discussion générale
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Discussion générale


M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mise en examen de maires, parfois suivie de condamnations, suscite un légitime émoi chez les élus.
J'ai pu en prendre la mesure à l'occasion des états généraux organisés à Lille, le 9 septembre dernier, sur l'initiative du président Christian Poncelet.
M. le président. Je vous remercie de le rappeler !
M. Pierre Mauroy. De nombreux élus étaient présents. Le dialogue qu'ils ont noué avec les magistrats a quelquefois tourné à la confrontation. Il a, en tout cas, confirmé le sentiment d'un malaise.
Les élus ressentent particulièrement mal le nombre élevé de mises en examen, dont les répercussions pour eux vont bien au-delà de la dimension personnelle : elles les affectent dans l'exercice même de leur mandat. Ces affaires, nous ne devons pas en exagérer l'ampleur, mais nous ne devons pas davantage en sous-estimer la réalité.
Le texte dont nous débattons aujourd'hui nous offre en tout cas l'occasion de nous pencher sur cette question. Je dirai d'entrée de jeu que j'approuve le choix principal qui sous-tend cette proposition de loi : le refus d'un régime de responsabilité spécifique pour les élus.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. La proposition de loi, en effet, s'inscrit dans le droit commun dès lors qu'elle s'adresse à tous les justiciables. Ce postulat de départ est fondamental.
Ce choix cependant crée des contraintes particulières, et sans doute nous conduit-il à aller moins loin que nous l'aurions initialement souhaité. Je crois cependant que la proposition de loi présentée par notre collègue Pierre Fauchon réalise le meilleur équilibre possible, en opérant une distinction selon qu'il existe un lien direct ou indirect entre la faute commise par un responsable et le préjudice subi par la victime.
Cette notion de lien direct figure d'ailleurs aussi dans le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, dont vous avez, madame la ministre, confié la présidence à M. le conseiller d'Etat Jean Massot. Elle permettra de distinguer entre la personne qui a réellement commis le dommage et celle qui a, le plus souvent involontairement, créé la situation provoquant ce dommage.
Dès lors que le lien entre la faute et le dommage est indirect, ce qui, soit dit en passant, est le plus souvent le cas lorsqu'il s'agit d'élus, il nous est proposé dans le texte de ne retenir la responsabilité qu'en cas de faute qualifiée.
Le texte de la commission des lois retient finalement la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence ». Le groupe socialiste s'associe, comme vous, madame le garde de sceaux, à cette qualification, qui a l'avantage d'être déjà connue et appliquée par le juge pénal. Cette nouvelle rédaction des articles 221-6 et 222-19 du code pénal évitera ainsi les abus les plus criants.
On a vu parfois la responsabilité de l'élu recherchée dans des cas où il n'avait donné aucune instruction, où seuls de simples dysfonctionnements des services étaient en cause, souvent même dans l'ignorance complète du responsable municipal. La référence à une violation manifestement délibérée écartera donc la responsabilité pénale de l'élu dans cette hypothèse, du moins peut-on le penser. Ce critère permettra néanmoins de rechercher la responsabilité de l'élu lorsqu'il a pris une part à la commission de l'infraction.
De plus, nous ne pensons pas qu'un débat sur la responsabilité des élus doive être l'occasion de transposer en droit pénal une notion issue du droit administratif. Cependant nous souhaitons que la rédaction retenue permette le contrôle de la Cour de cassation. Il est important en effet que l'unicité de la jurisprudence prévale sur la diversité des situations locales et des appréciations des juridictions d'appel.
L'essentiel d'ailleurs est de ne pas perdre de vue que ce texte doit s'appliquer à l'ensemble des responsabilités, c'est-à-dire aussi bien aux accidents de la route qu'aux accidents du travail, afin de prévenir toute régression quant au droit des victimes à être indemnisées. Nous pensons que notre collègue Fauchon et la commission des lois du Sénat ont fait un bon travail ; c'est pourquoi nous les suivrons.
Un deuxième aspect de la proposition de loi porte sur l'extension de la responsabilité pénale des collectivités locales. La situation, vous la connaissez : il s'agit d'éviter la mise en jeu immédiate de la responsabilité de l'élu alors que, bien souvent, c'est un dysfonctionnement des services administratifs qui est en cause.
Je suis plutôt favorable à cette mesure, que j'ai d'ailleurs évoquée à Lille lors des états généraux sur la responsabilité des élus en septembre dernier.
M. le président. Exact !
M. Pierre Mauroy. C'est d'ailleurs Robert Badinter qui est à l'origine de la novation qu'a constitué la reconnaissance dans le code pénal de la responsabilité pénale des personnes morales.
