Article 1
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Discussion de l'article 1

(M. Guy Allouche remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GUY ALLOUCHE,
vice-président

M. le président. Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er


M. le président. « Art. 1er. - Le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal est ainsi rédigé :
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute a été la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont responsables pénalement qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence. »
Par amendement n° 15, M. Dreyfus-Schmidt propose, dans la première phrase du texte présenté par cet article pour le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, après les mots : « en cas », d'insérer les mots : « de faute lourde ».
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mme la garde des sceaux a réservé son avis sur la question que je soulève avec cet amendement jusqu'à la discussion de celui-ci. Mais ceux qui m'ont entendu ce matin auront compris qu'il ne me paraît pas possible de s'en tenir à la différence entre la cause directe et la cause indirecte.
On a souvent cité le jugement rendu dans l'affaire de l'île d'Ouessant parce qu'il est tout récent ; mais il y a eu de nombreux jugements similaires. J'ai ainsi donné l'exemple d'une affaire - et d'autres sont citées dans le rapport Fournier - où la cause est manifestement indirecte mais où les faits sont graves : dans un tel cas, on risquerait de ne pas pouvoir poursuivre. A l'inverse, dans les affaires où la cause serait directe mais où la faute ne serait pas grave, on aurait à nouveau des plaintes, des mises en examen, des poursuites, et, peut-être, des condamnations ; ce serait légalement possible.
C'est pourquoi, tout en acceptant la distinction entre cause directe et cause indirecte, j'insiste sur la nécessité de préciser que, quel que soit le cas, la faute doit être lourde.
J'ai expliqué ce matin, et je le répète, que la notion de faute lourde est bien connue en droit administratif mais pas - et pour cause - en droit pénal. Il suffirait cependant de l'introduire dans le code pénal pour que chacun fasse la différence entre faute légère et faute lourde. Il est évident que, si le maire prend une décision en toute connaissance de cause, après des débats en conseil municipal par exemple, on pourra lui imputer une faute lourde ; mais pas dans le cas contraire.
Il est facile de savoir si la faute est lourde ou si elle ne l'est pas, et c'est pourquoi nous proposons de lire l'article 1er présenté par la commission de la manière suivante : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute lourde d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement... » Vous aurez noté qu'il n'y a pas de virgule entre les mots « faute lourde » et « d'imprudence », les deux premiers termes étant en facteur commun par rapport à ce qui suit.
Je répète, mes chers collègues, que, si nous n'allions pas jusque-là, il nous faudrait bientôt recommencer, une fois de plus, à modifier le code pénal, car, comme la loi de 1996, la présente proposition de loi serait sans grand effet.
J'ajoute, car il m'a donné l'autorisation de citer son nom, que notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui appartient à la majorité sénatoriale, avait déjà fait la même proposition à l'époque de l'élaboration du nouveau code pénal. Comme nous il ne veut pas que quiconque, et en particulier un maire puisque cela arrive souvent - aux maires - soit poursuivi pour avoir commis une faute légère.
En revanche, si on commet une faute lourde, on doit être poursuivi et déclaré responsable, parce que personne ne comprendrait qu'on ne le soit pas.
S'il s'agit d'une faute légère, le préjudice causé pourra éventuellement être réparé au civil, puisque nous ne modifions pas, bien évidemment, les articles 1382 et suivants du code civil. Cela est vrai quel que soit le degré de gravité de la faute et que la cause soit directe ou indirecte. Cela signifie que, enfin, il n'y aura plus d'unicité entre la faute pénale et la faute civile.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission est tout à fait opposée à l'amendement de M. Dreyfus-Schmidt.
