J.Larché
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Intervention de M.Jacques Larché, président de la commission des lois


M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous abordons aujourd'hui, sur l'excellent rapport de notre collègue Pierre Fauchon, un sujet difficile, mais un sujet qui nous est familier.
Ce sujet nous est familier parce que le Sénat est le représentant des collectivités territoriales et que notre premier devoir est d'être à l'écoute permanente des 500 000 élus de notre pays, mais aussi parce que nous exerçons fréquemment des responsabilités locales et nous entendons bien, d'ailleurs, continuer à les exercer, conformément aux règles que nous sommes en train d'établir et sur lesquelles nous n'avons pas l'intention de transiger. Enfin, il nous est familier parce que, depuis plusieurs années, au sein de nos commissions, de nos groupes de travail, de nos missions d'information, nous y avons réfléchi : chacun se souvient du débat intéressant qui a eu lieu sur la base d'une question orale que notre ami Hubert Haenel avait déposée.
Nous avons noté l'intérêt et l'urgence du problème ainsi que les réactions légitimes qu'il provoque chez de nombreux élus. A la veille des prochaines consultations électorales, bon nombre d'entre eux, nous pouvons en porter témoignage, s'interrogent sur la possibilité pour eux de continuer à exercer leur mandat dans de telles conditions.
En 1996, déjà sur l'initiative de M. Pierre Fauchon, un premier texte a été adopté, et c'est ce texte qu'aujourd'hui nous remettons sur le métier.
Au surplus, nous avions voulu, dans le cadre de la loi sur la présomption d'innocence, rapportée au Sénat par notre ami Charles Jolibois, dégager quelques solutions. Nous avions en effet noté que le texte qui nous venait de l'Assemblée nationale - en réalité, le texte du Gouvernement assez peu amendé - était, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, quelque peu timide.
Il nous avait été répondu - chacun en a le souvenir - qu'il y avait lieu d'attendre le dépôt d'un rapport demandé à une commission présidée par un éminent conseiller d'Etat.
Ce rapport, notre collègue Pierre Fauchon, la commission des lois, largement instruite par les auditions d'éminents spécialistes auxquelles elle a procédé, l'ont en quelque sorte pris au mot par anticipation, estimant qu'il y avait lieu d'agir sans attendre le dépôt d'un projet de loi.
Nous considérons en effet que ce texte s'inscrit normalement dans la perspective de cette réforme d'ensemble de l'institution judiciaire à laquelle nous sommes évidemment attachés.
Notons, d'ailleurs, qu'un texte, par lui-même, n'est pas suffisant ; il faut attendre du juge chargé de l'appliquer un état d'esprit qui tienne compte de l'intention du législateur.
Il n'en est pas toujours ainsi. Cette discordance apparue parfois entre nos intentions et certains jugements demeure, puisque la Cour de cassation n'exerce parfois qu'un contrôle limité. Aussi la proposition qui vous est aujourd'hui soumise, mes chers collègues, nous est-elle apparue particulièrement urgente et nécessaire.
Nous souhaitons, à ce propos, que le juge fasse preuve, dans l'exercice d'une fonction que nul ne songe à critiquer, d'une connaissance plus concrète de la réalité des collectivités territoriales. Peut-être une formation adaptée à l'Ecole nationale de la magistrature pourrait-elle être envisagée !
Aujourd'hui comme alors, plusieurs principes nous guident.
D'abord, nous ne voulons pas faire un sort à part aux élus, même si la nature de leur mandat et les moyens dont ils disposent pour l'exercer font que leur situation diffère sensiblement tant de celle du citoyen dans sa vie privée que de celle du professionnel dans son entreprise.
Il n'était pas illégitime de songer à une solution de cet ordre. Mais on se refuse, dans une société particulièrement médiatisée, à ce que les élus locaux fassent, en cas de faute dans l'exercice de leurs fonctions, l'objet d'un traitement spécial.
Le risque pénal qu'ils encourent en agissant dans l'intérêt commun est tenu pour normal, comme il est apparu normal, notons-le au passage - on l'a bien vu lors des récents événements qui ont si directement atteint tant de Français - qu'ils soient au premier rang pour tenter de faire face.