Sur ce point, cependant, le Gouvernement nous oppose des arguments non négligeables, notamment celui de l'égalité de traitement entre les fonctionnaires de l'Etat et les fonctionnaires des collectivités locales. Problème complexe que celui de la responsabilité de l'Etat ! Il faudra des jours, des mois, peut-être des années pour aborder ce problème ! Je m'en éloigne prudemment... (M. le rapporteur sourit.)
Dans sa proposition de loi, Pierre Fauchon nous propose l'extension de la responsabilité pénale des collectivités locales à l'ensemble de l'activité municipale et non plus aux seules activités pouvant faire l'objet de délégations de service public, parce que cela, c'est une réalité. Il existe, je le sais bien, une dualité, en quelque sorte, que vivent les maires entre, pour certains secteurs, une responsabilité, et, pour d'autres, une responsabilité aussi de la collectivité locale.
Il me semble que les objections du Gouvernement ne sont pas infondées et que nous devrions peut-être prendre le temps de réfléchir à une responsabilité pénale de l'ensemble des personnes morales, y compris l'Etat, ce qui suppose bien des études et des débats complémentaires. Nous ne pourrons pas arrêter une position définitive aujourd'hui !
Pour autant, les élus que nous sommes sont sensibles à une adaptation du droit. Compte tenu de la situation actuelle, qui suscite réellement une inquiétude constante et légitime de la part des élus, nous devrions procéder à une telle adaptation. C'est pourquoi j'exprime, au nom du groupe socialiste, un préjugé favorable au texte proposé, à la condition que ne soient pas adoptés des amendements qui trahiraient son équilibre.
Nous savons que le renforcement de la responsabilité des décideurs va dans le sens de l'histoire. L'évolution du droit s'inscrit dans cet élargissement de la responsabilité. C'est vrai du droit pénal comme du droit administratif ou du droit du travail.
Mes chers collègues, cette responsabilité, en tant qu'élus, nous la revendiquons. L'action politique appelle, en effet, la responsabilité la plus haute et la plus étendue. Nous avons pleinement conscience d'être aujourd'hui confrontés à de nouvelles exigences. Notre société estime que le développement scientifique et technologique doit s'accompagner d'un réduction maximale des risques. Nous y répondons, notamment par le principe de précaution. Aujourd'hui, tous les décideurs, tous les responsables, doivent répondre non seulement de leur gestion directe, mais aussi des conséquences collectives de cette gestion. Et cela, nous l'assumons tous les jours.
Cette évolution - certains diront ce progrès - nous l'acceptons ; mais, parallèlement, il existe une tendance excessive, quelquefois provocatrice, de notre société à la pénalisation,...
MM. Gérard Delfau et Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. ... à la recherche de responsables, voire, trop souvent la mise en cause de boucs émissaires.
M. le président et M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Peu importent les responsabilités, pourvu que l'on tienne un responsable !
M. Gérard Delfau. Le maire, si possible !
M. Pierre Mauroy. Sur ce plan, la République doit soutenir ses élus, en particulier ses maires (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également), car cette évolution du bouc émissaire ne peut pas être le droit ; elle n'est pas la justice. Tel est le véritable problème.
C'est dire que la responsabilité pénale, que personne ne conteste quand elle est justifiée, se doit d'être non seulement efficace, mais aussi juste à l'égard de ceux à qui elle s'applique. Elle suppose, par conséquent, un encadrement juridique clair. Elle ne saurait en effet se substituer à la responsabilité politique et, a fortiori, constituer le moyen de contester, par la voie procédurale, les choix démocratiques d'une majorité de citoyens.
Il faut bien comprendre que les élus sont aujourd'hui confrontés à des arbitrages de plus en plus sophistiqués. Ils se trouvent parfois face à l'envahissement général de normes techniques, en butte à l'imprécision, voire à la contradiction de celles-ci,...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Pierre Mauroy... à des imprécisions entre ce qui est décidé au niveau de la France et ce qui se décide ou n'est pas encore décidé au niveau de l'Europe.
La sécurité juridique de notre action constitue ainsi une préoccupation sans cesse plus pressante. Nous sommes en droit d'attendre, sur ce plan, une vigilance du Gouvernement dans la création des normes. L'élu local, quand il s'agit de leur application, se trouve au bout de la chaîne, et c'est sa responsabilité qui, finalement, est mise en cause.
