Chapitre 5
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CHAPITRE V : Limiter les recours abusifs au juge pénal

 

1. Introduire des conditions plus strictes de recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile.

Aux termes de l'article 2 du Code de procédure pénale : L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. La victime d'une infraction peut se constituer partie civile à titre incident, lorsque des poursuites ont déjà été engagées par le procureur de la République, mais peut aussi agir à titre principal, mettant alors en mouvement l'action publique. Cette originalité du droit français, inconnue dans la plupart des pays étrangers21, trouve sa justification dans le fait qu'elle constitue la contrepartie du principe de l'opportunité des poursuites et permet à toute personne, physique ou morale, qui se prétend victime d'une infraction de lutter contre une éventuelle inertie du Parquet.

Les faits dénoncés doivent être susceptibles de qualification pénale et il n'est pas exigé de la partie civile, au stade de l'information préalable, qu'elle prouve l'existence de l'infraction.

Il lui suffit, par ailleurs, devant le juge d'instruction, de justifier de la possibilité d'un préjudice direct pour que sa constitution soit recevable. Sur ce dernier point, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se montre extrêmement bienveillante, estimant avec constance et encore dans de récents arrêts (cf., à cet égard, un arrêt rendu le 8 juin 1999), qu'il suffit, pour admettre la recevabilité de l'action de la partie civile, que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge de considérer comme possible l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec la loi pénale, laissant au juge du fond le soin d'établir la réalité de l'infraction et de statuer sur l'existence du préjudice ainsi que sur son lien avec l'infraction dénoncée.

La réunion de ces éléments contraint le juge d'instruction, saisi d'une plainte avec constitution de partie civile, à instruire comme s'il était saisi par un réquisitoire introductif, et ceci quelle que soit la position du ministère public sur la plainte, sous réserve des circonstances limitativement énumérées par l'article 86, alinéa 4, du Code de procédure pénale autorisant ce dernier à prendre des réquisitions de non informer.

Les associations, ou, plus généralement, les personnes morales qui défendent un intérêt collectif spécifique ne sont jamais directement et personnellement lésées par les infractions qui portent indirectement atteinte à cet intérêt et ne devraient donc pas pouvoir se constituer parties civiles.

Cependant, dérogeant au principe posé par l'article 2 du Code de procédure pénale, de nombreuses dispositions législatives, insérées dans les articles 2-1 et suivants du même code ou dans d'autres codes (comme le Code rural, celui du travail ou celui de la santé publique) ou encore dans des lois non codifiées, ont été adoptées ces dernières années pour reconnaître à ces personnes morales le droit de se constituer partie civile. Les modalités d'exercice de leurs droits ne sont pas uniformes et c'est la possibilité de se constituer à titre principal qui génère le plus de difficultés, puisqu'elle revient à ce que d'aucuns ont appelé une privatisation du droit public.

A de multiples reprises, les personnes invitées par le groupe d'étude à contribuer oralement ou par écrit à sa réflexion ont évoqué, au rang des préoccupations sur lesquelles il leur paraissait nécessaire de se pencher, la faveur actuellement accordée au plaignant. La façon extensive dont sont appréciées les conditions de recevabilité des plaintes leur est apparue porteuse d'un risque de pénalisation accrue et de dérives.

Elles ont, d'ailleurs, démontré que ce risque était d'ores et déjà réalisé en produisant des éléments statistiques tels ceux relatifs aux cabinets des juges d'instruction parisiens spécialisés dans le domaine financier qui compteraient, à raison des deux-tiers, des dossiers ouverts sur des plaintes avec constitution de partie civile tendant à attester de l'ampleur du phénomène.

Elles ont, en outre, stigmatisé les pratiques contestables d'individus ou d'associations dépourvues d'une réelle légitimité et qui discréditent le monde associatif en procédant à un contournement du droit. Elles leur reprochent, en effet, d'user de cette faculté en prétendant obtenir réparation d'un préjudice en lien avec l'infraction invoquée, alors qu'elles entendent, essentiellement, au mieux déstabiliser la personne dénoncée, au pire et grâce à l'impact médiatique que peut avoir une mise en examen, porter atteinte à la probité ou à la crédibilité de la personne visée dans la plainte. Dans le même ordre d'idées, elles ont dénoncé des pratiques consistant à menacer de déposer une plainte afin d'obtenir des avantages.