Il faut en mesurer les conséquences : elles pourraient être considérables. Il n'y aurait plus en effet de condamnation pour imprudence ou négligence hors les cas de faute lourde.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Absolument !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela signifie notamment qu'en matière d'accidents de la circulation - et vous connaissez leur importance dans notre société - il faudrait une faute lourde pour engager la responsabilité pénale.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Oui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je vous ai bien compris, monsieur Dreyfus-Schmidt, ce n'est pas la peine d'acquiescer ainsi ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous confirme que vous m'avez compris !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. De deux choses l'une : soit l'introduction de la notion de faute lourde ne servira pratiquement à rien, parce que les magistrats considèrent que toute faute qui cause un grave dommage est lourde parce qu'elle cause un grave dommage. C'est d'ailleurs aussi l'interprétation qui prévaut en matière contractuelle : on considère que la violation du contrat est lourde dès lors que ses conséquences sont graves.
Non seulement ce serait un coup d'épée dans l'eau, mais vous créeriez une équivoque car, plus loin, dans l'hypothèse d'une relation indirecte, nous parlons de la violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité. Il faut donc distinguer la faute lourde de la violation délibérée. Imaginez la gamme des distinctions qui seraient nécessaires ! L'exercice serait assez vain.
Si l'amendement n° 15 était voté, les accidents, qu'ils soient de la circulation ou du travail, ne donneraient lieu à condamnation que si leur auteur avait commis une faute lourde, au sens où vous paraissez entendre ce terme, monsieur M. Dreyfus-Schmidt. On risque de déclencher ainsi toute sorte de comportements, notamment sur la route. Tous les jours, des fautes légères ont pour conséquence de très graves accidents de la circulation, et, en conscience, en tant qu'automobiliste, et nous le sommes tous, j'estime que la menace de poursuites correctionnelles doit absolument peser sur nous tous. Dans le cas contraire, certains estimeraient ne pas devoir s'inquiéter puisque, en l'absence de faute lourde, ce serait l'assurance qui paierait !
Voulons-nous, malgré notre connaissance des statistiques sur les accidents de la circulation - elles sont rappelées dans mon rapport - nous engager dans cette voie ?
Pour ma part, je pensais en effet au départ que la faute devait être lourde dans tous les cas, mais j'ai reculé devant cette perspective. Il serait totalement irresponsable de notre part d'ouvrir ainsi la voie à la déresponsabilisation dans le domaine de la circulation routière, car il est absolument nécessaire de maintenir au plus haut niveau la protection de nos concitoyens.
Pour toutes ces raisons, la commission refuse de suivre notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis opposée à cet amendement, dont l'objet est de limiter les délits non intentionnels au seul cas de la faute lourde.
La proposition de loi de M. Fauchon distingue la nature de la faute selon le lien de causalité, distinction que j'approuve dans son principe mais dont je ne veux pas qu'elle produise des effets excessifs. Je ne peux accepter une solution qui dépénaliserait la quasi-totalité des comportements d'imprudence, y compris ceux qui font des victimes humaines ou causent des dégâts majeurs à l'environnement.
La proposition de M. Dreyfus-Schmidt dépénaliserait presque entièrement le droit du travail, le droit de l'environnement, de la santé publique, de la sécurité routière.
Je rappelle certaines définitions que la doctrine et les tribunaux judiciaires ont données de la faute lourde, dans les domaines du droit civil, où elle est actuellement utilisée : « énormité de la faute qui dénonce l'incapacité de la personne », « incurie ou extrême négligence de l'agent » et, enfin, « comportement d'une extrême gravité, confinant au dol ».
Peut-on imaginer - je vais prendre un exemple dans le domaine de la sécurité routière, qui a été mentionné par M. Fauchon - que l'automobiliste qui, à la suite d'une inattention d'une demi-seconde, ne voit pas un feu rouge et écrase un piéton puisse être exonéré de sa responsabilité pénale ? Pour ma part, je ne l'accepte pas, mais, surtout, la société ne l'accepterait pas.
Je ne multiplierai pas les exemples.
Un amendement similaire de M. Dreyfus-Schmidt avait donné lieu à une discussion identique en juin dernier au Sénat, lors de l'examen du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes. Ma conclusion avait été identique : je demande le rejet de l'amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Je suivrai la position de la commission.
