Discussion des articles 2 à 6
Article 2
M. le président. « Art. 2. - L'article 221-6 du même code est ainsi modifié
:
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer"
sont remplacés par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et
selon les distinctions prévues à l'article 121-3".
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont
remplacés par les mots : "ou le règlement".
« III. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement
délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi
ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de
violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »
Par amendement n° 16 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger ainsi le
I du texte présenté par cet article pour modifier l'article 221-6 du code
pénal :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer par
maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation
de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements" sont
remplacés par les mots : "Le fait de causer, dans les conditions et selon
les distinctions prévues à l'article 121-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président. « Art. 3. - L'article 222-19 du même code est ainsi modifié
:
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à
autrui" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à autrui,
dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article 121-3".
« II. - Dans le même alinéa, les mots : "ou les règlements" sont
remplacés par les mots : "ou le règlement".
« III. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement
délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi
ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de
violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement". »
Par amendement n° 17 rectifié, M. Dreyfus-Schmidt propose de rédiger ainsi le
I du texte présenté par cet article pour modifier l'article 222-19 du code
pénal :
« I. - Au début du premier alinéa, les mots : "Le fait de causer à
autrui par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une
obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à
autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article
121-3". »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je retire également cet amendement, monsieur le
président.
M. le président. L'amendement n° 17 rectifié est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 3
M. le président. Je suis saisi de deux amendements, déposés par M.
Dreyfus-Schmidt et tendant à insérer des articles additionnels après
l'article 3.
L'amendement n° 18 vise à insérer, après l'article 3, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Au début de l'article L. 232-2 du code rural, après les mots :
"Quiconque a", sont insérés les mots : ", dans les conditions
et selon les distinctions prévues à l'article 121-3 du code pénal," ».
L'amendement n° 19 tend à insérer, après l'article 3, un article additionnel
ainsi rédigé :
« Au début du deuxième alinéa de l'article 331 du code rural, après les
mots : "Quiconque aura involontairement", sont insérés les mots :
", dans les conditions et selon les distinctions prévues à l'article
121-3 du code pénal," ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre ces deux amendements.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Les amendements n°s 18 et 19 visent respectivement
l'article L. 232-2 et l'article L. 331 du code rural, qui traitent des
pollutions involontaires.
Il nous a paru nécessaire, comme je l'ai dit dans la discussion générale, de
préciser dans le code rural que le nouvel article 121-3 du code pénal, qui
concerne la cause directe ou indirecte, doit s'appliquer en matière
d'environnement de manière qu'il soit clair, à la lecture du seul code rural,
qu'un article général du code pénal prévoit qu'on ne poursuit pas bêtement
quelqu'un qui n'aurait pas eu les moyens de faire ce qu'il a fait ou qui
n'aurait pas eu, en matière de responsabilité indirecte, l'intention
délibérée de violer une quelconque obligation de prudence et de sécurité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission émet un avis favorable. Il
s'agit de considérer que des atteintes à l'environnement qui sont des délits
d'imprudence et de négligence vont bénéficier de la disposition que nous
sommes en train de voter.
Je dois dire que j'y ai pensé dès le début de ma démarche. Je me suis posé
la question de savoir comment l'on pourrait toucher aussi ce vaste domaine des
atteintes à l'environnement, dont on n'a pas beaucoup parlé, mais au titre
duquel on condamne à tour de bras.
C'est la raison pour laquelle - je ne l'avais pas prévu au moment de
l'élaboration de ma proposition de loi, mais cela m'est apparu ensuite au cours
des travaux de la commission des lois - j'ai ramené ma proposition, qui
s'insérait à l'origine dans les articles 221-6 et 229-19 du code pénal, qui
ne traitent que des blessures et des homicides par imprudence, à l'article
121-3 du même code, qui est le frontispice général sur lequel on pose le
principe de la délinquance par imprudence ou négligence à l'égard de tous
les cas de figure possibles et imaginables « lorsque la loi le prévoit ». Or,
la loi le prévoit pour les homicides ou les blessures par imprudence, mais
aussi dans les hypothèses d'atteinte à l'environnement.
C'est la raison pour laquelle j'ai ramené mon texte en dénominateur commun, de
manière que puissent être invoquées dans un bon nombre de cas les hypothèses
d'atteinte à l'environnement, qui sont des hypothèses de délit non
intentionnel.
