement vaines si elles n'étaient pas accompagnées de suggestions pour un meilleur fonctionnement de l'Etat et des autres collectivités territoriales.

Pour réduire le risque pénal encouru par elles-mêmes et par leurs représentants, les personnes publiques doivent renforcer leur capacité d'expertise juridique, réduire l'inflation des normes techniques et offrir à leurs élus et agents une protection appropriée.

Le groupe d'étude a recensé plusieurs mesures d'adaptation des administrations. Certaines concernent toutes les personnes publiques, d'autres seulement les collectivités locales.

 

1. Propositions applicables à l'ensemble des décideurs publics.

A) Préciser les compétences, les moyens et les responsabilités impartis à chaque agent en généralisant la pratique des fiches de poste.

Une bonne partie de l'insécurité que ressentent les élus et décideurs publics tient à la répartition incertaine des compétences et des responsabilités entre différentes personnes physiques d'une même collectivité ou d'un même service. Certaines sont partagées selon une simple coutume, d'autres sont exercées cumulativement et rares sont les personnes qui peuvent définir avec précision et certitude le périmètre de leurs responsabilités, et donc, savoir pour quel type d'événements leur responsabilité pénale pourrait être recherchée.

Plus précisément, les interrogations des décideurs, telles qu'elles ont notamment été recueillies lors des auditions, tiennent souvent à la portée des délégations de signature qu'ils consentent ou reçoivent.

Le groupe d'étude ne peut, sur ce point, que reprendre les développements argumentés de l'étude du Conseil d'Etat de 1996. Pour le juge administratif saisi de la légalité d'un acte, la solution est clairement établie : la délégation de signature n'opère pas de transfert de compétence (CE, 5 mai 1950, Buisson, Rec. p.258). Le délégant reste compétent, concurremment avec le délégataire, pour prendre lui-même les décisions. Le délégataire agit au nom du délégant. La délégation de signature (à l'inverse de la délégation de pouvoir) permet donc à la fois au délégant et au délégataire de prendre la décision.

Cette solution n'est pas nécessairement transposable en droit pénal. On a pu parler d'autonomie du droit pénal (P. Guerder, in rapport 1998 de la Cour de cassation, p.108-109), qui aurait été consacrée par l'article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 issu de celle du 13 mai 1996 : la délégation de signature permet de faciliter la détermination de la personne responsable, par l'analyse du pouvoir du fonctionnaire et des moyens dont il dispose. Mais ce transfert de responsabilité ne peut pas être général et automatique.

Si la délégation de signature était accompagnée d'un transfert automatique de la responsabilité pénale vers le délégataire, on pourrait craindre que :

les délégants (les ministres ou les directeurs, les maires, présidents de conseil régional, général ou d'organisme de coopération intercommunale) soient considérés par l'opinion ou leurs subordonnés comme abusivement protégés, acceptant les honneurs et les pouvoirs de décision mais refusant les risques de l'application concrète de leurs décisions ;

les délégataires potentiels n'acceptent plus que sous conditions de recevoir des délégations de signature. Dans certaines situations, l'action administrative courrait un risque de paralysie ou, au minimum, deviendrait de plus en plus complexe, en raison de la multiplication, déjà entamée, des notes écrites des subordonnés, destinées à se couvrir en cas d'accident dans les services placés sous leur responsabilité. L'automaticité du transfert vers le subordonné de la responsabilité pénale pourrait entraîner une fuite généralisée devant les responsabilités.

Considérant ces graves risques pour l'efficacité de l'action des collectivités publiques, le groupe d'étude incite à la généralisation de fiches de poste définissant avec précision, pour reprendre les éléments introduits au Code pénal, au statut général de la fonction publique et au Code général des collectivités territoriales par la loi du 13 mai 1996, les compétences, le pouvoir et les moyens dont dispose le titulaire de chaque fonction.

Ces fiches de poste, qui ne pourraient plus être rédigées dans le seul but de décrire sommairement un poste vacant, sont cependant susceptibles d'avoir des effets indésirables en entraînant une plus grande frilosité de certains agents, réticents à agir, ne serait-ce qu'à la marge et de façon ponctuelle, en dehors de leurs attributions définies par ladite fiche, malgré un ordre de leur supérieur hiérarchique. On peut aussi en attendre une certaine rigidité s'il faut écrire au préalable toute modification de détail de la définition des tâches confiées à tel ou tel.