Le groupe d'étude a considéré qu'une régulation s'imposait et que la modification des conditions de recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile devait figurer parmi les solutions envisageables au problème qui lui a été soumis .

Des voies de réforme peuvent être envisagées, mais seulement à terme, en raison du système juridique mis en place et de la position de la Cour de cassation, évoquée plus haut, sur cette question.

L'adoption d'un projet de loi actuellement soumis au Parlement sur les relations de la Chancellerie et du Parquet et qui prévoit une faculté de recours contre les classements sans suite pourrait permettre de redéfinir les conditions générales de recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile puisque les plaignants seront mieux garantis contre des classements prononcés au nom du principe d'opportunité des poursuites et qu'ils jugeraient abusifs.

Dans cette perspective, il pourrait être utilement octroyé au juge d'instruction le pouvoir de se prononcer sur la recevabilité des plaintes qui lui sont soumises, en lui permettant d'exiger de la personne qui se prétend lésée par une infraction à la loi pénale qu'elle apporte des indices suffisants de nature à permettre d'établir, d'une part, l'existence d'une infraction et, d'autre part, la réalité d'un préjudice en lien direct avec cette dernière, et ceci à peine d'irrecevabilité.

D'autres propositions ont été exclues en raison de leurs inconvénients.

A cet égard, il peut être rappelé que, sous l'empire du Code d'instruction criminelle qui ne prévoyait pas expressément la mise en mouvement de l'action publique par la partie civile, la Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans l'arrêt Laurent Atthalin, rendu le 8 décembre 1906, a reconnu à la partie civile le droit de mettre en mouvement l'action publique et que le législateur a postérieurement consacré cette jurisprudence sans la remettre en cause.

A ainsi été écartée la proposition tendant à restituer au seul Parquet le droit de mettre en mouvement l'action publique, ou celle consistant à interdire aux personnes morales dont la plupart défendent des intérêts moraux ou collectifs respectables et incontestables de prendre l'initiative de ce déclenchement, ou celle, encore, de soumettre la recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile à la preuve d'une demande d'indemnisation préalable devant la collectivité qui pourrait être concernée, ou devant une juridiction civile ou administrative.

S'agissant des plaintes avec constitution de partie civile des personnes morales autorisées à agir, si certains intervenants ont pu déplorer que les habilitations législatives largement conférées ne remplissent pas pleinement leur rôle, qui consiste à défendre des intérêts moraux désintéressés, et souhaité une clarification, le groupe d'étude n'en a pas moins exclu une telle proposition.

En effet, outre le fait que la question a déjà fait l'objet d'un rapport, confié à Monsieur Albertini, dont les propositions paraissent soulever d'importantes difficultés tant en droit qu'en opportunité, le problème que posent les conditions de l'exercice de l'action civile par ces personnes doit être grandement relativisé dans le cadre d'une réflexion sur la responsabilité non intentionnelle des décideurs publics, en raison de la nature intentionnelle des délits pour lesquels la plupart de ces associations spécialisées sont habilitées à mettre en mouvement l'action publique.

 

2. Réaffirmer ou renforcer les sanctions à l'encontre des auteurs de plaintes avec constitution de partie civile abusives.

Conscient que la constitution de partie civile pouvait être utilisée de façon téméraire ou abusive, le législateur a, depuis longtemps, introduit dans les textes des dispositions de nature préventive ou répressive tendant à assurer la protection de la personne dénoncée.

A titre de mesure préventive, l'article 2 de la loi du 2 juillet 1931, toujours en vigueur, a interdit de publier, avant décision judiciaire, toute information relative à des constitutions de partie civile faites à titre principal, afin d'éviter le chantage ou de prévenir de possibles scandales.

