Chapitre 7
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CHAPITRE VII : Favoriser les modes de règlement des conflits autres que pénaux

 

Les conflits qui opposent des particuliers à des personnes publiques à la suite d'un événement perçu comme issu d'une faute de l'administration ou d'un de ses représentants, élu ou agent public, ne doivent pas nécessairement conduire à la saisine du juge pénal. Cette recherche d'une punition infligée par l'Etat au nom de la société devrait même rester rare, d'autres formes de rglement des conflits étant beaucoup plus adaptées dans la plupart des cas.

Le recours au juge n'est pas nécessairement la solution la meilleure. Beaucoup de litiges peuvent être résolus d'un commun accord entre les victimes et les personnes, publiques ou privées, qui acceptent de se reconnaître responsables d'un dommage : l'intervention des assurances est ici déterminante mais ne satisfait pas toujours les victimes.

Lorsque le recours à une procédure juridictionnelle s'avère nécessaire à une partie pour établir ses droits, la saisine du juge pénal n'est qu'une des voies possibles. La sanction peut aussi être infligée par l'autorité ou le juge disciplinaire, la réparation relevant, sauf pour la faute personnelle de l'agent public qui sera ici l'exception, du juge administratif.

1. Inciter les administrations à user de la transaction.

S'agissant de l'engagement de deniers publics, toute procédure qui conduit à verser des sommes à un tiers en dehors d'un barème précis ou d'une instruction émanant d'un texte législatif ou réglementaire ou encore d'une décision juridictionnelle est étrangère aux habitudes de l'administration. Ce principe de prudence nécessaire conduit les décideurs publics à trop ignorer la faculté de transiger.

On peut même penser qu'il ne s'agit pas d'une méfiance à l'égard d'un mécanisme qui pourrait être considéré comme compliqué ou risqué, mais plutôt de l'ignorance d'une faculté reconnue depuis longtemps en application d'un principe affirmé par la jurisprudence du Conseil d'Etat. En effet, dans une décision Compagnies du Nord et de l'Est et autres contre ministre de la guerre du 17 mars 1893 (Rec. p.245), le Conseil d'Etat a affirmé qu'aucune disposition de loi ou de règlement n'interdit à l'Etat la faculté de transiger.

Un siècle plus tard, le Conseil d'Etat, dans une étude intitulée Régler autrement les conflits22, remise au Premier ministre, rappelait avec force cette faculté et l'illustrait des nombreux cas où la transaction est possible aux personnes publiques.

Parmi ces hypothèses, deux semblent spécialement intéressantes :

En cas d'infraction pénale, la transaction est interdite, mais ce principe est assorti de nombreuses dérogations par des dispositions législatives expresses : il en est ainsi en matière fiscale et douanière et pour les sanctions prévues par des dispositions techniques : chasse, pêche, sécurité aérienne, environnement et circulation. Ces transactions sont des accords entre l'Etat et le contrevenant sur une certaine somme que celui-ci verse au Trésor et qui met fin aux poursuites. Par une procédure plus rapide qu'une action en justice, le contrevenant règle sa dette à l'égard de la société par le versement d'une indemnité transactionnelle.

En matière de dommages résultant d'accidents de la circulation, la loi du 5 juillet 1985 prévoit un mécanisme conventionnel entre les sociétés d'assurance, qui organise les offres d'indemnités selon des barèmes rendus publics, ce qui, a permis de réduire fortement le nombre des instances judiciaires. La loi de 1985 est applicable à l'Etat et à l'ensemble des collectivités publiques qui sont amenés à transiger avec les compagnies d'assurance lorsque leur responsabilité est engagée lors d'un sinistre causé par un véhicule leur appartenant.

Le groupe d'étude recommande donc l'examen d'un usage plus fréquent de la faculté de transiger pour clore rapidement la question de l'indemnisation de victimes d'un événement susceptible d'être rattaché à une faute de l'administration. Certes, les possibilités de transaction de l'administration sont limitées par le principe de l'interdiction des libéralités. Si l'administration ne peut pas consentir un véritable abandon de créance, elle peut accepter de faire des concessions, en particulier, pour reprendre les termes de la circulaire du Premier ministre du 6 février 1995, lorsqu'un examen suffisant du dossier permet d'établir que l'administration encourt une responsabilité pécuniaire.