M. Dreyfus-Schmidt, s'inscrivant tout à fait dans cet esprit, propose de le
dire de manière encore plus expresse dans les deux hypothèses que sont la
pollution des eaux et les épizooties. La commission est tout à fait d'accord
elle émet donc un avis favorable sur les amendements n°s 18 et 19.
M. Michel Charasse. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 18 et
19 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. S'agissant de l'amendement n°
18, les précisions apportées à l'article L. 232-2 du code rural, qui réprime
les pollutions de cours d'eau, sont identiques à celles qui ont été
apportées aux dispositions relatives aux délits d'homicide et de blessures
involontaires.
Je m'en remets par conséquent à la sagesse du Sénat.
J'adopterai la même position à propos de l'amendement n° 19. J'observe
toutefois que l'infraction visée par cet amendement, à savoir la propagation
involontaire d'une épizootie, est, à la différence de la précédente,
beaucoup moins fréquemment invoquée et que le rappel d'un principe général
du droit pénal est donc moins opportun.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 18, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est
inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 19, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est
inséré dans la proposition de loi, après l'article 3.
Articles 4 et 5
M. le président. « Art. 4. - Au début de l'article 222-20 du même code,
les mots : "Le fait de causer à autrui, par un manquement délibéré à
une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les
règlements" sont remplacés par les mots : "Le fait de causer à
autrui, par la violation manifestement délibérée d'une obligation
particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement". » - (Adopté.)
« Art. 5. - L'article 322-5 du même code est ainsi modifié :
« I. - Dans le premier alinéa, les mots : "ou les règlements" sont
remplacés par les mots : "ou le règlement".
« II. - Au début du second alinéa, les mots : "En cas de manquement
délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi
ou les règlements" sont remplacés par les mots : "En cas de
violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de
sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement". » - (Adopté.)
Article 6
M. le président. « Art. 6. - Les deux derniers alinéas de l'article 121-2 du
même code sont ainsi rédigés :
« Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont
responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice
d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de
service public sauf s'il s'agit d'une infraction constituée par un manquement
non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la
loi ou le règlement.
« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des
personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des
dispositions du troisième alinéa de l'article 121-3. »
Par amendement n° 23, le Gouvernement propose de remplacer les deux premiers
alinéas de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 121-2 du code pénal est ainsi rédigé : ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le présent amendement réécrit
le début de l'article 6 de la proposition de loi, qui modifie l'article 121-2
du code pénal relatif à la responsabilité pénale des personnes morales, afin
que ne soit plus modifié que le dernier alinéa de cet article, par
coordination avec la modification de l'article 121-3 du code pénal limitant la
responsabilité des personnes physiques pour les délits non intentionnels.
Il supprime ainsi la modification du deuxième alinéa de l'article 121-2, qui a
pour objet d'étendre la responsabilité pénale des collectivités
territoriales aux infractions constituées par des manquements non délibérés
à des obligations de sécurité ou de prudence, même si ces infractions ont
été commises dans le cadre d'activités non susceptibles de faire l'objet de
conventions de délégation de service public.
Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, le Gouvernement est
opposé à cette extension. En effet, cette modification permettrait de placer
sous le contrôle des juridicitions répressives les prérogatives de puissance
publique des collectivités territoriales et porterait atteinte au principe de
la séparation des pouvoirs.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas leur problème !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En outre, cette extension
augmenterait le risque de pénalisation de la vie publique sans pour autant
garantir une diminution des poursuites engagées ou des condamnations
prononcées contre les élus, puisque, de toute façon, la responsabilité
pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques.
Ce qui est important, dans la proposition de loi de M. Fauchon, c'est la
réduction de la responsabilité pénale des personnes physiques pour les
délits non intentionnels. Pour aboutir à ce résultat, il n'est nul besoin
d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales, d'autant
que leur responsabilité ne sera pas réduite par le nouvel article 121-3, ce
qui incitera donc les juges à poursuivre les personnes morales plutôt que les
personnes physiques.
Pour ces différentes raisons, je vous demande avec conviction de bien vouloir
adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous abordons là une question
intéressante et d'une très grande portée, à la fois théorique et pratique.
Nous avons posé le principe, voilà déjà un certain nombre d'années, de la
responsabilité pénale des personnes morales. Cela a surpris : on nous a
répondu, de manière peut-être trop immédiate, que, les personnes morales ne
pouvant pas aller en prison, on ne pouvait donc prévoir leur responsabilité
pénale. C'est toutefois une idée un peu courte : les personnes morales peuvent
être frappées de blâmes ou de sanctions !