Par ailleurs, sur un tout autre plan, il conviendrait de réfléchir à l'action pénale des associations, sur laquelle, naturellement, il n'est pas question de revenir, mais qui peut faire l'objet de véritables détournements du droit. Ces cas sont fort heureusement très minoritaires mais ils existent. Là encore, il faut trouver un moyen de réprimer les excès ou tout au moins de les éviter, en réservant, par exemple, la constitution de partie civile à des associations justifiant d'une certaine ancienneté ou bénéficiant de régimes spécifiques d'habilitation et non à celles qui se créent en fonction d'un problème d'actualité, à propos d'une affaire soumise au tribunal ou qui pourrait l'être.
Mais, mes chers collègues, ne nous leurrons pas : dans un contexte d'immense mutation du rôle de l'élu, les véritables réponses sont aussi ailleurs. Elles tiennent principalement aux conditions d'exercice des mandats.
Les élus sont amenés à consacrer de plus en plus de temps à leur fonction. Cette disponibilité accrue pose, à terme très rapproché, la question du statut de l'élu.
M. le président. Très, très bien !
M. Pierre Mauroy. Prenons l'exemple des problèmes de sécurité. Dans ma ville, la commission de sécurité siège non pas, peut-être, de façon permanente, mais en tout cas des journées entières.
Quel élu peut en permanence et une journée entière être le représentant du maire dans ces commissions de sécurité ?
M. le président et M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. On s'arrange ! Mais la vie est compliquée pour tout le monde en particulier pour les maires. Il est donc absolument indispensable de prendre des dispositions pour que les maires puissent être présents et assumer leurs responsabilités.
Souvent, le maire se trouve dans l'obligation de dire : « Vous pouvez passer outre la décision du préfet. » Cela m'arrive ! Ce n'est pas facile ! En cas de pépin, je ne sais pas quelles seraient les conséquences.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. Mais quand on vous dit : « Il n'est pas possible de jouer au football sur le stade » ; alors que, cinq jours plus tard, doit avoir lieu un match entre Lille et Marseille... Allez prendre la décision de fermer le stade ! Je pourrais multiplier les exemples de cette sorte.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Le vrai problème est que, souvent, le maire se trouve en bout de chaîne et que les parapluies ont été ouverts par les autorités situées en amont.
M. Gérard Delfau. Bien sûr ! Très bien !
M. Henri de Raincourt. Et ils sont nombreux !
M. Pierre Mauroy. Les maires supportent mal cette situation, ou plutôt ils la supportent courageusement en bravant les difficultés et en prenant les plus grands risques temporairement. Combien de maires sont obligés de le faire, quitte, sinon, à provoquer des problèmes considérables pour leur ville, leur commune, leurs concitoyennes et concitoyens !
La réflexion sur le statut de l'élu devient d'autant plus urgente que la perspective d'une limitation renforcée du cumul des mandats et l'introduction de la parité en politique, votée avant-hier à l'Assemblée nationale, vont induire un renouvellement profond du monde politique.
A défaut, mes chers collègues - permettez-moi de faire un peu d'humour - pour la constitution des prochaines listes électorales, il faudra passer des petites annonces ainsi libellées : « Recherche candidats au poste de conseiller municipal âgés de préférence de plus de soixante ans ou, mieux encore, retraités ». En attendant, on peut toujours faire des discours pour attirer des jeunes ; je l'ai fait. Mais il faut leur trouver un emploi, par exemple un emploi à la communauté urbaine alors qu'ils sont élus de la ville de Lille, et vous voyez d'ici les gros yeux de la chambre régionale des comptes ! Voilà de vrais problèmes auxquels il faut trouver des solutions. Ils ne sont pas imaginaires, ils sont vécus.
Il y a en France 550 000 élus locaux. Certains vivent avec la préoccupation de plus en plus présente du risque pénal. Ils accentuent ce risque d'ailleurs, car je crois que leur sentiment d'insécurité va au-delà du véritable risque qu'ils courent, mais c'est ainsi.
Il faut donc doter ces élus d'un véritable statut professionnel qui leur permette d'assumer plus sereinement leur mandat et qui facilite l'ouverture plus large des fonctions électives à l'ensemble des citoyennes et des citoyens.
Je sais bien, madame la ministre, que l'ensemble de ces questions, sur lesquelles d'ailleurs la commission pour l'avenir de la décentralisation, que je préside, fera dans le cours de l'année des propositions au Gouvernement, ne sont qu'implicitement posées dans le débat d'aujourd'hui. Mais elles devront faire l'objet de discussions ultérieures. Je constate d'ailleurs que certaines d'entre elles sont abordées dans le rapport que M. Massot vous a remis et par le texte sur la présomption d'innocence, dont l'examen se poursuit.