Le groupe a étudié les systèmes existants qui permettent à une collectivité qui se considère comme responsable d'un accident d'accorder aux victimes un premier secours pécuniaire d'urgence. Constatant qu'une telle provision ne peut, en pratique, être mise en oeuvre que par de grandes collectivités, le groupe n'a pas vu l'opportunité d'une réforme majeure tendant à en généraliser l'usage.

 

2. Faciliter la saisine du Médiateur de la République.

Il importe que les victimes d'une faute d'un agent public ou de l'administration puissent trouver facilement un interlocuteur au sein de la collectivité présumée responsable, pour exprimer leur désarroi et engager une discussion sur une éventuelle indemnisation. La facilité d'accès à cette personne détermine souvent l'état d'esprit des victimes et leur choix de la procédure ultérieure.

Il arrive souvent que la mise à disposition d'un tel interlocuteur ne suffise pas, car il reste perçu comme la voix de la collectivité responsable. Plutôt que d'inciter à la désignation d'un médiateur au sein de chaque collectivité, le groupe d'étude propose de faire appel au Médiateur de la République, qui dispose d'une expérience de plus de vingt-cinq ans de règlement amiable des conflits opposant des particuliers à des personnes publiques, et d'un réseau de correspondants départementaux, qui garantissent la possibilité d'un dialogue rapide avec la collectivité publique, ses représentants et les victimes.

Le groupe d'étude recommande donc des modifications de la loi du 3 janvier 1973 pour étendre les compétences du Médiateur, qui ne peut actuellement être saisi que lorsqu'une collectivité publique ou un organisme investi d'une mission de service public n'a pas fonctionné conformément à la mission de service public qu'il doit assurer (article 6 de la loi).

Il faudrait aussi modifier les conditions de son intervention, qui sont actuellement alternatives à la saisine d'une juridiction : il ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction (article 11), la réclamation n'interrompt pas les délais de recours contentieux (article 7). Ceux qui le saisissent perdent donc actuellement toute possibilité de saisir parallèlement une autre juridiction, et sont conduits à préférer la voie juridictionnelle, qui leur paraît peut-être plus prometteuse, notamment dans la recherche et l'établissement des preuves de la responsabilité de la collectivité ou de ses représentants. Il vaudrait mieux qu'ils puissent saisir en parallèle le Médiateur, ce qui pacifierait leur démarche et pourrait les conduire, en cours de procédure, à renoncer à leur action juridictionnelle pour lui préférer le compromis proposé par le Médiateur.

Dans le temps qui lui était imparti, le groupe d'étude n'a pas pu déterminer quels moyens supplémentaires devraient être offerts au Médiateur et à ses services pour remplir cette nouvelle fonction.

 

3. Améliorer l'information des victimes et de leurs conseils.

L'excès de pénalisation de la société et de médiatisation des procès pénaux a pu conduire une bonne partie des Français à imaginer que seul le juge pénal est à même de résoudre leurs difficultés face à une administration. S'il est en effet le seul compétent pour infliger une punition à l'encontre des personnes reconnues par lui responsables du dommage subi par les victimes, il n'est pas le seul à pouvoir rechercher les responsabilités.

A) Les commissions dindemnisation des victimes d'infractions.

Il est vrai que les victimes, à condition d'avoir subi un dommage dépassant un certain seuil, peuvent aussi s'adresser aux commissions d'indemnisation des victimes d'infraction (civi), créées par la loi du 3 janvier 1977 garantissant l'indemnisation de certaines victimes de dommages corporels résultant d'une infraction. Ce sont des juridictions civiles spécifiques, constituées dans le ressort de chaque tribunal de grande instance ; elles décident du droit à indemnisation et fixent le montant de la réparation des préjudices subis, versée depuis 1990 par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.