J'ajoute que, contrairement à ce qu'on a cru, ce n'est pas une idée nouvelle.
Et, puisque nous parlons sous l'égide de Colbert, vous me permettrez peut-être
de sortir de ma poche ce code de 1670. (M. le rapporteur montre un volume
in-16.)
M. Michel Charasse. Oh là là !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela va vous plaire, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse. Beaucoup !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit de l'Ordonnance de Louis XIV,
roi de France et de Navarre, en matière criminelle, dans son édition de
1670. Vous constaterez qu'il s'agit d'une édition de poche, qui, je vous le
fais observer, est d'époque ! Son titre XXI traite « de la manière de faire
les procès aux communautés, villes, bourgs, village, corps et compagnies qui
auront commis quelque rebellion, violence ou autre crime ». Suivent un certain
nombre de dispositions, dont celle que nous proposons nous-mêmes, la
désignation d'un syndic spécial : aux termes de l'article 4 « les
condamnations ne pourront être que des réparations civiles, dommages et
intérêts envers la partie, amendes envers nous, privation de leurs
privilèges... » et quelques autres punitions qui marquent publiquement la
peine qu'elles auront encourue par leurs crimes.
Il s'agit donc, en réalité, d'une idée ancienne, qui est enracinée dans nos
institutions, d'une idée que je crois parfaitement justifiée, d'une idée que
je crois, je le dirai tout à l'heure, tout à fait utile.
Quel est l'état du droit actuel ? A partir du moment où l'on a admis la
responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes
morales, il faut pratiquer une distinction entre deux hypothèses : soit elles
exercent des compétences qui peuvent être déléguées - elles peuvent
demander à une entreprise de refaire une chaussée, de construire un tennis ou
de ramasser les ordures ménagères - et il n'y a alors aucune difficulté, la
personne morale peut être condamnée pénalement si des faits d'imprudence ou
de négligence ont été commis ; soit, au contraire, il s'agit de compétences
qui ne peuvent être déléguées, comme le pouvoir de police, par exemple, et
l'on ne peut alors envisager la responsabilité pénale de la personne morale,
parce que ce serait, en quelque sorte, porter atteinte à une sorte de domaine
sacré.
Vous avez parlé tout à l'heure, madame la ministre, de prérogatives d'Etat.
Je constate que l'on se réfugie dans des formules qui sont extrêmement
vénérables mais dont on ne connaît pas très bien au juste le fondement par
rapport à la conscience juridique actuelle. Si l'on se réfère à la
conscience juridique d'il y a cent ans, on voit bien de quoi il s'agit, mais,
par rapport à la conscience actuelle, ce n'est pas clair. Il n'y a rien de
vénérable ou de respectable dès lors qu'un délit est commis ! Si une
personne morale a commis un délit, toute imprégnée qu'elle soit des
prérogatives de la puissance publique, elle doit en répondre pénalement !
Mais on peut aller plus loin. A cet égard, j'ai été ravi d'entendre M. Mauroy
ce matin : c'était un honneur et un bonheur pour nous tous. Il a évoqué, en
élevant la réflexion, la question abordée par la commission Massot, en se
demandant s'il ne conviendrait pas de s'interroger sur l'éventualité d'une
responsabilité pénale de l'Etat.
M. Michel Charasse. Quelle horreur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Avec le doigté que nous reconnaissons à
notre excellent et éminent collègue, M. Mauroy a considéré qu'il s'agissait
d'une vraie question mais qu'il était peut-être un peu prématuré de la
poser,...
M. Michel Charasse. Et la responsabilité pénale du service public de la
justice ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... que les esprits pouvaient évoluer et
que l'on finirait peut-être par comprendre.
Je constate cependant que la commission Massot, que l'on aime à citer si
souvent dans cette enceinte, n'a pas attendu, pour sa part, des années pour
dire qu'il faut reconnaître cette responsabilité.
M. Jacques Larché, président de la commission. Mais pas M. Massot !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Qu'est M. Massot sans la commission Massot,
je vous le demande ? (Sourires.) C'est un très respectable membre du
Conseil d'Etat, mais ce n'est rien d'autre qu'un particulier, un juriste comme
un autre !