J'ai eu l'occasion très récemment, en ma qualité de président d'une association départementale d'élus - celle des maires de l'Oise - d'organiser, conjointement avec un cabinet d'avocats spécialisé dans le droit pénal, des réunions d'information et de sensibilisation au droit à destination de tous les élus du département.
J'ai ainsi rencontré plus de la moitié des 693 maires de mon département.
Au cours de ces réunions, nous avons évoqué toutes les difficultés auxquelles sont confrontés les maires au regard de la responsabilité pénale. Parmi les solutions qui ont été avancées figurait cette notion de faute lourde. Je comprends tout à fait l'objectif poursuivi par notre collègue M. Dreyfus-Schmidt. Je le rejoins s'agissant de cet objectif. Cependant, ce qu'il propose ne me paraît pas et n'est pas apparu, après ces discussions entre les maires, la meilleure des solutions.
Sans aucun doute, la rédaction qui nous est proposée sur l'initiative de M. Fauchon, approuvée par la commission des lois et, si j'ai bien compris, par le Gouvernement, me semble la moins mauvaise des solutions et celle qui répondrait le mieux à l'attente des élus.
En effet, chacun en est bien conscient ici, l'initiative de M. Fauchon ne résoudra qu'une partie des difficultés auxquelles sont confrontés les maires dans le cadre de la responsabilité pénale et il faudra bien, à un moment ou à un autre, prendre d'autres initiatives.
En ce qui concerne la notion de faute lourde, même si Mme le ministre a bien voulu rappeler la jurisprudence en la matière, la grande question que se posent les maires et les professionnels que sont les avocats est la suivante : où le magistrat, qui apprécie en son âme et conscience,...
M. Michel Charasse. Hum, hum !
M. Alain Vasselle. ... va-t-il placer le curseur s'agissant de la lourdeur de la faute ? Ce n'est pas forcément à la jurisprudence qu'il se référera pour la condamnation. Comme l'a rappelé tout à l'heure très justement M. le rapporteur, le magistrat apprécie la nature de la faute et les conséquences de celle-ci, et c'est à partir de cela qu'il se prononce.
M. Michel Charasse. A la tête du client !
M. Alain Vasselle. « A la tête du client » ?... C'est peut-être le sentiment que cela donne. La notion de faute lourde peut justement aboutir à renforcer un peu plus chez les maires le sentiment qu'ils sont jugés à la tête du client.
C'est la raison pour laquelle il nous a semblé, dans le cadre des échanges que nous avons eus, que ce n'était pas la meilleure des solutions sur ce point et qu'il existait d'autres pistes à explorer.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Madame la ministre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention votre argumentation pour nous inciter à refuser l'amendement de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
A mes yeux, cet amendement avait un intérêt : il correspondait à l'état d'esprit des élus locaux et il exprimait les questions que nous abordons en un langage compréhensible par tous. Il faut que je m'y prépare si je veux dire d'une seule traite : « délit non intentionnel, causalité directe ou causalité indirecte ».
Depuis le début du débat, je me demande comment je vais pouvoir expliquer aux élus locaux et à nos concitoyens le contenu de la présente discussion, pourtant très importante. Donc, pour moi, la notion de faute lourde, ou grave, avait cet intérêt majeur.
Mais vous m'avez convaincu. En effet, s'il est vrai que cette notion s'appliquerait indistinctement - c'est la position de principe que nous avons prise et je ne peux donc pas la remettre en question - à l'ensemble du code pénal et aurait les conséquences que vous avez évoquées en matière d'accidents du travail ou d'accidents de la circulation, je ne peux évidemment prendre cette responsabilité, qui serait contraire à ma conviction profonde. Cependant, cela me confirme - vous n'en êtes pas responsable, ni vous, ni quiconque sur ces travées - dans l'idée qu'il est extrêmement difficile de faire évoluer une situation en soi inacceptable, d'autant qu'il y a le précédent de la loi du 13 mai 1996 et l'application qui en a été faite par la jurisprudence. Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé à l'instant, il ne suffit pas d'agir sur les textes, en l'occurrence sur le code pénal, pour obtenir tous les résultats que nous recherchons.