Mes chers collègues, si le problème dont nous débattons aujourd'hui est loin d'être secondaire, je ne saurais oublier qu'il s'inscrit dans la question plus vaste de la réforme de la justice. Le projet de loi sur la présomption d'innocence comporte certaines dispositions qui répondent à des situations critiquables liées à notre réflexion de ce matin : je pense notamment aux modalités et à la durée de ces mises en examen, parfois interminables, insupportables du fait de la suspicion qu'elles font naître et du soupçon qu'elles font peser sur les personnes concernées.
Mes chers collègues, vous me permettrez, en terminant, de vous dire ma conviction.
Qu'on le veuille ou non, le défi pour la France est désormais celui de sa propre ambition à se moderniser ! Le temps n'est plus où le « mal français », pour reprendre l'expression qu'avait utilisée Alain Peyrefitte, était lié à la résistance au changement de notre société. Aujourd'hui, au contraire, celle-ci aspire profondément à la réforme, tout particulièrement à la réforme de l'Etat et de l'exercice des fonctions électives ou encore à la réforme de la justice. La classe politique ne peut plus désormais s'opposer à d'inéluctables évolutions de société, qui plus est largement attendues par l'opinion.
Sur les réformes récentes, le conservatisme a accusé sa coupure profonde avec la société.
Le PACS enregistre un succès qui va au-delà des prévisions.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Pierre Mauroy. Que n'a-t-il, pourtant, suscité d'obstruction et de critiques ! La parité a été adoptée par l'ensemble de nos collègues députés à une voix près. Que n'a-t-elle pourtant, ici même, soulevé de réserves et de mise en garde ! Le renforcement de la législation anti-cumul se trouve - et notre assemblée en est seule responsable - dans une situation sinon de blocage, du moins d'incohérence.
M. Jean-Jacques Hyest. C'est un expert en cumul qui parle !
M. Pierre Mauroy. Ces trois réformes sont pourtant plébiscitées par nos concitoyennes et concitoyens.
M. Raymond Courrière. Parce qu'elles marquent le progrès !
M. Pierre Mauroy. Ma conviction, madame la ministre, est que la réforme d'ensemble sur la justice que vous présentez avec lucidité et détermination s'imposera finalement en raison de sa qualité et parce qu'elle correspond à une nécessité.
Cette réforme s'imposera parce qu'aucune opposition ne saurait durablement contrarier des évolutions inéluctables auxquelles répondent les projets du Gouvernement. Voilà pourquoi je suis convaincu que la réforme d'ensemble sur la justice que vous présentez, madame la ministre, conserve toute son actualité. Elle doit se faire et elle se fera. En tout cas, si elle ne pouvait se faire avant, elle serait inscrite au grand rendez-vous des présidentielles.
Quant au Sénat, mes chers collègues, il sait en certaines occasions apporter une contribution essentielle à l'oeuvre législative. C'est ce qu'il fait en ce moment même avec la responsabilité pénale, sur un bon texte, qui a été bien travaillé. Il serait dommage que cette image soit ternie par une résistance systématique à des évolutions qui s'imposent pour la société, et pour le Sénat lui-même.
Il n'y a pas de fleuves immobiles. Il est trop tard pour ramer à contre-courant. Le prochain siècle nous conduira à la réforme, en particulier à celle de la justice. Je partage cette conviction avec l'ensemble du groupe socialiste. Cette conviction n'a d'égale que la sérénité avec laquelle nous abordons le débat d'aujourd'hui et apportons notre préjugé favorable au texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. Vous me permettrez de vous faire observer, monsieur Mauroy, que la qualité de la présentation de la situation des élus locaux à laquelle vous vous êtes livré est due, me semble-t-il, au fait que vous êtes maire. A méditer, dans l'optique du projet de loi sur le cumul des mandats !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pas gentil pour les autres !
M. Pierre Mauroy. C'est trop simple de dire cela ! Je suis un élu depuis vingt-cinq ans, c'est vrai...
M. Jean-Jacques Hyest. Cumulard !
M. Pierre Mauroy. ... mais nous entrons dans un nouveau siècle. Des évolutions se font jour. Il faut s'y adapter !
M. le président. Progressivement !
M. Pierre Mauroy. Il faut aller beaucoup plus vite ! En tout cas tel est mon sentiment.
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, merci tout d'abord à Pierre Fauchon pour sa proposition, fondamentale en droit, qui répond, sur un point essentiel, au grave problème posé par les mises en cause des maires, des présidents d'associations dans des affaires où, à l'évidence, c'est leur seule fonction qui les rend coupables.