Enfin, si ces fiches de poste peuvent apporter davantage de précisions, orienter le juge pénal dans sa recherche des responsabilités pénales en cas d'infraction, et sécuriser ainsi les décideurs publics, elles ne pourront pas apporter de garantie absolue. Un document administratif, si précis soit-il, ne peut pas lier le juge pénal, mais seulement le guider dans son appréciation des diligences normales énoncées par la loi du 13 mai 1996, de nature à exonérer l'élu ou l'agent de sa responsabilité pénale.

B) Améliorer la formation des élus et agents publics.

1°) La formation des agents publics

Déjà mentionnée dans l'étude du Conseil d'Etat de 1996, la formation des agents publics aux questions de responsabilité pénale, même si elle a fait l'objet d'initiatives de plusieurs administrations, ne peut pas être considérée comme acquise.

Plusieurs administrations ont élaboré des directives de conduite adaptées aux missions de leurs agents en leur prescrivant des consignes simples et opérationnelles :

code de déontologie de la police nationale (décret n°86-592 du 18 mars 1986) ;

guide déontologie du fonctionnaire, pour les fonctionnaires de la direction générale des impôts (juin 1996) ;

guide prévenir les manquements internes à la probité, à la Poste (mai 1997) ;

guide responsabilité et déontologie, aux services de l'équipement (janvier 1998) ;

guide déontologie et protection des agents du trésor public (1999) ;

projet de décret instituant un code de déontologie de l'administration pénitentiaire.

D'autres documents exposent aux agents le comportement à adopter dans leurs relations, qui peuvent être difficiles ou conflictuelles, avec les usagers.

Par ailleurs, de nombreuses actions de sensibilisation et de formation ont été entreprises, aux différents niveaux hiérarchiques. La régularité et l'intensité de ces formations semble variable selon les ministères. Mis à part quelques actions isolées organisées par certaines administrations, c'est au ministère de l'équipement que la formation des agents au risque pénal est la plus systématique.

Le groupe d'étude ne peut que renouveler les incitations à la formation des agents publics à leur responsabilité pénale, spécialement à l'occasion de l'accession des agents à des fonctions de responsabilité supérieures.

Enfin, le groupe suggère l'introduction dans les grands concours administratifs d'épreuves portant sur des notions de droit pénal.

2°) La formation des élus

Depuis la loi du 3 février 1992, les élus locaux ont droit à une formation adaptée à leurs fonctions, dont le financement constitue une dépense obligatoire pour les collectivités. Ces dépenses sont plafonnées à 20% des indemnités de fonction effectivement versées.

Ainsi que l'indique le rapport du Conseil national pour la formation des élus locaux, les élus locaux dans leur ensemble font une utilisation très limitée de ce droit individuel à la formation qui leur est offert.

Le groupe d'étude s'est interrogé sur la possibilité de rendre obligatoire cette formation en début de mandat, mais a considéré que toute forme d'obligation serait dépourvue de résultats si elle n'était pas accompagnée d'une réelle volonté de recevoir cette formation. C'est pourquoi, tout en souhaitant que les élus utilisent davantage la faculté offerte par la loi, il a renoncé à les contraindre.

Cependant, constatant l'inégalité de fait qui oppose les élus des petites communes à ceux des grandes collectivités, du fait de la fixation de la dépense de formation à 20 % du total des indemnités de fonctions versées aux élus, il suggère d'instaurer, selon un mécanisme qui reste à construire, une mutualisation de ces dépenses. La formation des élus des petites collectivités, dépourvues de services adéquats, serait ainsi mieux assurée.

 

C) Favoriser la mobilité des agents entre la haute fonction publique et la magistrature.

Dans la ligne de ses recommandations en vue d'une meilleure connaissance par les magistrats répressifs des conditions de fonctionnement des administrations et d'une meilleure formation des fonctionnaires aux questions de responsabilité pénale, le groupe d'étude demande que soient encouragées les possibilités de mobilité entre la haute fonction publique et la magistrature.