La loi du 4 janvier 1993 a, également, prévu des mesures destinées notamment à protéger une personne faisant l'objet d'une plainte avec constitution de partie civile et qui serait publiquement présentée comme coupable; le premier alinéa de l'article 9-1 du Code civil affirme, en effet, que chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, et le juge civil peut, même en référé, ordonner l'insertion d'un communiqué destiné à faire cesser l'atteinte, aux frais du responsable.

Par ailleurs, à la suite d'une décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n'est pas établie ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée, la partie civile de mauvaise foi, qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une personne morale, peut, aux termes des articles 226-10 et 226-12 du Code pénal, être poursuivie pour des faits de dénonciation calomnieuse et être punie d'une peine de cinq ans d'emprisonnement (pour les personnes physiques) et d'amende de 300 000 francs (pour l'une et pour l'autre), la personne morale encourant, en outre, des peines spécifiques : interdiction d'exercice, affichage ou diffusion de la décision prononcée.

Concurremment à cette action, la personne dénoncée qui a bénéficié d'un non-lieu peut, selon l'article 91, alinéa 2, du Code de procédure pénale, par voie de citation directe devant le tribunal correctionnel, réclamer des dommages-intérêts à la partie civile qui a agi de façon abusive ou dans un but dilatoire.

La loi du 4 janvier 1993, enfin, a introduit une nouvelle disposition, codifiée au premier alinéa de ce même article 91, en permettant au procureur de la République, après une décision de non-lieu pour insuffisance de charges, de citer la partie civile devant le tribunal correctionnel, afin que soit prononcée à son encontre une amende civile qui peut atteindre 100 000 francs.

Il est apparu opportun au groupe d'étude d'insérer dans son rapport cette législation, protectrice des intérêts de personnes abusivement mises en cause et dont l'application rigoureuse pourrait être de nature à dissuader de téméraires plaignants.

Pour atteindre ce but, il pourrait être envisagé, au moyen, par exemple, d'une simple diffusion d'imprimés de rappeler systématiquement ces textes à la partie civile, au moment du dépôt de la plainte et avant son enregistrement puisque le retrait de la plainte avant l'ordonnance de non-lieu ne fait pas obstacle à l'action fondée sur l'article 91 du Code de procédure pénale.

Les parquets pourraient être incités à davantage user de la faculté que leur ouvrent les dispositions de l'article 91 du Code de procédure pénale.

Il serait, enfin, souhaitable que les tribunaux prêtent aux demandes de cette nature une attention toute particulière.

 

3. Favoriser le droit de réponse de la personne dont la mise en examen est parue dans un organe de presse.

Le groupe d'étude a souhaité rétablir un certain équilibre entre le plaignant abusif et la personne visée par cette plainte. La mise en examen est, en effet, souvent médiatisée alors que sa mise hors de cause, qui intervient plusieurs mois ou plusieurs années après, est passée sous silence.

Le groupe d'étude propose donc d'offrir au bénéficiaire d'une ordonnance de non-lieu, d'un classement sans suite ou d'un jugement de relaxe la faculté de faire connaître l'issue de la procédure pénale engagée contre lui. L'intéressé, dont la mise en examen avait été évoquée dans un organe de presse, disposerait, s'il le souhaite, dans cet organe de presse et à la même place, de la mention de cette décision judiciaire mettant fin à la procédure. Il conviendrait donc de compléter le projet de loi sur le renforcement de la présomption d'innocence actuellement en discussion au Parlement.

Certes, l'usage du droit de réponse dans la presse est parfois délicat et contre-productif. C'est pourquoi le groupe d'étude ne souhaite pas instaurer aux dépens de l'organe de presse une automaticité d'insertion, mais seulement ouvrir à la personne bénéficiaire une faculté. Elle pourra y renoncer, par exemple s'il lui apparaît que l'opinion a oublié la mise en examen intervenue longtemps auparavant et qu'un rappel de cet événement, même à l'occasion de l'information du non-lieu ou de la relaxe, ne lui apporterait aucun bénéfice.