Le 28 avril dernier, dans le débat ouvert par la question de notre collègue Hubert Haenel sur la responsabilité pénale des maires, je me suis exprimé pour dire la nécessité et l'urgence qu'il y a à apporter des réponses concrètes, pragmatiques, à ce problème complexe, certes, mais posé de façon récurrente.
Je vous faisais observer, en illustrant mes propos d'exemples concrets, le hiatus qui existe entre élus, magistrats, médias et plaignants.
Pour les magistrats, procureurs ou juges, c'est limpide : une mise en examen n'est pas une déclaration de culpabilité ; c'est seulement le moyen par l'instruction de rechercher la vérité.
Pour les médias, qui alimentent l'opinion publique, il n'y a pas de fumée sans feu, et la mise en examen devient une présomption de culpabilité. C'est inscrit ainsi dans les esprits.
Pour les plaignants, c'est le début de la satisfaction d'une légitime revendication : enfin, on va trouver le responsable, identifier un coupable et le châtier.
Les magistrats - cela arrive souvent - les médias et les plaignants, face à une réalité parfois tellement complexe qu'un coupable ne peut être identifié, se retrouvent souvent pour conclure à l'encontre d'un bouc émissaire.
Pour l'élu, en charge d'affaires publiques ou associatives, qu'il soit reconnu coupable ou non, c'est être condamné dès sa mise en examen. Même innocenté, il rentrera chez lui seul, et qui saura qu'il a été innocenté alors que les tambours auront résonné pour sa mise en examen ?
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Philippe Arnaud. Vous l'avez compris, je m'inscris en défense des maires et de ces responsables associatifs, citoyens choisis par leurs concitoyens et parmi leurs concitoyens pour s'occuper, un temps, des affaires de la commune, du département, de la région ou de l'association, mais je m'attacherai plus particulièrement au maire, agent de l'Etat chargé de diverses responsabilités de police.
Béotien, je n'entrerai pas dans la dimension juridique, particulièrement complexe, de la question. M. Pierre Fauchon, merveilleux avocat et éminent spécialiste, venant de se livrer à de brillants développements.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Philippe Arnaud. Je serai peut-être iconoclaste, mais dépourvu d'arrière-pensée, seulement soucieux d'exprimer la lassitude, l'inquiétude grandissante, malheureusement maintes fois justifiée, de celles et ceux, indispensables acteurs et responsables de terrain, qui se trouvent, du simple fait de leur élection, à la croisée de toutes les misères, de tous les problèmes, de toutes les difficultés et d'enjeux qui, souvent, les dépassent.
Ceux-là disent : stop ! Assez ! On s'en va !
Certes, on trouvera toujours des inconscients ou des prétentieux - il s'agit d'ailleurs parfois des mêmes ! - pour prendre la relève, mais ils déchanteront à leur tour.
La République ne peut se satisfaire de cet état de fait. La démocratie ne peut traiter ainsi ses élus. Il y va de son avenir.
Pas de privilèges, surtout pas de privilèges ! Mais davantage de considération pour la fonction, si lourde et si complexe, et un minimum d'analyse préalable avant de désigner à la vindicte populaire, par presse interposée, un élu, homme ou femme, évidemment responsable, de par sa fonction, mais rarement coupable.
Le principe de précaution est aujourd'hui une référence fondamentale. Pourquoi, alors, ce principe ne s'appliquerait-il pas, d'abord, au bénéfice de l'homme lorsque son honneur peut être mise en cause ?
On ne « fait » pas parce qu'il y a potentiellement un risque ou parce que, en l'absence de connaissances suffisantes, on est incapable d'évaluer le risque potentiel. Mais, lorsqu'il s'agit de mettre en examen un élu, aucune hésitation ! On verra à la fin de la foire...
La justice serait-elle la seule à pouvoir s'exonérer de ce principe de précaution ?
Dois-je le préciser, je ne défends pas ici, et aucun d'entre nous ne saurait jamais défendre, les rares élus - mais peu, c'est déjà trop - qui se sont rendus coupables de malversations, d'actes malhonnêtes, abusant de leur fonction à des fins personnelles ou ignorant volontairement les responsabilités de leurs charges ! Ceux-là ne doivent ni ne peuvent nous inspirer aucune pitié !