Elles peuvent être saisies même si aucune poursuite pénale n'a été intentée et ne sont pas tenues par l'appréciation de la juridiction pénale, notamment sur le rôle de la victime ou sur le montant de l'indemnisation allouée par la juridiction pénale. Elles permettent de surmonter les limitations d'autres régimes d'indemnisation (notamment quant aux délais de saisine), de combler les lacunes du champ d'application de certains dispositifs de garantie (par exemple, les accidents de la circulation survenus à l'étranger), et de contourner la compétence des juridictions administratives (procédure plus rapide, moins onéreuse, et parfois plus généreuse). Mais les civi pourraient prochainement être victimes de leur succès : le montant des indemnités qu'elles ont accordées a augmenté très rapidement ces dernières années ; il y a donc un double risque, d'encombrement de leurs rôles et de débordement financier.

Le groupe d'étude estime que la redéfinition prochaine des conditions de saisine des civi pourrait être l'occasion de limiter la concurrence qu'elles font aux juridictions administratives, par exemple en excluant de leur compétence l'indemnisation des infractions commises par les représentants ou agents d'une personne publique qui, par définition, n'est pas menacée d'insolvabilité. Ce serait revenir sur la suppression de la clause de subsidiarité décidée par le législateur en 1990. Pour les victimes d'événements imputables à une collectivité publique, invitées à se pourvoir devant le juge administratif, l'invocation d'une infraction, condition requise devant les civi, ne serait plus nécessaire devant le juge administratif qui serait alors saisi et pour lequel il suffirait d'alléguer une faute, supprimant ainsi un motif de saisine du juge pénal.

Sans attendre cette restriction, il faudrait expliquer aux victimes que la civi peut accorder une indemnisation sans qu'il soit besoin de demander au juge pénal de constater l'infraction alléguée. Un souci d'équité commande aussi d'éviter les doubles indemnisations entre civi et indemnisation civile accordée par le juge pénal.

 

B) Diriger les victimes vers le juge administratif.

Il faut rappeler que le juge naturel de la responsabilité de l'administration est le juge administratif, compétent pour condamner les personnes publiques à la réparation des dommages subis par les victimes des actes des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions.

Le recours au juge pénal ne permet pas d'obtenir une meilleure indemnisation puisque, dans la quasi-totalité des cas, le comportement reproché à l'agent public ou à l'élu doit être regardé comme une faute de service, dont la réparation relève du juge administratif, ce qui restreint la compétence du juge pénal à l'action pénale et lui retire la connaissance de l'action civile.

Les victimes, et surtout leurs conseils, doivent s'entendre rappeler ces idées simples et fondamentales qui leur permettront de s'adresser à la juridiction compétente.

C'est pourquoi le groupe d'étude recommande qu'une publicité accrue soit donnée à la procédure contentieuse administrative auprès des associations de victimes, et que les avocats soient davantage sensibilisés aux possibilités ouvertes par la saisine du juge administratif.

 

4. Renforcer la pratique des sanctions disciplinaires.

Une utilisation plus régulière du pouvoir de sanction de l'autorité hiérarchique pourrait parfois, semble-t-il, suffire à donner satisfaction aux victimes tout en donnant aux fautes ou négligences commises une suite plus appropriée qu'une poursuite pénale.

 

A) Utiliser plus fréquemment les sanctions prévues à l'encontre des fonctionnaires et agents publics.

Le statut général de la fonction publique énumère les sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées à des agents à raison de fautes qu'ils commettraient (article 66 de la loi du 11 janvier 1984 pour la fonction publique de l'Etat; article 89 de la loi du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale; article 81 de la loi du 9 janvier 1986 pour la fonction publique hospitalière).

Ces sanctions sont réparties en quatre groupes. Dès le deuxième groupe figurent la radiation du tableau d'avancement, l'abaissement d'échelon et l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quinze jours. Le troisième groupe comporte la rétrogradation ou l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans; le quatrième groupe définit les sanctions les plus graves : la mise à la retraite d'office et la révocation.

Les pouvoirs de sanction à l'encontre des agents publics sont probablement trop rarement appliqués. Vu de l'extérieur, il en résulte une impression d'impunité de personnes déjà protégées par la pérennité de leur emploi. Ce sentiment, qui traduit hélas assez fidèlement la situation, contribue fortement à ce que les victimes recherchent d'autres formes de sanctions à l'encontre des agents publics, qu'à tort ou à raison elles estiment responsables, et recourent ainsi à la saisine du juge pénal.