Un magistrat, qu'il soit administratif ou judiciaire, a une approche différente d'un même litige mettant en cause le fonctionnement d'une personne publique, selon qu'il a ou non été lui-même confronté à une expérience de gestion. Cela ne signifie pas qu'il oriente nécessairement sa décision dans un sens plus favorable à l'administration ou à l'agent public, ni dans un sens plus sévère. Mais son expérience d'administrateur lui permet souvent de mieux comprendre les motifs d'une décision ou d'un comportement, et d'y apporter une réponse plus adaptée.

En outre, la formation des futurs magistrats devrait comporter, de façon systématique, une initiation au fonctionnement de l'administration. Les stages qu'accomplissent les auditeurs de justice seraient plus utiles à la fin de leur scolarité qu'à son début : les futurs magistrats comprendraient davantage, en étudiant le fonctionnement d'une collectivité publique et en y exerçant, même provisoirement, certaines tâches, les risques encourus par les agents publics.

D) Généraliser aux élus la protection que l'administration doit déjà à ses agents mis en cause pénalement.

1°) La protection due par l'administration à ses agents.

Cette protection est mise en oeuvre de façon inégale. Le texte initial de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 assurait la protection du fonctionnaire sur deux terrains :

celui de la responsabilité civile, où l'administration couvre le fonctionnaire des condamnations prononcées à son encontre alors que le conflit n'a pas été élevé et qu'il ne s'agit pas d'une faute personnelle ;

celui de ses relations avec les usagers, en cas de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages.

Cette protection a été étendue par la loi du 16 décembre 1996 au cas où le fonctionnaire ou l'ancien fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère de fautes personnelles. Ce qui n'était jusqu'alors qu'une pratique fondée sur des circulaires ministérielles et encouragée par l'étude du Conseil d'État en 1996, a donc été consacré.

La même loi du 16 décembre 1996 a étendu cette protection aux agents publics non-titulaires, par ce qui est devenu le dernier alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, consacrant une solution déjà adoptée par la jurisprudence (CE, 7 févr. 1990, Commune de Bain-de-Bretagne, Rec. p.33).

Les difficultés d'application de ces dispositions n'ont pas entièrement disparu. Deux points méritaient l'attention du groupe d'étude :

la mise en oeuvre concrète de cette protection. Dans son étude de 1996, le Conseil d'Etat avait recommandé que l'administration aide son agent non seulement en prenant en charge ses frais de procédure, mais aussi en lui offrant les services de tel avocat spécialisé avec lequel elle est en relation régulière. Il semble que cette protection soit encore mise en oeuvre de façon inégale, et le groupe d'étude recommande aux différentes administrations de veiller à y procéder effectivement ;

les conditions de la suspension de l'agent. Lors de l'ouverture d'une procédure pénale, il est fréquent que le fonctionnaire fasse l'objet d'une suspension de ses fonctions en application de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983. Mesure essentiellement provisoire prévue en cas de faute grave du fonctionnaire, la suspension laisse quatre mois à l'autorité hiérarchique pour régler sa situation. Cependant, ce délai disparaît si le fonctionnaire est l'objet de poursuites pénales. Dans la plupart des cas, la suspension est prolongée, sans qu'un acte intervienne nécessairement, jusqu'à la décision définitive du juge pénal. La suspension peut donc durer plusieurs années, pendant lesquelles l'agent peut subir une retenue qui peut aller jusqu'à la moitié de son traitement. Les conséquences de cette situation, même si elle est peu fréquente, sont très mal ressenties par les agents et leurs collègues, lorsque la mise en cause pénale résulte de ce qui est à l'évidence une faute de service. Le groupe suggère donc aux autorités compétentes de réexaminer périodiquement les mesures de suspension dont leurs agents mis en cause pénalement ont fait l'objet. Si la suspension se justifie souvent lors de la mise en cause initiale, notamment pour prouver aux victimes et à l'opinion que l'administration sait réagir à un événement révélant une faute, son utilité diminue avec le temps, et une levée de la suspension est probablement possible quelques mois plus tard, notamment si elle est accompagnée d'une mutation.

2°) Etendre cette protection aux élus

Il apparaît au groupe équitable de prévoir que les collectivités locales aient l'obligation, lorsqu'un de leurs élus est mis en cause dans une procédure pénale pour des activités exercées dans le cadre normal de ses fonctions, de défendre cet élu. Il faudrait donc introduire cette obligation au Code général des collectivités locales, par exemple en complétant les articles L.2123-34, L.3123-28 et L.4135-28, et en préciser le contenu.