Tel est le cheminement qui m'a conduit à prendre cette position. Elle ne me satisfait pas ; elle me paraît simplement un peu moins mauvaise que l'autre, qui m'aurait amené à accompagner jusqu'au bout - s'il va jusqu'au bout - mon collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
M. José Balarello. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Je comprends la position de Mme le garde des sceaux. Il suffirait de sortir du domaine que nous entendons viser les accidents de la circulation et les accidents du travail. C'est une suggestion qu'il conviendra de retenir en seconde lecture.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non ! Je vais rectifier tout de suite mon amendement.
Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Dreyfus-Schmidt. Je tiens tout d'abord à préciser à Mme le garde des sceaux que je n'ai jamais déposé un amendement relatif à la faute lourde ou grave. J'avais simplement proposé de supprimer toutes les exceptions. Je m'en suis expliqué ce matin en disant que les esprits n'étaient pas mûrs mais qu'on y arriverait peut-être un jour.
On juge, nous dit-on, les conséquences. Or nous sommes nombreux à demander que l'on juge non pas les conséquences mais la conduite et, en particulier, que l'on détermine s'il y a faute légère ou non. Le code pénal fait des différences : les fautes légères constituent le plus souvent des contraventions, les fautes plus graves des délits et les fautes encore plus graves des crimes. L'idée étant de punir ceux qui commettent des infractions, ceux qui commettent des infractions graves sont punis plus sévèrement. Il est tout de même assez injuste de punir selon les conséquences.
Le non-respect d'un feu rouge constitue toujours, selon moi, une faute grave, sauf s'il était prouvé que le soleil a ébloui le conducteur.
Pourquoi, dès lors, n'y aurait-il pas une réparation purement civile ? Cela ne me gênerait pas.
Mais, pour tenir compte des remarques qui ont été formulées et avant même d'avoir entendu notre collègue José Balarello, j'avais songé à rectifier mon amendement afin de préciser qu'il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, « en cas de faute autre que légère, sauf en matière de circulation et de législation du travail, d'imprudence, de négligence ou de sécurité... »
Je persiste à penser que l'on ne peut pas se contenter de la distinction entre la cause directe et la cause indirecte. Lorsqu'il y a une cause directe, ce qui nous irrite tous les jours, c'est de voir des personnes poursuivies et condamnées pour des fautes très légères. Au contraire, des personnes ayant commis des fautes indirectes ne seraient pas condamnées car on n'arriverait pas à rapporter la preuve qu'il s'agissait d'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, dont on ne sait toujours pas si elle doit être inscrite dans la loi et le règlement ou si, au contraire, elle doit être appréciée par le juge.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir pris note de la nouvelle rédaction que je propose pour mon amendement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, et tendant à insérer, dans la première phrase du texte proposé par l'article 1er pour le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, après les mots : « en cas », les mots : « de faute autre que légère, sauf en matière de circulation et de législation du travail, ».
Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. On ne peut pas travailler comme cela ! Le droit pénal est un droit général. On ne peut pas créer des formes de délits par catégorie. On risque d'en oublier !
Je suis surpris par la proposition de notre collègue M. Dreyfus-Schmidt. Bien que je n'aie pas consulté la commission des lois, je n'imagine pas un instant qu'elle puisse y être favorable. J'émets donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. On dira sans doute que je prends la discussion en cours de route, mais je ne comprends rien à toutes ces subtilités ! Je trouve qu'on entre dans des détails qui ne pourront que troubler ultérieurement ceux qui se référeront - si on s'y réfère encore ! - aux travaux préparatoires de la loi pour comprendre quelque chose à notre discussion.
Si j'ai bien compris, dans le texte de la commission des lois, la cause indirecte n'est une faute lourde que si elle est manifestement délibérée. C'est bien ce qui est écrit ? Or, les dispositions qui précèdent, et que M. Michel Dreyfus-Schmidt voudrait modifier, sont celles qui parlent d'imprudence, de négligence et de manquement à une obligation de sécurité.