Le groupe d'étude suggère donc qu'après la survenance d'un dommage, l'administration modifie sensiblement son comportement, en pratiquant une véritable transparence de son action et des fautes qui ont pu être commises, et en menant, si nécessaire, une procédure disciplinaire qui montrera qu'elle a la ferme volonté de sanctionner les agents responsables et d'éviter le renouvellement des mêmes dommages. Ainsi peut-être pourra-t-elle désamorcer une partie des actions pénales susceptibles d'être engagées par les victimes.

Au surplus, les auditions de syndicats de fonctionnaires auxquelles le groupe d'étude a procédé ont montré que pour eux, l'exercice de responsabilités va de pair avec l'engagement de la responsabilité des fonctionnaires. Les agents publics accepteraient probablement mieux une sanction disciplinaire en rapport avec la faute, même non intentionnelle, qu'ils auraient pu commettre, qu'une sanction pénale qui les assimile à des délinquants, auteurs de délits intentionnels dont le comportement est évidemment sans commune mesure avec le leur.

 

B) Etendre les hypothèses où les élus peuvent être suspendus ou révoqués.

De même, l'élu dont le comportement se révélerait préjudiciable à la collectivité ou aux individus dont il a la responsabilité, et serait incapable de poursuivre convenablement l'exercice de son mandat, pourrait s'en voir privé. Cette hypothèse recouvre un cas extrême, puisqu'il faut des motifs impérieux pour interrompre le mandat d'un élu désigné par le suffrage universel.

Ce type de sanction existe pourtant déjà, dans deux cas au moins. Lorsque le comportement de certains élus se révèle un obstacle à la poursuite de leur mandat, l'autorité administrative peut prendre à leur égard des mesures dont l'objet est de les écarter de leur mandat, temporairement ou jusqu'au renouvellement de l'assemblée dont ils sont membres.

La démission d'office, qui peut être la conséquence d'une décision du juge pénal mais aussi du juge financier, est toujours constatée par un acte administratif ;

La suspension et la révocation sont des sanctions disciplinaires prises par une autorité de l'Etat à l'encontre des maires et adjoints.

La suspension est prononcée par arrêté du ministre de l'intérieur, pour une durée d'un mois au maximum (art. L.2122-16 du Code général des collectivités territoriales). La révocation (c'est-à-dire sa suspension jusqu'au renouvellement de l'assemblée dont il était membre) est prononcée par décret en Conseil des ministres, intervention justifiée par la gravité de la sanction.

Les motifs de ces deux sanctions ont été fixés par la jurisprudence au cours des dernières décennies. Même si les exemples en sont rares dans les recueils, on peut citer trois familles de comportements qui ont entraîné ces sanctions disciplinaires à l'encontre de certains élus :

falsification de documents administratifs, par exemple l'inscription de délibérations fictives sur le registre des délibérations (CE, 23 mars 1955, Planet, Rec. p.175) ;

comportements hostiles à l'unité nationale, au devoir de mémoire de la Nation ou à l'autorité du gouvernement (CE, Ass., 27 févr. 1981, Wahnapo, Rec. p.111; AJDA 1981, p.476, concl. M. Franc) ;

irrégularités financières ou fautes de gravité moindre mais dont la répétition révèle la volonté de l'élu de se soustraire délibérément aux lois et règlements (CE, 26 janv. 1938, Navlet, Rec. p.87).

Outre ces fautes commises dans l'exercice des fonctions, la jurisprudence du Conseil d'Etat admet aussi la légalité de suspensions prononcées en raison d'actes commis en dehors des fonctions mais qui rendent impossibles la poursuite du mandat, comme les atteintes à l'honneur, la probité ou les bonnes moeurs.

D'autres comportements pourraient, par voie législative, être assortis de cette sanction de la suspension. De nombreuses infractions au Code des marchés publics ou à la législation sur l'environnement, des manquements aux obligations de prudence ou de sécurité dans les bâtiments ou équipements publics trouveraient vraisemblablement une sanction plus appropriée dans la mise à l'écart, même pour une durée brève de l'élu responsable de ces faits que dans des peines d'emprisonnement, fussent-elles assorties du sursis.