M. Jacques Larché, président de la commission. Allons, monsieur Fauchon
! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Permettez-moi cependant d'insister, parce
qu'il y a là quelque chose qui est tout de même amusant et qui va faire
l'objet d'une petite récréation momentanée dans notre débat, peut-être un
peu austère par ailleurs.
La commission Massot a formellement considéré que, au regard de la conscience
moderne, en présence d'une faute diffuse qui implique une responsabilité
pénale de l'Etat, même si l'on ne peut atteindre physiquement celui qui l'a
commise, il n'y a pas de raison de ne pas condamner cette faute.
M. Michel Charasse. Et, au nom de la « conscience moderne », on peut supprimer
la République !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Charasse, si vous voulez me
torpiller, prenez ma place, ce sera la meilleure solution !
M. Michel Charasse. La « conscience moderne », en 1940, elle était pour
Pétain !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela existe, la conscience moderne ! Vous
en êtes un exemple éloquent... et un peu turbulent.
Permettez-moi de retrouver le fil de ma pensée.
M. le président. Monsieur Charasse, vous troublez M. le rapporteur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour ce qui me concerne, comme ma
conscience est peut-être un peu ancienne, j'ai effectivement du mal à imaginer
la responsabilité pénale de l'Etat ; mais, comme M. Mauroy, je crois qu'il
faut y penser et faire avancer cette idée.
Que M. Massot, à titre personnel, comme l'a excellemment dit M. le président
de la commission des lois - également à titre personnel, d'ailleurs -...
M. Jacques Larché, président de la commission. C'est par solidarité
avec M. Massot !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La solidarité est très sympathique, mais
que vaut-elle sur le plan juridique ?
Que M. Massot nous ait dit qu'il était en désaccord avec les conclusions de la
majorité de sa commission, soit ! Mais permettez-moi alors de poser une
question au Gouvernement : quid d'un organisme au sein duquel, en cas de
désaccord entre le président et la majorité, c'est au président qu'il faut
donner raison ? Si nous posions ce principe, comme vous paraissez le souhaiter,
on pourrait en tirer des conclusions non seulement sur le sujet dont nous
débattons, mais également dans quantité d'autres domaines ! Cela ne
dérangerait peut-être pas personnellement Mme le garde des sceaux, pour des
raisons que nous imaginons bien, mais cela pourrait ne pas plaire à un certain
nombre de ses collègues ! Jusqu'à nouvel ordre, je considère donc que l'avis
des présidents est très respectable mais que celui de la majorité,
quelquefois, est tout de même plus important encore.
Mais je reviens à mon propos en disant que la commission Massot n'a pas
considéré qu'il était absurde de poser le principe de la responsabilité de
l'Etat.
Redescendons cependant au niveau inférieur, celui des collectivités
territoriales.
En vérité, je crois que la distinction entre les compétences selon qu'elles
peuvent être déléguées ou non relève du pur raffinement juridique, parce
que les prérogatives publiques sont en cause dans les deux hypothèses. La
distinction est donc artificielle, et nous pouvons parfaitement la surmonter.
C'est ce que nous faisons dans le texte que nous vous proposons. Ainsi, la
responsabilité pénale des collectivités territoriales pourra toujours être
mise en cause, mais, dans l'hypothèse de compétences qui ne peuvent être
déléguées, il ne sera possible, selon la suggestion de la commission Massot,
de mettre en cause la responsabilité pénale de la personne morale que si l'on
ne voit pas apparaître le manquement ou la violation manifestement délibérée
d'une obligation par son représentant. En effet, si le maire ou le
représentant de la collectivité a commis une faute lourde, il n'y a pas lieu
de mettre en cause la responsabilité de la personne morale.
Pour autant, c'est une vraie question que de savoir si l'on doit ou non mettre
en cause cette responsabilité. Personnellement, je crois que c'est tout à fait
souhaitable, pour des raisons pratiques. Sans revenir sur un certain nombre de
cas concrets connus de tous, je rappelle simplement que, dans certaines
circonstances, même s'il y a responsabilité, on ne peut, en réalité, la
situer sur la tête de tel ou tel élu : si un poteau de basket tombe, c'est
peut-être parce que, voilà quinze ou vingt ans, on a choisi le devis le moins
coûteux et que le poteau a été fabriqué avec du bois de mauvaise qualité,
ou bien parce qu'il n'a pas été repeint régulièrement ! Mais il n'y a pas de
raison que le maire en fonctions le jour où le poteau de basket tombe paie pour
tout le monde ! En revanche, la collectivité locale, elle, d'une manière
diffuse, a une certaine responsabilité pénale, c'est vrai.
