Chapitre 1
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CHAPITRE Ier : Réduire le champ des délits non intentionnels

 

1. Introduire aux articles 221-6 et 222-19 du Code pénal relatifs aux délits d'homicide et de blessures involontaires les notions de lien direct et de faute qualifiée.

Selon le nouveau Code pénal issu des lois du 22 juillet 1992, tel que complété par des textes de loi postérieurs, le principe est qu'il n'y pas de crime ou de délit sans intention de le commettre (article 121-3, alinéa 1, du Code pénal). La culpabilité non intentionnelle (envisagée dans son deuxième alinéa et qui s'en démarque par l'introduction de l'adverbe toutefois) revêt un caractère d'exception à ce principe général.

Dans le cadre de la mission qui lui a été assignée, le groupe d'étude a porté sa réflexion sur le particularisme de la délinquance non intentionnelle et a recherché, au terme d'une analyse critique de deux principes anciens qui régissent notre droit positif, si une approche plus nuancée des notions de faute et de causalité ne permettrait pas une sanction des délits non intentionnels plus équitable qu'elle ne l'est actuellement.

Le législateur moderne, sans définir la faute, a énuméré dans des articles d'incrimination, cinq comportements générateurs de responsabilité. La question s'est posée de savoir s'il fallait assimiler la faute civile qui oblige son auteur à réparer les conséquences dommageables de la faute la plus légère et la faute pénale. La Cour de cassation, en raison des termes généraux employés par la loi pour envisager la faute (le fait de causer à autrui) y a répondu par l'affirmative, dans un arrêt rendu le 18 décembre 1912 par la deuxième Chambre civile, et ce principe d'unicité de la faute civile et pénale a été consacré par la jurisprudence ultérieure.

Cependant, cette confusion entre la faute pénale d'imprudence et la faute quasi-délictuelle civile conduit à des effets inéquitables pour celui qui est mis en cause. En effet, le droit civil et le droit pénal poursuivent des objectifs différents. Le premier contient des dispositions ayant simplement pour but d'indemniser la victime du dommage, tandis que le second a pour mission de sanctionner un comportement dangereux.

Parallèlement, s'est développée la théorie dite de l'équivalence des conditions. De multiples espèces puisées dans l'actualité tendent à démontrer que la recherche de la relation causale n'est pas toujours aisée et se complique lorsque plusieurs agissements ou omissions ont concouru, à des degrés divers, à la réalisation de dommages, qu'ils soient imputables à des tiers ou à la victime elle-même.

L'appréciation de la causalité a fait l'objet d'interprétations différentes de la part des juridictions civiles, administratives et pénales : en matière civile et administrative, la jurisprudence s'est attachée à la théorie de la causalité adéquate, cherchant à rattacher à l'événement dommageable celui de ses antécédents qui était normalement de nature à le produire, alors que les tribunaux répressifs ont opté pour la théorie de l'équivalence des conditions selon laquelle il suffit que le fait illicite ait concouru à la réalisation du dommage pour qu'il soit possible de mettre en jeu la responsabilité de son auteur.

Transposer l'approche de la responsabilité du droit civil et administratif au plan pénal aurait le mérite de permettre le départ entre des comportements fautifs en soi, mais qui n'ont pas eu d'incidence sur le dommage en litige et ceux qui y ont directement concouru ; cela imposerait, en outre, au juge pénal une plus grande rigueur dans la formulation de son raisonnement. Encore faudrait-il admettre, afin de ne pas assurer une trop large impunité à ceux dont le comportement n'a eu qu'une influence causale secondaire, que seules seraient exclues de la répression des fautes de moindre gravité.

Sous réserve d'améliorations terminologiques, le groupe d'étude, en l'état de sa réflexion, propose une modification des textes prévoyant et réprimant les délits d'homicide et de blessures involontaires, qui pourraient être ainsi rédigés (les modifications proposées figurent en caractères gras) :

 

Article 221-6 du Code pénal :

Le fait de causer directement, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 francs d'amende.

Sera puni des mêmes peines quiconque aura indirectement causé par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ou les règlements la mort d'autrui, dès lors que son comportement révèlera une action ou une omission constitutives d'une faute grave.

 

En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, les peines encourues sont portées à cinq ans d'emprisonnement et  500 000 francs d'amende.

 

Article 222-19 du Code pénal :

 

Le fait de causer directement à autrui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 francs d'amende.

 

Sera puni des mêmes peines quiconque aura indirectement causé par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence imposée par la loi ou les règlements une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois, dès lors que son comportement révèlera une action ou une omission constitutives d'une faute grave.

 

En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, les peines encourues sont portées à trois ans d'emprisonnement et à 300 000 francs d'amende.

 

2. Harmoniser les dispositions relatives à l'appréciation in concreto.

 

Rappel des textes concernés tels qu'issus de la loi du 13 mai 1996 :

Article 121-3, alinéa 3, du Code pénal :

Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

Articles insérés dans le Code général des collectivités territoriales :

Le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation (Art. 2123-34) ; le président du conseil général ou un vice-président ayant reçu une délégation (Art. 3123-28) ; le président du conseil régional ou un vice-président ayant reçu une délégation (Art. 4135-28) ; ne peut être condamné sur le fondement de l'article 121-3 du Code pénal pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de ses fonctions que s'il est établi qu'il n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie.