On pourrait objecter que le développement de ces sanctions mettrait les élus sous une sorte de tutelle du ministre de l'intérieur, rendu compétent pour priver les élus de leur mandat. Mais cette forme de contrôle des élus existe déjà et est assortie de garanties : une procédure contradictoire préalable et surtout un contrôle du juge administratif sur l'arrêté ministériel portant suspension ou le décret en Conseil des ministres portant révocation. La jurisprudence du Conseil d'Etat illustre les garanties offertes aux élus.

Certes, la suspension ou la révocation des maires et adjoints est fondée sur la circonstance qu'ils sont aussi agents de l'Etat. Mais déjà la jurisprudence admet que la sanction puisse être prise à l'encontre du maire en raison d'un comportement qu'il a eu en tant qu'agent de la commune (CE, 1er févr. 1967, Cuny, Rec. p.52; AJDA 1967, p.344, note J. Moreau). On ne voit pas d'obstacle déterminant à ce que la sanction de suspension temporaire (voire définitive) d'un mandat puisse être étendue à l'ensemble des élus, même ceux qui n'agissent pas en tant qu'agents de l'Etat.

Le groupe n'ignore pas les risques qui pourraient affecter ce type de sanctions. A l'issue de la suspension (et sauf renouvellement du mandat devant les électeurs lors d'élections générales), le maire ou le président d'exécutif local retrouverait automatiquement ses fonctions précédentes, le premier adjoint ou premier vice-président n'ayant fait qu'assurer l'intérim du maire ou président empêché. Il faudrait cependant veiller à ce que ce maire ne puisse pas, pendant la période où il est suspendu, continuer de facto à exercer ses fonctions grâce à la complicité de son remplaçant intérimaire qui se comporterait comme un homme de paille.

Malgré ces inconvénients, le groupe considère que ce type de sanction pourrait être beaucoup mieux adapté qu'une sanction pénale à certaines erreurs d'appréciation ou de comportement graves qu'on peut parfois reprocher aux élus.

 

C) Etendre la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière.

Actuellement la Cour de discipline budgétaire et financière, juridiction spécialisée, n'est compétente à l'égard des élus locaux que lorsqu'ils refusent d'exécuter la chose jugée ou engagent leur responsabilité propre à l'occasion d'un ordre de réquisition.

On peut envisager l'extension de cette compétence à d'autres actes commis par les élus, par exemple à l'ensemble des infractions financières et comptables.

Mais ces nouvelles compétences devront être accompagnées d'une modification sensible de l'organisation de la Cour. Afin d'assurer son efficacité et de permettre de juger dans des délais raisonnables, elle devrait être organisée en sections régionales, probablement au sein des chambres régionales des comptes, la Cour elle-même faisant office de juridiction d'appel.

Cependant, le groupe d'étude craint que cette extension n'apporte pas de solution durable :

les poursuites devant la Cour de discipline budgétaire n'excluent pas en l'état actuel du droit la saisine du juge pénal, ce qui n'est pas sans inconvénient au regard des principes généraux du droit ;

un accroissement des compétences de la Cour de discipline budgétaire et financière induira une plus grande fréquence de sa saisine, et probablement une médiatisation accrue de ses décisions. Cela pourrait conduire aux mêmes inconvénients pour les élus mis en cause que la recherche de leur responsabilité devant le juge pénal.

 

D) Assurer la publicité des sanctions disciplinaires ?

Une des motivations des victimes d'accidents ou de dommages pouvant, même indirectement, être rattachés au comportement d'une personne publique ou d'un décideur public, dans leur recours au juge pénal, est l'impression que cette recherche de la responsabilité pénale est le moyen privilégié pour pallier l'inertie, réelle ou supposée, de l'administration dans son pouvoir de sanction.

Certains estiment donc souhaitable que les sanctions disciplinaires prises à l'encontre des fonctionnaires et agents publics, et aussi des élus si la fréquence de ces sanctions était significativement augmentée, soient davantage publiques qu'elles ne le sont actuellement.

Cette publicité pourrait prendre deux formes au moins :

la publicité des séances des organes disciplinaires, en les assortissant peut-être de la faculté pour les victimes de s'exprimer ;

la publicité des décisions de sanctions elles-mêmes, pour prouver aux victimes comme à l'opinion publique que l'administration a réagi à l'accident en prenant des sanctions appropriées. Cette action de communication devrait aussi être assortie de la publicité des mesures administratives destinées à éviter le renouvellement des événements fautifs.