Prenons l'exemple des manifestations qui ont lieu à Nîmes - vous connaissez
ces choses mieux que moi, madame le garde des sceaux - à l'occasion de lâchers
de taureaux : un maire a été mis en examen, finalement relaxé, parce qu'un
accident s'était produit à l'occasion d'une telle fête. Il a objecté qu'il
ne pouvait s'opposer à cette tradition populaire ancestrale ! La
responsabilité, dans ce cas, ne peut être déléguée - il s'agit de
l'autorité de police -, mais on peut s'interroger sur la responsabilité
pénale de la personne morale qui accepte que soient pratiquées ces fêtes
traditionnelles depuis longtemps, malgré les risques encourus par le public.
Toutefois, le maire en fonctions le jour d'un éventuel accident doit-il porter
le chapeau pour tout le monde ?
Notre démarche générale, sur laquelle M. Vasselle a si bien insisté, vise à
éviter l'injustice qui consiste à désigner absolument un bouc émissaire :
condamner un innocent serait affreux. En revanche, on peut considérer qu'il y a
globalement, de manière diffuse, une responsabilité de la personne morale, et
envisager, par exemple, un blâme qui paraîtrait dans la presse : les victimes
sauraient que quelqu'un a été condamné, que l'on n'a pas considéré que
l'affaire était sans importance.
La responsabilité pénale de la personne morale, que les compétences puissent
être déléguées ou non, a donc sa raison d'être.
Contrairement à ce qu'a dit tout à l'heure Mme le garde des sceaux, il me
semble souhaitable de reconnaître la responsabilité globale de la commune
plutôt que de chercher absolument à clouer au pilori un homme. Ce sera tout de
même, me semble-t-il beaucoup moins grave, et une condamnation pourra quand
même être prononcée. Cette solution me semble assez raisonnable.
Pour toutes ces raisons, la commission, bien qu'elle n'ait pas pu examiner cet
amendement, puisqu'il vient d'être déposé, a montré, dans toutes ses
délibérations, qu'elle ne pouvait pas approuver le dispositif qui est proposé
car il est contraire à la position qu'elle a adoptée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Il n'est pas dans mes habitudes de m'exprimer d'une certaine
façon dans la discussion générale et d'agir d'une autre lors de l'examen des
articles.
J'ai, en revanche, l'habitude de suivre le Gouvernement, en particulier Mme le
garde des sceaux. Mais j'avoue ne pas être très sensible à la distinction
subtile qui est faite entre l'exercice d'une délégation de service public et
celui d'autres activités. Je préférerais, comme je l'ai indiqué ce matin, un
engagement systématique de la responsabilité des collectivités locales.
Je suis donc amené à me rallier à la position de M. le rapporteur.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agit d'un débat très
important et j'ai dit tout ce que j'avais à dire à la fois dans mon discours
introductif et en présentant tout à l'heure cet amendement.
Je voudrais juste mettre l'accent sur un ou deux points.
D'abord, je pense que la distinction plus précise qui sera faite, au titre de
la faute non intentionnelle, entre les fautes qui ont un lien direct avec le
dommage et celles qui n'en n'ont pas - donc la partie de votre proposition que
le Gouvernement accepte, monsieur le rapporteur - aboutira à ce que la
responsabilité pénale des personnes morales soit davantage engagée. Donc, par
cette seule disposition, nous aurons l'effet que vous recherchez.
J'ajoute que, comme il n'est pas question, ni dans les propositions de M. Massot
ni dans les vôtres, de substituer la responsabilité de la personne morale à
celle de la personne physique, de toute façon, l'introduction de cette
disposition ne constituera pas une garantie supplémentaire.
Enfin, j'ai parlé de prérogatives de puissance publique. C'est une notion bien
connue. Seules les personnes morales de droit public peuvent prendre des
règlements valables erga omnes qui s'imposent aux termes d'un acte
unilatéral.
J'observe, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé la
compétence du juge administratif pour juger de ces compétences unilatérales.
Et ce n'est pas pour rien ! C'est parce que, sur ce type de décision, qui
participe des prérogatives de puissance publique, il ne faut pas laisser au
juge pénal le soin de juger de l'opportunité de telle ou telle décision. Si
nous allions dans cette voie...