Parmi les différentes options possibles (obligation générale pour toutes les mises en cause, obligation seulement lorsque l'élu agit en tant qu'agent de la collectivité, obligation seulement lorsqu'il agit dans le cadre des actions où la responsabilité pénale de la personne morale ne peut pas jouer), le groupe d'étude privilégie celle où l'obligation incomberait à la collectivité au nom de laquelle agit l'élu. Dans la plupart des cas, ce sera la collectivité locale dont il est l'exécutif; ce pourra aussi être l'Etat pour les activités du maire dans l'exercice de ses fonctions d'agent de l'Etat.

Parallèlement, il pourrait être rappelé aux élus et décideurs publics qu'ils peuvent contracter une assurance pour faire prendre en charge, le cas échéant, les frais de procédure qu'ils devraient engager dans une procédure pénale.

 

E) Exiger un bilan écrit de faisabilité avant l'introduction de toute nouvelle norme technique.

L'inflation des normes techniques est une grave préoccupation des élus locaux, ainsi que les représentants de leurs associations l'ont exprimé à maintes reprises au cours des auditions et dans leurs contributions écrites. A chaque échelon de collectivité correspondent des préoccupations particulières selon les compétences de chacun d'eux, avec des soucis communs en ce qui concerne les bâtiments publics, parmi lesquels les locaux et matériels scolaires tiennent une bonne place. Les agents de l'Etat exerçant des fonctions de décisions, pour l'essentiel les préfets, partagent les mêmes contraintes, pour les équipements relevant de leur responsabilité.

Lors de l'introduction d'une nouvelle norme technique relative à un équipement public présent dans la collectivité, nombre d'élus doivent arbitrer entre deux branches d'une alternative : soit fermer l'établissement faute de pouvoir respecter la norme immédiatement, par exemple pour des raisons financières ou du fait des délais imposés par le Code des marchés avant la réalisation des travaux, soit poursuivre, au moins provisoirement, l'exploitation ou le fonctionnement de cet équipement devenu brutalement obsolète par l'effet d'un acte réglementaire, en ayant conscience du risque pénal encouru.

Bien souvent les élus choisissent un moyen terme, celui de prévoir un programme pluriannuel de travaux qui permette de respecter les normes techniques, fût-ce avec quelques mois ou années de retard. Il arrive même que les communes doivent emprunter pour réaliser ces nouveaux équipements; le danger le plus grand ne vient alors plus du risque d'accident mais d'un nouveau changement de norme avant l'échéance de remboursement de l'emprunt.

Pour prendre un exemple, le risque dû à la présence de plomb dans l'eau a conduit à prévoir le remplacement de toutes les canalisations en plomb, sans que le coût de cette mesure, de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards de francs, ne soit connu, même dans son ordre de grandeur, puisque les estimations les plus raisonnables varient du simple au quadruple. Ces dépenses sont-elles proportionnées au risque, seulement éventuel, de l'absorption de plomb en buvant l'eau du robinet ?

Le groupe d'étude demande donc que cesse la course aux normes techniques nouvelles. Certes beaucoup d'entre elles résultent de la réglementation communautaire et échappent aux autorités nationales. Mais trop nombreuses encore sont celles qui sont édictées sans avoir été mesurées à l'aune d'un bilan entre les avantages supplémentaires qu'elles apportent en termes de protection, qui sont parfois incertains, et les contraintes, notamment financières, qu'elles font peser sur la collectivité.