Il est vrai, à l'inverse, que cette publicité pourrait constituer un frein supplémentaire à l'engagement de la procédure disciplinaire.

 

5. Faciliter l'orientation précoce des victimes vers la juridiction compétente.

Le principe de séparation des pouvoirs et le partage, à l'intérieur de la juridiction judiciaire, entre juridictions pénales et civiles, induit une perplexité de certaines victimes quant au tribunal qu'elles ont intérêt à saisir. Les règles de procédure qui viennent retarder la saisine du juge adéquat, et donc allonger inutilement les procédures et différer l'établissement des responsabilités et la fixation de la réparation, sont donc particulièrement inopportunes.

Le groupe d'étude propose donc de revenir, par la voie législative, sur un arrêt du Tribunal des conflits du 6 oct. 1989, Préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône c/Mme Laplace (Rec. CE, p. 295 ; chron. Honorat et Baptiste in ajda 1989, p.768). Cet arrêt avait renversé une jurisprudence très ancienne (TC, 22 déc. 1880, Compagnie de Jésus c/Ministre de l'intérieur, Rec. CE p.1040), qui autorisait le préfet à élever le conflit sur l'action civile à tout moment, y compris devant le juge d'instruction.

Depuis dix ans, lorsque le Parquet est saisi d'une plainte avec constitution de partie civile à raison des actes d'un agent public, et que l'instruction est confiée à un juge d'instruction, il faut attendre que la juridiction pénale ait statué sur la responsabilité pénale pour se pencher sur la compétence juridictionnelle afin de statuer sur la demande de dommages-intérêts. Ce n'est qu'à ce moment-là que la juridiction pénale qualifiera la faute de faute de service pour renvoyer au juge administratif la fixation de la réparation, ou de faute personnelle pour statuer elle-même. C'est dans cette dernière hypothèse que le préfet pourra élever le conflit s'il estime que le comportement reproché à l'agent révèle une faute de service.

Une élévation du conflit, en tant qu'il concerne l'action civile et l'action civile seulement dès la phase d'instruction pénale, permettrait de situer plus tôt le caractère de faute personnelle ou de faute de service du comportement incriminé.

 

6. Rendre la justice administrative plus efficace et plus rapide.

Ainsi qu'il a déjà été dit, l'orientation préférentielle de certaines victimes pour la procédure pénale tient aux avantages qu'elles en attendent dans la recherche de la vérité.

La comparaison entre les deux voies est, d'une certaine manière, biaisée par le déséquilibre qui tient à ce que l'action devant le juge pénal a le plus souvent un double objet l'action publique et l'action civile alors que l'action devant le juge administratif n'est, pour reprendre la terminologie du droit privé, qu'une action civile.

A) La comparaison des procédures devant le juge administratif et le juge pénal tourne actuellement à l'avantage du second.

Du point de vue des victimes, l'action publique est parfois le complément de leur action civile : elles n'estiment complète la réparation du préjudice subi que lorsqu'elles ont obtenu à la fois une indemnité et la condamnation pénale d'un coupable.

Mais il arrive aussi que l'action publique soit accessoire dans les motivations de celui qui saisit le juge pénal. Il est attiré davantage par les modes inquisitoriaux de recherche de preuves propres à l'instruction pénale. Les services de police judiciaire, placés sous l'autorité du Parquet ou de la juridiction d'instruction, disposent de pouvoirs étendus de coercition, notamment de saisie, de perquisition, d'audition de témoins sous serment et de garde à vue, dont le juge administratif est démuni. La possibilité de porter plainte contre X, en laissant au magistrat instructeur le soin d'identifier la personne visée, est un avantage supplémentaire de la procédure pénale sur la procédure devant le juge administratif, auquel le requérant doit indiquer la collectivité qu'il estime responsable et dont il demande la condamnation.