Je pense à celles et à ceux qui gèrent en « bon père de famille », et je crois que cela a un sens honorable, un sens moral autant qu'un sens juridique. Comment ne pas être encore plus inquiet pour ceux-là après avoir lu, le 23 janvier, dans un grand quotidien du soir, que des agents de l'Etat incitaient des étudiants à traduire en justice leurs parents, sur le fondement de l'article 203 du code civil, pour non-respect de l'obligation d'entretien, alors même que ces parents, endettés, saignés aux quatre veines pour assurer l'entretien et la scolarité de leurs enfants, ne pouvaient payer la chambre d'étudiant ?
Ainsi va la société, sans doute ! C'est inquiétant !
Une étudiante a été choquée qu'une telle chose puisse même être envisagée. Son père avait-il trahi sa confiance ? Non ! L'enfant connaissait la situation. Noble et heureuse réaction !
Y a-t-il, mes chers collègues, une grande différence entre ce père de famille et l'élu attentif, qui gère en bon père de famille, avec les moyens dont il dispose ? On devrait pouvoir répondre non. Et pourtant !
Et pourtant, en forçant un peu le trait, on pourrait dire aujourd'hui que l'élu, lui, a par nature vocation à être coupable.
Il est d'abord coupable envers lui-même et envers sa famille de s'être mis au service de ses concitoyens, au lieu de rester tranquillement chez lui.
Il est ensuite coupable, et c'est plus grave, envers ses administrés, lui qui a voulu ou en tout cas accepté des responsabilités, alors même qu'il n'était pas ingénieur-préventionniste, ni technicien de l'environnement, ni architecte, ni médecin, ni électricien qualifié, ni contrôleur de structures, ni expert-comptable, et encore moins juriste. Et même s'il était juriste, devait-il exceller en droit public ou en droit privé ? En droit civil ou en droit pénal - cela pourrait lui servir ! - en droit social ou en droit des affaires ? Et je vous ferai grâce du droit international, encore que la construction européenne ne permette plus de l'ignorer !
Il est coupable, donc, de n'avoir pas su ce qu'il ne savait pas, de n'avoir pas prévu l'imprévisible, de n'avoir pas pu réunir les moyens propres à empêcher ce qui lui est reproché.
Et la liste des compétences que requiert l'exercice de la fonction de maire ne s'arrête pas à ces métiers dont l'inventaire fait déjà penser à Prévert. C'est sans doute pour cela qu'il n'y a pas de statut qui encadre cette noble fonction. Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, il est urgent qu'un statut accompagne l'élu dans l'exercice de son mandat.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Philippe Arnaud. Supprimez les élus, mettez des fonctionnaires à leur place et vous verrez les primes de responsabilité et de risque qu'il faudra leur servir !
L'élu peut faire appel, pour exercer ses responsabilités, à des compétences extérieures, me direz-vous ; et vous aurez raison. Mais une petite commune dont le budget équivaut à celui d'un ménage ne peut tout simplement pas se payer de tels services.
Et les lois que nous votons, les normes réglementaires que les ministres édictent quotidiennement, tous ces textes qui, à une vitesse vertigineuse, remplacent les précédents rendent quasiment illusoire pour un maire la perspective de rentrer chez lui un soir en disant : « Ça y est, tout est en ordre, tout est aux normes, sur le fond comme sur la forme, je suis inattaquable, j'ai assuré la parfaite sécurité de mes administrés. »
Quand bien même il croirait pouvoir se le dire, où serait la satisfaction pour un maire - et pour ses administrés - d'avoir supprimé les jeux dans les écoles, fermé la cantine scolaire, interdit les sorties éducatives des enfants, fermé les circuits de randonnées ? Et la liste n'est pas exhaustive !
Pendant ce temps, l'Etat, dans sa grande souveraineté, poursuit sa route, se déchargeant petit à petit de ses responsabilités à risque sur le dos des élus locaux, plus facilement identifiables. Lui-même est exonéré de responsabilité pénale au prétexte que, la justice étant rendue au nom de l'Etat, elle ne peut l'être contre l'Etat ! Le béotien que je suis répond : facile !
Est-ce une affaire trop importante pour être laissée dans les seules mains des spécialistes, c'est-à-dire des juristes ? Je serais parfois tenté de dire qu'il faut au contraire les en dessaisir.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ce serait raisonnable ! (Sourires.)
M. Philippe Arnaud. Mais la sagesse me conduit à répondre par la négative, bien entendu. A la condition, toutefois, que les spécialistes reprennent conscience de la réalité du terrain.
Nous sommes tous responsables de cette situation. C'est à nous tous, Gouvernement, élus, magistrats et citoyens, de trouver les réponses adaptées.