M. Michel Charasse. Il n'y aurait plus de séparation des pouvoirs !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... nous participerions
nous-mêmes à une pénalisation de la vie publique que nous voulons
précisément diminuer avec le texte que nous examinons aujourd'hui. D'où ma
mise en garde.
Les assemblées ont voté, ces dernières années, avec les meilleures
intentions du monde, de nombreuses lois qui ont abouti à la pénalisation,
aujourd'hui jugée insupportable, de notre vie publique. Et c'est après coup
que l'on s'est rendu compte des conséquences !
J'attire donc vraiment l'attention de la Haute Assemblée sur cette disposition,
qui, sur le plan des principes, présente l'inconvénient majeur que je viens de
dire et qui, sur le plan pratique, n'aura pas les répercussions qu'on souhaite
lui voir comporter, alors même que l'autre disposition de la proposition de M.
le rapporteur incitera davantage encore les juges à choisir la responsabilité
pénale de la personne morale au lieu de la responsabilité de la personne
physique, lorsque, naturellement, ce sera justifié.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. C'est vrai, nous sommes, sur ce sujet, partagés.
Si nous nous référons à notre expérience et à l'exigence de nos collègues,
à laquelle nous nous associons, d'ailleurs, nous souhaitons faire disparaître
cette distinction qui, dans la vie concrète de tous les jours, est
incompréhensible, inexplicable.
Mais si nous nous plaçons sur le plan des principes, celui qui nous intéresse
tout particulièrement dans cette assemblée - qui du juge, qui du législateur,
qui de la puissance publique doit avoir le pas dans la République ? - alors,
madame la ministre, votre raisonnement nous trouble, ou, en tout cas, me
trouble.
Quand vous dites que, partant d'une bonne intention, nous pourrions accentuer
une évolution qu'unaninement nous regrettons, il est vrai que l'argument porte.
Pour ce qui me concerne, n'engageant pas, dans cette affaire, le groupe auquel
j'appartiens, parce que le débat me paraît, à ce stade en tout cas, trop
délicat, je me rangerai à votre avis, madame la ministre. Mais je le ferai non
sans trouble de conscience et j'aurai beaucoup de mal - mais je m'y emploierai -
à expliquer aux élus locaux la position que je prends.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Le débat que nous
venons d'engager est extrêmement intéressant.
Il est certain que les dangers qu'a soulignés Mme le garde des sceaux peuvent
toujours se profiler derrière l'adoption de tel ou tel texte. Dans cette
affaire, nous cheminons. La commission a pris une position. M. le rapporteur a
dit que, sur cet amendement, elle n'avait pas délibéré, mais qu'il lui
semblait que la position prise ne pouvait entraîner son acceptation.
Je suggère donc que, quel que soit le vote qui sera émis, nous ne
considérions pas comme définitive la position que nous adopterons en cet
instant. Il y aura une navette, l'Assemblée nationale s'exprimera, et il est
tout à fait possible que, dans cette perspective, nous revoyions et précisions
les intentions qui sont les nôtres.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout en souscrivant à ce qui vient
d'être dit avec beaucoup de sagesse par M. le président de la commission, je
veux revenir un instant sur le propos de Mme la ministre pour attirer
l'attention sur deux points.
En premier lieu, madame la ministre, vous avez dit que, de toute façon, notre
système n'aurait pas beaucoup d'efficacité parce qu'il n'empêcherait pas,
éventuellement, la condamnation de la personne physique. Nous sommes bien
d'accord. Nous croyons l'un et l'autre qu'il faut maintenir les deux
responsabilités dans une situation de concurrence.
Mais, encore une fois, il est des cas où il apparaîtra injuste de condamner
une personne physique, sorte de bouc émissaire, alors qu'il sera assez juste de
condamner la personne morale parce qu'il y aura ce que j'ai appelé une
responsabilité pénale diffuse. Il est d'ailleurs souhaitable que soit
désamorcé ce désir de recherche de bouc émissaire qui caractérise quelque
peu nos sociétés, grâce à l'effet cathartique de l'audience pénale, avec
tout de même une condamnation pénale, mais sans pour autant clouer au pilori
celui qui s'est trouvé là ce jour-là et est, en fait, innocent.
Ce n'est pas la faute du maire d'Ouessant s'il y a des falaises, s'il y a des
sentiers le long de ces falaises et s'il y a des enfants qui circulent à vélo
tout le long des falaises ! Donc, cela peut servir. C'est ma première
observation.