Mes chers collègues, d'habitude, cela, c'est délibéré ! (Exclamations sur diverses travées) Je parle en tant qu'élu local. Quand on manque à une obligation de sécurité, la plupart du temps on le sait parfaitement ! On peut avoir des raisons pour manquer à une obligation de sécurité : parce que l'on n'a pas le temps,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Non !
M. Michel Charasse. Que racontez-vous ? Quand vous êtes maire, vous êtes pris par l'urgence, vous avez mille autres choses à faire, vous dites : je ferai cela demain car je n'ai pas le temps de m'en occuper aujourd'hui. Donc, généralement, on le sait !
Par conséquent, moi, je pense que la première partie de l'article de la commission des lois ne peut viser que la faute lourde, la deuxième partie visant la faute lourde en cas de cause indirecte.
En considérant nous-mêmes qu'il y a une distinction entre la première partie et la deuxième partie du dispositif qui nous est soumis, nous donnons aux juges des arguments pour prononcer des condamnations sévères, alors que ce n'est pas forcément notre objectif.
Cela étant, vous savez très bien que nous pouvons adopter tout ce que nous voulons ici ! Il n'est que de voir ce que la loi Delevoye est devenue dans les tribunaux. On sait très bien que les juges n'en feront pas plus si le texte que nous adoptons ne leur plaît pas, et nous savons qu'il ne leur plaira pas puisqu'ils ont décidé qu'il fallait condamner tous les responsables dans ce pays... à l'exception d'eux-mêmes, qui sont responsables, mais jamais condamnables !
Je voulais faire cette observation pour souligner que la faute lourde s'applique dans les deux cas, étant entendu qu'il n'y a pas de faute lourde pour les magistrats ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. M. Charasse a l'art de mêler le pittoresque et le sérieux avec tellement d'habileté que l'on ne sait pas très bien sur quel registre lui répondre !
Je vais lui répondre sur le registre du sérieux.
Il a une grande agilité d'esprit, mais cela n'aurait pas été du temps perdu si, au lieu de prendre le débat en cours, il était venu ce matin.
Je rappelle la démarche. Actuellement, la moindre des fautes constitue l'imprudence, qui entraîne le caractère délictuel. Je vous ai exposé ma logique au moment où je préparais cette proposition de loi.
D'ailleurs, j'avais dit dans le débat ouvert par notre collègue M. Haenel que nous devrions renoncer à cette notion et passer à la faute lourde.
Très rapidement, j'ai compris qu'il existait des domaines où devait subsister la moindre des fautes, notamment en matière de circulation automobile. Sinon, où va-t-on ?
J'ai pris conscience que je risquais d'instaurer un système désastreux. On m'a alors soufflé ce dispositif, que je n'ai donc pas inventé tout seul, qui consiste à distinguer les hypothèses de causalité directe, quand l'accident est la conséquence nécessaire de la faute commise, et la causalité indirecte. Certes, on peut multiplier les cas particuliers à l'infini, mais la plupart du temps, en matière d'accidents de la circulation, la causalité est directe. En revanche, s'agissant de la responsabilité des élus et des responsables d'association, ce ne sont pas les élus eux-mêmes ou les responsables qui agissent : la causalité est indirecte.
Il m'a semblé que nous accomplirions un grand progrès en retenant cette distinction. Certains ont dit : ce ne sera pas le dernier progrès. Il est certain qu'il y en aura d'autres à faire, je suis le premier à en être conscient. Je crois que, dans cette affaire, on n'avance bien que pas à pas, sinon on n'avancerait pas du tout.
Il faut donc retenir cette distinction entre causalité directe et causalité indirecte. Il s'agit d'admettre que, en cas de causalité directe, on reste au statu quo, c'est-à-dire que la moindre faute engage la responsabilité, et que, au contraire, en cas de causalité indirecte, celle dans laquelle l'accident aurait très bien pu ne pas se produire, aurait pu ne pas arriver - on pourrait citer quantité d'exemples, mais ce serait trop compliqué - on exige une faute caractérisée. La notion de causalité directe n'est d'ailleurs pas complètement absente de notre droit, puisque l'expression « causalité directe » est employée en droit civil, en matière de droit des contrats, comme vous pourrez le constater en vous référant à la jurisprudence qui suit ces dispositions du droit civil.