Deuxième principe : nous voulons prendre en compte le besoin de transparence, d'information et de compréhension des victimes et de leurs ayants droit - nous les avons entendus, au cours de nos auditions - besoin qui est souvent très supérieur à leurs exigences en matière de réparation ou de sanction.
Comment ne pas être touché par les propos tenus, avec beaucoup de modération, par les représentants de ceux qui ont été directement atteints lors de terribles accidents ? Nous souhaitons qu'ils comprennent que la proposition faite n'a nullement pour objet de les priver des réparations nécessaires, pas plus qu'elle n'a pour objet d'empêcher la recherche des responsabilités fautives.
Il faut, enfin - c'est le troisième principe - assurer la cohérence globale des mécanismes de sanction pénale et de responsabilité civile au regard de l'évolution de la société, qui est à la fois plus complexe et plus sensible à la protection collective de la vie humaine.
Je ne peux que me réjouir de voir qu'après, semble-t-il, quelques hésitations exprimées à Léognan par M. le Premier ministre le Gouvernement ait décidé d'appuyer notre démarche. Nous avons un engagement de voir se poursuivre la navette parlementaire pour permettre l'adoption de la présente proposition de loi avant la fin de la session.
Je ne puis m'empêcher de penser que la manière, peut-être un peu rapide, un peu cavalière, dont nous avions posé ce problème lors de la première lecture du projet sur la présomption d'innocence a pu modestement contribuer à lever certains obstacles.
Peut-être notre débat d'aujourd'hui, que nous devons aborder dans un climat apaisé, préfigurera/t-il la perspective nouvelle qui peut s'ouvrir plus généralement sur la réforme de l'institution judiciaire. Nous avons le souhait - je l'ai déjà exprimé - d'aboutir, sur des textes essentiels, sur des textes qui méritent de recueillir le plus large accord parce que ce sont des textes de société, à un accord entre nos deux assemblées, comme nous l'avions fait pour le code pénal en son temps.
En conclusion, je veux dire - notre collègue M. Fauchon est le premier à le savoir - que ce texte, dont le mérite est grand, n'empêchera ni les plaintes ni les procès. Il aura le mérite d'inciter le juge à se prononcer, peut-être, dans un état d'esprit différent et en fonction de règles nouvelles.
Mais la tentation demeurera de s'adresser en priorité au juge pénal, en raison de la rapidité de son intervention et de la faculté qu'il a d'assortir la condamnation qu'il prononce de l'indemnisation sollicitée.
On aurait pu songer à priver le juge pénal de ce droit et à contraindre en quelque sorte la victime à se retourner en priorité vers la juridiction compétente pour obtenir directement réparation, ou pour l'obtenir après que la condamnation pénale eut été prononcée. Cette mesure aurait pu être envisagée au cas où l'auteur de la faute aurait été un élu local.
J'ai d'ailleurs, à titre personnel, soumis à la commission des lois un amendement allant en ce sens.
Je l'ai retiré, dans l'immédiat, après une discussion très ouverte sur ce point, en raison de l'objection qui m'a été faite de l'alourdissement des procédures qui en eût résulté et aussi - il faut bien le dire - dans l'état actuel des choses, de l'incapacité dont fait trop souvent preuve la juridiction administrative à statuer dans des délais raisonnables.
Faudra-t-il, un jour, transférer ces contentieux de l'indemnisation au juge civil, comme nous l'avons fait en d'autres temps et dans d'autres circonstances ? La question a été posée. Peut-être pourra-telle être tranchée un jour !
En tout état de cause, la commission a reconnu qu'un problème demeure, celui de la pénalisation excessive du fonctionnement de notre société. Ce problème devra être résolu.
Dans l'immédiat, je formulerai, encore une fois, le voeu que la proposition de loi de notre collègue M. Fauchon fasse l'objet d'un examen positif à l'Assemblée nationale et que la navette puisse s'engager.
L'adoption de ce texte, à nos yeux - je le répète - s'inscrit dans le cadre de cette réforme de l'institution judiciaire dont nous demeurons prêts à examiner les différents éléments constitutifs dans un ordre désormais logique. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste. - M. Mauroy applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.