Ces avantages de la saisine du juge pénal sont, toutefois, accompagnés de l'inconvénient pour le plaignant d'obtenir la reconnaissance d'une infraction, alors que l'indemnisation devant le juge administratif est conditionnée par le concept moins exigeant de faute, qui peut résider dans un simple fonctionnement anormal du service, voire, s'il s'agit d'un dommage de travaux publics, d'un simple défaut d'entretien normal de l'ouvrage, la charge de la preuve reposant alors sur la collectivité publique.

Le deuxième avantage porté au crédit de la juridiction pénale relève davantage d'une réputation que d'une attestation. Le juge pénal serait plus rapide que le juge administratif. Certes les délais de règlement des affaires par le juge administratif restent excessifs, surtout devant les cours administratives d'appel, mais le juge pénal connaît aussi des procédures très longues, d'autant plus mal ressenties par les personnes mises en cause qu'elles accroissent la charge émotionnelle de la mise en examen et, même parfois, de la détention provisoire.

L'impression de rapidité du juge pénal tient sans doute surtout à la médiatisation de la mise en examen de la personne visée par la plainte, qui donne le sentiment d'une réponse immédiate.

En ce qui concerne l'indemnisation des victimes, le juge administratif reprend plutôt l'avantage, pour l'essentiel, grâce à la solvabilité des personnes condamnées.

 

B) L'amélioration des procédures devant le juge administratif doit être poursuivie.

1°) Améliorer les procédures d'urgence :

Le groupe d'étude a pris acte du projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives, adopté en première lecture par le Sénat en juin 1999, et actuellement discuté à l'Assemblée nationale.

Ce projet permet d'accroître l'efficacité des procédures d'urgence devant les juridictions administratives :

le régime du sursis, intitulé désormais juge des référés statuant en urgence, est amélioré. La condition tenant à l'existence d'un préjudice disparaît, remplacée par la condition que l'urgence le justifie. La condition tenant à l'existence d'un moyen sérieux est remplacée par celle de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision (art. 3) ;

est créé un référé-liberté, qui permet au juge des référés d'ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle est porté une atteinte grave et manifestement illégale (art. 4) ;

la procédure du référé est ouverte plus largement. La condition tenant à l'impossibilité de faire obstacle au principal disparaît (art. 5).

Le groupe d'étude estime que ces dispositions sont de nature à améliorer sensiblement l'attrait du juge administratif, à condition, d'une part, que celui-ci ne manifeste pas une conception restrictive de ses pouvoirs, et, d'autre part, qu'il améliore sensiblement ses délais de jugement, spécialement en ce qui concerne les procédures d'urgence. Si ces deux conditions étaient réunies dans un avenir proche, les victimes verraient plus d'avantages à se tourner vers le juge administratif pour y trouver une indemnisation rapide et efficace plutôt que de s'adresser au juge pénal pour demander la punition de la victime sans bénéficier d'une réparation équivalente.

2°) Renforcer les pouvoirs d'instruction du juge administratif

Souvent les pièces du dossier soumis au juge administratif lui suffisent pour établir les faits et trancher le litige dont il est saisi. Parfois, leur absence exige des mesures d'instruction qui permettent de compléter l'information du juge et de définir les responsabilités. Mais il arrive aussi que l'administration soit de mauvaise foi et tente de dissimuler certains faits, que le juge administratif ne pourra pas connaître, jugeant que leur matérialité n'est pas établie, alors qu'une enquête simple appuyée sur des pouvoirs d'investigation aurait permis de connaître la vérité.

Les pouvoirs d'instruction du juge administratif (ordonner une enquête, entendre des témoins, diligenter une expertise, par exemple) ne peuvent actuellement être décidés que par un jugement avant-dire-droit, c'est-à-dire par une formation collégiale. Cette exigence nuit à la rapidité de la mesure d'instruction, qui conditionne parfois son efficacité. De plus, ces mesures d'instruction sont largement inefficaces lorsqu'elles se heurtent à la mauvaise volonté de l'administration. Aussi le groupe d'étude recommande-t-il d'augmenter les pouvoirs d'instruction du juge administratif en prévoyant que les parties ne pourront pas s'opposer aux mesures d'instruction qu'il prescrira. On pourrait s'inspirer utilement des pouvoirs d'investigation dont sont dotées les chambres régionales des comptes et les inspections générales.