Je crois donc que l'on résume bien la situation en disant qu'il y a causalité directe lorsque le dommage est la conséquence nécessaire de la faute, lorsque la faute provoque automatiquement ce dommage, même si ce n'est pas forcément immédiat : dès lors que vous avez commis cet excès de vitesse, que vous avez fait ceci ou cela, le dommage se produit nécessairement ! Il faut alors, à mon avis, prendre véritablement en compte la moindre faute. Au contraire, lorsque la causalité est indirecte, lorsqu'un acte, parfois très antérieur au dommage, a contribué à rendre ce dernier possible sans le provoquer directement et que, dans beaucoup de cas, le dommage aurait pu ne pas du tout se produire, il faut alors prendre en compte une faute caractérisée.
C'est dans ce cas-là que la commission s'est interrogée sur le point de savoir si cette faute caractérisée devait être appelée « faute lourde » - c'était la proposition de M. Massot, mais cela nous a paru trop vague - ou s'il fallait lui donner une définition plus précise de manière à resserrer davantage les conditions d'appréciation de cette faute caractérisée. Et nous avons préféré la définition plus précise pour des raisons sur lesquelles je me suis déjà expliqué.
Voilà comment les choses se présentent et pourquoi il me paraît important de nous en tenir à cette distinction que tout le monde a bien voulu admettre, parce qu'elle nous permet d'aborder le problème d'une manière plus méthodique, de mieux distinguer les hypothèses de responsabilité et de garder, en cas de causalité directe, la notion de faute pénale pour la moindre faute, ce qui est une sécurité absolument nécessaire, notamment en matière d'affaires routières, mais aussi pour d'autres domaines. Nous souhaitons, au contraire, dans le domaine de la causalité indirecte, avoir cette exigence d'une faute caractérisée.
Pour les raisons qui ont été indiquées par les uns et les autres, je supplie le Sénat de ne pas prendre la responsabilité d'exiger une faute lourde pour que soit engagée, par exemple, la responsabilité des automobilistes ou d'un certain nombre de personnes dans des situations comparables, sauf à donner l'impression d'avoir perdu le sens de nos responsabilités.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai modifié mon amendement ! Cela a dû vous échapper !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15 rectifié.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Pour être intellectuellement très satisfaisant, ce dispositif n'en reste pas moins soumis à l'appréciation des magistrats. Les magistrats, en définitive, vont-ils se contenter d'interpréter la lettre du texte que nous aurons adopté...
M. Michel Charasse. Comme pour la loi Delevoye !
M. Alain Vasselle. ... ou accepteront-ils de se référer aux débats du Parlement sur l'interprétation que nous en souhaitons ?
M. Michel Charasse. Ils s'en fichent !
M. Alain Vasselle. Tels sont donc les termes dans lesquels se posera le problème. Si, après la démarche que nous avons effectuée, nous aboutissons au même résultat qu'avec la loi de 1996, on aura vraiment le sentiment que le Parlement aura perdu son temps et que, en définitive, les magistrats n'en font qu'à leur tête.
M. Michel Charasse. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. Je vous prie de m'excuser d'être un peu provocateur en tenant de tels propos, mais il arrive un moment où les élus locaux, sur le terrain, se posent ces questions.
M. Raymond Courrière. Ils ont raison !
M. Alain Vasselle. Dire aujourd'hui cela n'est pas un retour en arrière par rapport aux propos que j'ai tenus tout à l'heure, après les explications de M. le rapporteur. Je le dis comme le dirait ici, spontanément, l'élu local qui assisterait au débat que nous avons aujourd'hui.
M. Raymond Courrière. A quoi servons-nous ?
M. Michel Charasse. Il n'y a qu'un moyen de mettre les magistrats au pas : installer la Cour de cassation à Saint-Pierre-et-Miquelon ! Ils auront du bon air ! (Sourires.)
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande un vote par scrutin public sur cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président.Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 34:

Nombre de votants

231

Nombre de suffrages exprimés

230

Majorité absolue des suffrages

116

Pour l'adoption

1

Contre

229


M. Michel Dreyfus-Schmidt. S'il n'en reste qu'un... (Sourires.)
M. le président. ... vous serez celui-là, monsieur Dreyfus-Schmidt ! (Nouveaux sourires.)
Personne ne demande la parole ?...
Je mets au voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)