C'est au Parlement de faire la loi, qu'il propose des textes ou qu'il discute les projets du Gouvernement. C'est aux juristes et aux magistrats de contribuer à son élaboration, puis de l'appliquer. Mais qu'ils écoutent le Parlement et qu'ils entendent l'esprit de la loi !
C'est aux citoyens, responsables eux aussi, de sortir de leurs contradictions. Que le citoyen consommateur ne réclame pas ce que le citoyen contribuable ne veut pas payer ! Que le citoyen victime ne se laisse pas aveugler par sa douleur et puisse trouver juste réparation sans faire des victimes inutiles à son tour !
Madame le garde des sceaux, vous nous avez appelés tout à l'heure à ne toucher au droit pénal que d'une main tremblante. Notre main, votre main tremblent-elles lorsque nous pénalisons à outrance ?
Nous devons oser. Il y va de l'avenir de notre organisation démocratique. La proposition de Pierre Fauchon ose. Après la loi du 13 mai 1996, c'est un nouveau pas qu'il nous invite à accomplir. Fût-il petit, ce pas est de nature à clarifier et à améliorer la situation. C'est pourquoi, comme le groupe de l'Union centriste, je voterai cette proposition de loi, tout en formant le voeu que cette avancée résiste à la pression médiatique, qui avive constamment l'émotion publique, et à l'émotion publique ainsi amplifiée.
Comme un éminent intervenant l'a souligné lors de l'audition publique du 19 janvier, « c'est à la libre appréciation du juge ». Alors, que le juge apprécie librement, mais aussi sereinement ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Jolibois.
M. Charles Jolibois. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, les dispositions de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon dont nous débattons aujourd'hui sont particulièrement attendues, et pas seulement par les maires, surpris de voir leur responsabilité pénale de plus en plus souvent mise en cause pour des faits non intentionnels.
Le coeur du débat est en fait la question, bien connue des juristes, de la responsabilité sans faute intentionnelle, dite « responsabilité objective ».
Pour éviter cette banalisation, trois pistes s'offraient à nous.
La première consistait à adopter une loi spéciale applicable aux maires, si l'on pensait particulièrement à eux. Mais cette solution n'était pas admissible psychologiquement et constitutionnellement, car elle contrevenait au principe d'égalité devant la loi.
Au demeurant comme l'a rappelé M. Mauroy, les maires revendiquent leur responsabilité dès lors que le système est appliqué avec équité.
La deuxième piste consistait à élaborer un privilège de juridiction. Mais cette solution était celle qui était appliquée avant le vote de la loi du 4 janvier 1993, laquelle l'a supprimée. Il était donc difficile d'y revenir.
Enfin, la troisième piste consistait à instituer un filtre, comme il en existe un pour la Cour de justice de la République. Nous avions, dans ce sens, élaboré un texte, portant la signature du président de la commission des lois, M. Jacques Larché, mais qui n'a pas été examiné en séance publique.
Aucune de ces trois pistes n'a été retenue. Devant l'efficacité, non encore reconnue complètement, mais qui a déjà porté ses fruits, de la loi, également rapportée par M. Fauchon, du 13 mai 1996, le législateur tente maintenant de trouver un autre moyen de protéger des personnes ayant des responsabilités particulières des excès de la responsabilité pénale objective. Telle est l'origine de la présente proposition de loi.
Ce texte introduit à l'article 12-3 du code pénal la notion de faute « manifestement délibérée ».
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner lorsque nous examinions l'article du code pénal relatif à la mise en danger, cette expression se raccroche à un principe clé du droit pénal, à savoir que celui-ci doit mettre avant tout l'homme en face de sa conscience en ce qu'il vise des personnes qui commettent sciemment un acte délictueux.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois avait déposé un amendement - l'amendement n° 79 - spécifiant que la mise en danger devait être « consciemment et manifestement délibérée ».
C'est à la suite d'un parcours législatif complexe, dont j'ai relu en totalité le compte rendu et qui avait donné lieu à des dialogues nourris entre M. Kiejman, alors garde des sceaux, le président de la commission des lois, M. Dreyfus-Schmidt et moi-même, en tant que rapporteur, que l'expression « consciemment et manifestement délibérée » a été supprimée : après deux navettes, un accord a été trouvé pour supprimer le mot « consciemment », considéré comme une redite, et s'en tenir à l'expression « manifestement délibérée », en indiquant qu'elle signifiait, en fait, « consciemment ».