Le groupe fait donc deux propositions concrètes :

D'une part, toute norme nouvelle devrait être accompagnée d'un délai raisonnable de réalisation, qui laisse aux collectivités publiques le temps de mobiliser les moyens financiers nécessaires et de mener à bien les travaux. L'impératif de continuité du service public devrait mieux être pris en compte, pour éviter aux décideurs publics l'alternative délicate entre dépenses immédiates et suppression d'un service ;

D'autre part, toute norme nouvelle devrait être accompagnée d'un bilan précis de faisabilité. Ce bilan, effectué au terme d'une analyse des coûts et des avantages de la mesure proposée un peu à la manière de l'examen de l'utilité publique d'un projet d'équipement public nécessitant des expropriations, justifiera les motifs d'intérêt général qui conduisent à son durcissement. Il permettra de déterminer le délai dans lequel la nouvelle norme est susceptible d'être appliquée, son coût financier, immédiat ou permanent, pour les collectivités publiques et, éventuellement, les personnes privées. Ce bilan de faisabilité devrait contribuer à limiter la multiplication des normes techniques et à allonger leur durée de vie. Il permettra aussi aux décideurs publics de mieux connaître, comprendre et respecter les normes techniques qu'ils doivent appliquer.

 

2. Propositions propres aux collectivités locales.

Les élus partagent dans leur immense majorité le souci d'agir conformément aux lois et règlements en vigueur, surtout si leur méconnaissance est assortie de sanctions pénales. La crainte du juge pénal les conduit à souhaiter l'inverse de ce qu'ils auraient probablement exprimé il y a dix ans : ils demandent maintenant un renforcement des contrôles administratifs de l'Etat pour échapper aux sanctions issues des contrôles juridictionnels qui sont pourtant la conséquence logique de la décentralisation. Les responsabilités étendues qu'elles ont acquises, et dont elles s'accordent pour demander l'extension, entraînent inévitablement l'engagement plus fréquent et plus pesant de la responsabilité des collectivités et des personnes qui les représentent. Les unes ne vont pas sans l'autre.

Le groupe d'étude n'a donc pas envisagé de remettre en cause l'étendue des pouvoirs des collectivités locales, mais plutôt de suggérer les moyens qui doivent les accompagner pour les exercer avec compétence.

Parallèlement, le rôle de contrôle imparti au représentant de l'Etat doit pouvoir être exercé efficacement pour prémunir les collectivités locales du risque excessif d'une condamnation juridictionnelle. Les responsabilités sont donc partagées.

A) Développer des capacités d'expertise juridique des collectivités locales.

Les collectivités locales et leurs élus n'affrontent pas le risque pénal sur un pied d'égalité. Les plus grandes sont celles où les services sont les plus étoffés et compétents, ce qui réduit sensiblement le risque pénal, à la fois pour la collectivité dans son ensemble, et pour l'élu qui la dirige, protégé par plusieurs niveaux hiérarchiques auxquels le juge pénal sera susceptible de reconnaître une part ou la totalité de la responsabilité, en fonction des compétences, pouvoir et moyens dont dispose chacun. A l'opposé, les petites communes cumulent les handicaps : services dépassés par la complexité des questions à traiter, maire en première ligne.

Sans pouvoir remettre en cause l'émiettement communal, le groupe d'étude estime que les risques de mise en cause de la responsabilité pénale des élus et des collectivités locales pourraient être atténués par le renforcement des capacités d'expertise juridique des petites collectivités locales.

Le groupe d'étude suggère donc la mise en commun des moyens juridiques des collectivités locales, par exemple à l'échelle d'un sivom ou, plus efficacement, d'un établissement public situé à l'échelon départemental ou régional30, sorte d'agence juridique au service des collectivités locales qui en seraient membres.

En revanche, le groupe est plus réservé sur la consultation des services juridiques des grandes collectivités locales par les petites, en application de conventions qui seraient passées entre elles. Ces échanges risquent d'être limités par la prudence des élus, soucieux de ne pas se placer sous la tutelle de plus grandes collectivités, surtout pour leur exposer leurs perspectives ou leurs difficultés. De plus, la jurisprudence (CE, Sect., 20 mai 1998, Communauté de communes du Piémont-de-Barr, Rec. p.201, concl. H. Savoie) oblige les collectivités, en application de la directive européenne du 18 juin 1992 relative à la passation des marchés publics de services, à mettre en concurrence ces fournisseurs de services juridiques. Il n'est pas certain, en cette matière, que le recours à la voie contractuelle entre collectivités soit la plus appropriée.

 

B) Renforcer la qualité du contrôle de légalité.