En second lieu, je tiens à dire qu'il ne faut pas trop se bercer d'illusions
sur l'idée de la séparation des pouvoirs, de l'impossibilité pour les
tribunaux de condamner les pouvoirs publics lorsque ceux-ci commettent des
fautes civiles ou pénales.
En effet, en réalité, on est dans une fiction. D'abord, on prétend que les
tribunaux de l'ordre judiciaire ne pourraient pas condamner, alors que les
tribunaux de l'ordre administratif, eux, le peuvent...
M. Michel Charasse. Pas pénalement !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Civilement !
... parce que ce ne sont pas des tribunaux. Mais qu'est-ce au juste, alors ?
C'est inquiétant pour l'idée qu'on se fait de la justice, si ce ne sont pas
des tribunaux !
En réalité, ils condamnent l'Etat à longueur de temps, et ils ne se gênent
pas pour le faire. Là encore, ce sont des distinctions verbales issues de nos
traditions qui font que l'on admet qu'il n'y a pas atteinte au principe.
Mais ce qui est encore plus fort, c'est que, dans des domaines comme les
atteintes à la propriété privée, il y a compétence des tribunaux de l'ordre
judiciaire. De même, on a fait un texte spécial pour traiter de la
responsabilité des enseignants. Ainsi, dans un certain nombre de domaines,
parfois des plus importants, ce sont les tribunaux de l'ordre judiciaire qui
sont compétents, spécialement compétents, et même l'Etat peut alors être
condamné par voie de référé.
Dès lors, quid du principe selon lequel on ne condamne pas la puissance
publique ?
En réalité, tout cela tient à des théories assez anciennes qui ne
correspondent plus très bien à la situation actuelle. Il faut l'avoir présent
à l'esprit et en revenir tout simplement à ce que j'appellerai le bon sens.
Comme le disait très bien M. Mauroy, s'il y a une responsabilité réelle de la
personne morale, de la collectivité locale, que la compétence puisse être
déléguée ou pas, il y a une responsabilité pénale, et c'est assez normal.
Il serait artificiel d'aller voir à la loupe si la compétence peut être
déléguée ou non. Ce faisant, on éprouverait d'ailleurs quelque difficulté,
car la distinction ne sera probablement pas toujours si claire que cela.
Dans son action, la collectivité territoriale a commis une faute pénale que le
tribunal juge devoir être sanctionnée. Il la sanctionne. Je ne vois pas ce que
cela a de tragique.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Il nous faut, sans aucune doute, suivre l'avis de la
commission, même si - je l'ai dit dans la discussion générale - j'aurais
préféré que le rapporteur aille beaucoup plus loin en ce qui concerne la
responsabilité des collectivités locales sur le plan pénal et même si - cela
pourra paraître contradictoire - je ne me fais guère d'illusion quant au
résultat, en définitive, s'agissant de la mise en responsabilité pénale des
personnes physiques que sont les maires dans l'exercice de leurs fonctions.
Cela étant, je souscris à ce qu'a dit M. le président de la commission des
lois en réponse à Mme le garde des sceaux : notre vote, a fortiori
s'agissant d'une proposition de loi, ne sera pas gravé dans le marbre. Non
seulement la navette pourra nous permettre d'avancer dans notre réflexion,
mais, même au-delà, nous ne devons pas considérer, nous législateur, que
nous votons un texte pour l'éternité, ni même pour des décennies.
Il nous faudra tirer des enseignements, de la jurisprudence, de l'attitude
qu'auront les magistrats.
En effet, si le législateur légifère, on s'aperçoit parfois que
l'application du texte n'est pas nécessairement celle que nous aurions
souhaitée les uns et les autres : il y a la lettre et l'esprit de la loi.
Voilà ce qui a provoqué la véritable émotion, pour ne pas dire la psychose,
de l'ensemble des élus de nos collectivités. Là est le problème, et pas
ailleurs !
Il faudra bien que, un jour ou l'autre, les esprits évoluent, l'idéal étant
que magistrats et législateur arrivent à marcher côte à côte pour que
l'interprétation soit la même et que le résultat soit celui que souhaite le
législateur.
M. Michel Charasse. C'est du rêve !
M. Alain Vasselle. Car ce que souhaite le législateur, c'est ce que souhaite le
peuple !
M. Michel Charasse. Le peuple, il s'en fout ! (Rires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, repoussé par la commission.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6.
(L'article 6 est adopté.)
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