Chapitre 3
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CHAPITRE III : Enrayer la création de nouvelles infractions sanctionnées pénalement

Toujours plus de sanctions pénales ?

Le groupe d'étude a considéré la production législative et réglementaire en matière pénale depuis une quinzaine d'années.

Des statistiques produites par la direction des affaires criminelles et des grâces, il ressort qu'au cours des quinze dernières années (de 1984 à septembre 1999), près de mille textes (946 exactement) législatifs ou (surtout) réglementaires ont prévu de nouvelles sanctions pénales. Le rythme s'est accéléré depuis 1996. On constate donc une propension, tant du législateur que du pouvoir réglementaire, à assortir d'une sanction pénale toute méconnaissance d'une obligation. Comment s'étonner ensuite de la pénalisation croissante de la société et de la tendance à rechercher de plus en plus systématiquement l'intervention du juge pénal ?

1. Un moratoire : pas de nouvelles infractions pénales en l'an 2000.

Cette situation a semblé au groupe d'étude constituer une des racines du mal dont souffrent les décideurs publics et, au-delà, la société française toute entière. Il faut s'engager sans tarder dans la voie de l'absence de sanctions pénales pour tout ce qui ne mérite pas d'être pénalisé et qui, à l'avenir, ne devrait pas en faire l'objet.

Le ministère de la justice devrait, avec l'aide du secrétariat général du gouvernement et du Conseil d'Etat statuant en formation administrative, exercer un rôle de filtre pour, à l'occasion de l'élaboration des projets de loi et de décrets, repousser l'introduction dans ces projets de dispositions pénales qui ne seraient pas absolument indispensables, et demander aux départements ministériels concernés de s'interroger davantage sur le recours à d'autres formes de sanctions.

De manière un peu symbolique, le groupe demande au gouvernement et au Parlement d'instaurer, pour une année, un moratoire sur la création de toute nouvelle infraction pénale. Il ne s'agit pas d'une année d'impunité, mais de stabilisation du droit pénal, qui montrerait la volonté d'orienter le règlement des conflits entre les personnes vers d'autres voies que la recherche systématique d'une sanction pénale.

2. Rechercher d'autres formes de sanctions.

Cette année devrait être utilisée par chaque département ministériel pour analyser la pertinence des sanctions pénales existantes et rechercher, pour celles qui seraient d'application délicate ou dépourvues d'effets tangibles, d'autres formes de sanctions à l'encontre de leurs auteurs.

Les indicateurs statistiques fournis par la direction des affaires criminelles et des grâces révèlent que le nombre d'infractions en vigueur, qui s'élevait à 8805 en 1989, est monté à 10 029 en novembre 1999. Au cours des quinze dernières années, les abrogations sont plus rares que les créations et les modifications de nouvelles sanctions, ce qui explique la croissance significative du nombre de sanctions pénales existantes.

Au cours de la même période, hors 1988 et 1995, années d'amnistie, on constate cependant une certaine stabilité des condamnations prononcées, surtout pour les délits. De 1987 à 1997 inclus, le nombre de condamnations prononcées par les cours d'assises est passé de 2636 à 2981 (avec un minimum à 2543 en 1992), celui des condamnations prononcées par les tribunaux correctionnels de 413 000 à 435 000 (avec un maximum de 469 000 en 1990 et un minimum de 277 000 en 1988, année d'amnistie), celui des contraventions infligées par les tribunaux de police de 91 000 à 99 000 (avec un pic à 105 000 en 1990 et un minimum de 28 000 en 1995, année d'amnistie).

Le sentiment de pénalisation ne ressort donc pas d'un accroissement significatif du nombre de condamnations, mais du nombre d'infractions en vigueur dans notre droit. Le groupe pense que c'est ce nombre excessif qui suscite l'impression de complexité des règles en vigueur, le recours parfois exagéré au juge pénal et l'inquiétude des décideurs publics menacés par le très grand nombre d'infractions susceptibles d'être commises. C'est ce nombre qu'il faut réduire, d'autant plus que, de manière très constante depuis 1987, 98 % des condamnations inscrites au casier judiciaire (crimes, délits et contraventions de la 5ème classe) le sont en répression de seulement 500 des 10 000 infractions existantes.

L'année 2000 pourrait donc être mise à profit pour procéder à un examen systématique de l'ensemble des sanctions pénales existantes et évaluer leur pertinence. Cette mission impartie à chaque département ministériel, et coordonnée par la direction des affaires criminelles et des grâces, sera facilitée par le nécessaire recensement de tous les textes comportant des indications financières libellées en francs, qui doivent être modifiés pour transcrire ces indications en euros.

D'une façon plus théorique, n'est-il pas plus efficace de punir l'auteur d'une infraction sur le même registre que celui où il a manqué à ses devoirs ?

Celui qui commet une banqueroute frauduleuse est interdit de diriger une entreprise, le chauffard se voit privé de son permis de conduire, le candidat qui triche avec les règles de financement des campagnes électorales est déclaré inéligible... Les administrations sont donc invitées par le groupe d'étude à envisager le remplacement de nombreuses sanctions pénales par d'autres formes de sanctions, plus adaptées au comportement fautif.