Les élus locaux reprochent au contrôle de légalité de ne pas leur indiquer l'ensemble des illégalités susceptibles d'affecter leurs décisions ou les délibérations de leur assemblée. Sans exprimer le souhait d'un retour à la tutelle préfectorale, certains souhaiteraient une quasi-certification de la légalité de ces décisions par les services de l'Etat. Ils imaginent que le visa du contrôle de légalité pourrait les dégager de toute responsabilité pénale. Il n'en est rien.

1°) Instituer un Parquet administratif ?

Parmi les critiques adressées à l'exercice du contrôle de légalité, figure la simple faculté et non l'obligation donnée au préfet de présenter des observations et de saisir le tribunal administratif. Le caractère simplement aléatoire de ce contrôle n'apporte donc aucune présomption de régularité des actes qui n'ont pas fait l'objet du déféré.

L'idée a donc été présentée au groupe d'étude de transférer le contrôle de légalité exercé par les préfets à un Parquet administratif, à créer au sein des tribunaux administratifs. Elle ne semble guère réalisable, au moins sans une réflexion très approfondie sur sa portée et les moyens qu'elle exigerait.

Elle présente l'avantage de faire disparaître l'élément d'opportunité souvent contenu dans le contrôle exercé par le préfet. La décision de déférer ou de ne pas déférer serait plus objective, découlant plus automatiquement de la légalité des dispositions en cause.

Mais elle n'élude pas la question des moyens à mettre en oeuvre pour atteindre cette égalité (supposée meilleure) des collectivités publiques devant le contrôle de légalité et la justice administrative. Le simple transfert aux parquets administratifs des agents des services de contrôle de légalité des préfectures n'apporterait aucune garantie supplémentaire. La comparaison des millions d'actes pris chaque année par les collectivités locales et des quelques milliers d'agents supposés analyser la légalité de leurs décisions suffit à mesurer l'ampleur de la tâche.

Au moins dans l'immédiat, ce transfert pourrait induire en erreur les élus en leur donnant la fausse assurance que le silence de ce Parquet vaudrait garantie de légalité et absence de faute pénale. Surtout, l'idée se heurte à l'article 72 de la Constitution, selon lequel le délégué du gouvernement a la charge du contrôle administratif.

2°) Renforcer les moyens des services du contrôle de légalité

Le souci de sécurité juridique des actes des collectivités locales suffit à souhaiter le renforcement des moyens des services affectés au contrôle de légalité dans les préfectures. La volonté des élus locaux de voir s'éloigner le risque pénal augmente la demande d'un contrôle efficace.

Le groupe d'étude renouvelle donc une proposition maintes fois exprimée ces dernières années dans de nombreux rapports de renforcer la fonction juridique des services déconcentrés de l'Etat. Cet accroissement des moyens des services de contrôle de légalité, notamment par la mise à disposition de magistrats administratifs, dont des membres des juridictions financières, accroîtrait la capacité d'expertise juridique du contrôle de légalité et, peut-être un peu le nombre d'actes réellement examinés. Le développement de pôles juridiques dans les services de l'Etat répond bien à l'exigence de qualité juridique qu'attendent les partenaires de l'Etat.

Les élus locaux trouveront probablement dans cet exercice renforcé du contrôle de légalité une plus grande sécurité en matière de passation de marchés publics, mais guère au-delà. Il ne faut en effet pas surestimer les conséquences d'un contrôle de légalité renforcé sur la mise en jeu de la responsabilité pénale des élus locaux.

Les mesures visant à renforcer le contrôle de légalité ne concernent qu'une petite partie de la question soumise au groupe d'étude, celle du délit de favoritisme commis de manière non intentionnelle. En effet, la plupart des infractions non intentionnelles résultent davantage d'abstentions d'agir (défaut de mesure de police, défaut de travaux...) que de décisions positives. Que pourrait le contrôle de légalité à l'égard de telles abstentions, à moins que le préfet ne demande systématiquement et régulièrement à toutes les collectivités locales d'agir dans tel ou tel sens et qu'il défère ensuite leur refus implicite de prendre les mesures sollicitées (CE, Sect. 28 févr. 1997, Commune du Port, Rec. p.61) ?

L'absence d'observations de la part du contrôle de légalité ou un visa d'un service de la préfecture ne peut pas valoir garantie de légalité, encore moins garantie d'absence d'infraction pénale. Les élus ne devront pas imaginer être alors dégagés de toute responsabilité.