 

Article 11 bis A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires :

Les fonctionnaires et les agents non titulaires de droit public ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de l'article 121-3 du Code pénal pour des faits non intentionnels commis dans l'exercice de leurs fonctions que s'il est établi qu'ils n'ont pas accompli les diligences normales, compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie.

Le but poursuivi par le législateur de 1996 était d'éviter une appréciation théorique et abstraite de la faute et de conduire le juge pénal à apprécier le contexte de l'acte commis. Inséré dans un texte de portée générale, s'agissant d'une disposition du Code pénal relative à l'intention, ce principe d'appréciation in concreto a été décliné dans des dispositions figurant au Code général des collectivités territoriales, sans vocation répressive, ainsi que dans le statut de la fonction publique, avec deux différences rédactionnelles notables.

La rigueur juridique et la position vers laquelle s'est, d'ores et déjà, orientée la Cour de cassation (voir, notamment, sur ce point, la motivation de la Chambre criminelle dans son arrêt rendu le 24 juin 1997 statuant sur l'affaire de Furiani, ou les développements du Conseiller Guerder, dans le rapport annuel (p. 103) de la Cour de cassation pour 1998) amènent le groupe d'étude à proposer une modification de l'article 121-3 du Code pénal, en lien avec les différences de rédaction relevées, qui pourrait porter sur les deux points suivants :

en premier lieu, et s'agissant du fardeau de la preuve, il apparaît que la formulation du troisième alinéa de l'article 121-3 du Code pénal repris ci-dessus, implique que la personne poursuivie fasse la démonstration de l'accomplissement de diligences normales, alors que les textes de déclinaison requièrent l'établissement, par la partie poursuivante, de la défaillance du prévenu dans l'accomplissement de ses diligences, compte tenu du contexte qui lui était propre.

Le défaut de diligence dont il s'agit constituant un élément du délit, il convient de considérer que la preuve en incombe à l'accusation. Dès lors, le texte de l'article 121-3 du Code pénal pourrait utilement reprendre une formulation calquée sur celle des textes de déclinaison énoncés plus haut et (étant précisé que la modification proposée figure en caractères gras) les termes : il y a également délit (...) sauf si l'auteur des faits a accompli (...) seraient remplacés par : il y a également délit (...) dès lors qu'il est établi que (...).

en second lieu, et sur l'étendue de la notion de diligences normales, il ressort de la lecture comparée du texte répressif de portée générale, d'une part, et des textes particuliers, d'autre part, que ces derniers adjoignent au premier un élément d'appréciation supplémentaire des diligences normales puisqu'ils invitent, en outre, le juge à s'attacher aux difficultés propres aux missions que la loi lui confie.

Le simple examen, qu'impose le Code pénal, de la nature des missions ou des fonctions confiées à l'auteur des faits poursuivis pourrait opportunément être étendu à celui des difficultés qui leur sont propres eu égard aux buts poursuivis. L'alignement proposé paraît, de surcroît, de nature à permettre une égale appréciation du comportement de l'ensemble des justiciables.

Dans une rédaction nouvelle, l'article 121-3 du Code pénal in fine pourrait être formulé selon l'une ou l'autre des deux propositions retenues par le groupe d'étude, à savoir (les modifications proposées figurent en caractères gras) :

(...) compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions et des difficultés propres aux missions que la loi lui confie, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

ou bien, selon la rédaction alternative suivante tenant compte du fait que cet article est de portée générale :(...) compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions et des difficultés inhérentes à leur exercice, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.

 

3. Modifier la terminologie du manquement consistant en la violation d'une prescription légale ou réglementaire.

 

Les dispositions du Code pénal énumérant les cinq comportements dont un seul suffit à caractériser une faute non intentionnelle, évoquent le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi et les règlements.

A la faveur des auditions de décideurs publics pratiquées, il est apparu que cette forme plurielle pouvait être source d'erreur d'appréciation et qu'il serait opportun de lui substituer la forme singulière.

Il conviendrait, en effet, d'exprimer en termes clairs et juridiquement précis que ne sont pas concernés les manquements au devoir de prudence ou de sécurité lorsque l'obligation n'est contenue que dans des documents dépourvus de valeur réglementaire, telles que des instructions ou des circulaires, mais que doivent être, en revanche, respectées les obligations édictées par des autorités détenant le pouvoir de prendre des règlements, tels le Président de la République, le Premier ministre (statuant par voie de décrets ou d'arrêtés), les ministres, les préfets ou les autorités exécutives ou délibérantes des collectivités locales.

C'est pourquoi le groupe d'étude est amené à proposer de remplacer le terme les règlements contenu dans les articles 121-3, alinéa 3, 221-6 et 222-19 par sa forme au singulier, soit : le règlement.

Il est à noter que d'autres propositions tendant à voir modifier les dispositions du Code pénal ont été avancées par les membres du groupe d'étude ou lui ont été soumises à l'occasion des multiples investigations auxquelles il a procédé et qu'il a été décidé de les écarter, soit qu'elles soient apparues trop restrictives, en ce qu'elles ne visaient qu'une catégorie de fautes non intentionnelles, soit qu'elles aient été estimées par trop extensives, en ce qu'elles visaient à réformer des textes de portée générale (tel l'article 121-1 du Code pénal) et risquaient, échappant au périmètre du champ de la présente étude, de produire des bouleversements imprévisibles ou indésirables dans l'appréciation de la responsabilité en général.