L'expression « manifestement délibérée » est celle qui figure maintenant dans le code pénal, et c'est pourquoi nous avions beaucoup insisté pour que le texte soit, si possible, voté à une très grande majorité. Le code pénal est fait pour durer. On ne doit y toucher, dites-vous, madame le garde des sceaux, qu'en tremblant. Il est donc préférable que les dispositions qu'il contient soient votées à une majorité traduisant un très large consensus. C'est une telle majorité qui a retenu l'expression « manifestement délibérée ».
D'après ce texte, qui ne concerne que la mise en danger, le juge doit rechercher si la personne qui a commis un acte répréhensible l'a fait en ayant devant les yeux, ou dans son imagination, le spectacle des conséquences possibles et a néanmoins choisi de passer à l'acte.
Le juge doit également faire la distinction, entre dommages directs et dommages indirects.
Sur ce point, le texte proposé par notre collègue Pierre Fauchon et par la commission des lois me paraît ingénieux et satisfaisant. Avec une telle disposition, il faudra toujours que la violation ait été « manifestement délibérée » pour entamer des poursuites pour maladresse ou négligence.
L'intérêt principal de ces nouvelles dispositions est double.
D'une part, elles vont amener le juge à engager plus de recherches subjectives, même dans les cas de responsabilité objective, et à pénétrer dans l'analyse du fonctionnement même du service ou de l'organisation pour apprécier où se situe la responsabilité du maire dans la hiérarchie des responsabilités.
D'autre part, l'élu, ou le responsable, pourra être entendu par le juge et se défendre sur la notion de chaîne de causalité.
La question qui se pose à nous est de savoir si cette nouvelle disposition ne risque pas de diminuer l'exigence de prudence, dont on attendrait plutôt un renforcement dans notre société, par exemple dans les domaines de la sécurité environnementale, de l'agroalimentaire, du risque industriel, des risques du travail et de la santé publique.
En effet, ce texte s'appliquera non seulement aux maires, mais aussi à toute autre personne, chef d'entreprise, enseignant ou préfet. Ne risque-t-on pas alors de voir diminuer le sens de la responsabilité et, surtout, la vigilance des personnes physiques à un moment où nous sommes confrontés à tant de risques, et où la loi doit protéger les consommateurs et les usagers des services publics ?
Par ailleurs, en cas de pourvoi auprès de la Cour de cassation, le contrôle de la notion de la faute « manifestement délibérée » se fera plus difficilement puisque la Cour ne procède pas au contrôle des faits.
J'émets là des réserves qui ne doivent pas nous empêcher d'agir, car il .y a eu une dérive de l'application du droit pénal qui s'est traduite par une pénalisation accrue de notre société et un recours trop systématique au pénal. L'intention du législateur est ici de redonner son vrai sens au droit pénal.
Deuxième point important sur lequel portent mes réserves : la proposition de loi prévoit, à l'article 6, la possible mise en cause de la responsabilité pénale de la personne morale.
Je me demande en effet comment cette responsabilité sera organisée. Qui représentera la collectivité dans le box des accusés ? Qui sera présent à l'audience ? Pourquoi n'a-t-on pas envisagé de recourir à des amendes, comme c'est déjà le cas pour des délits commis par des personnes morales, en précisant comment elles seront évaluées ? Pourquoi les collectivités locales seraient, sur ce point, moins bien traitées que certaines administrations d'Etat lorsqu'elles exercent des pouvoirs de puissance publique dans l'intérêt général ? Toutes ces questions doivent être creusées.
Néanmoins, malgré ces quelques doutes, le législateur ne peut rester inactif face à la dérive actuelle qui consiste, parfois, à chercher un bouc émissaire. La présente proposition de loi a pour but premier d'éviter les cas très injustes où une condamnation est prononcée à seule fin de désigner un responsable à des victimes en détresse.
Cette proposition de loi est issue d'une réflexion qui était indispensable ; son adoption l'est tout autant. Notre réflexion ne doit cependant pas s'arrêter là, et nous devons continuer de nous interroger sur la pénalisation excessive de notre société.
En conclusion, il faut espérer que cette loi participe d'un retour aux sources mêmes du droit pénal selon le principe : « pas de sanction sans loi écrite », ou « nulla poenae sine lege ». Ce principe avait été invoqué dans le cadre du débat sur la mise en danger pour repousser la possibilité d'une mise en examen pour prise de risque n'ayant pas entraîné de conséquences dommageables, ce qui aurait probablement été la porte ouverte à une appréciation trop large.
Il faut également souhaiter qu'un texte de l'importance de celui que nous discutons fasse l'objet du consensus le plus large possible.
J'ai remarqué que le Premier ministre avait annoncé, au dernier congrès des maires, son intention d'intervenir dans le sens même de la présente proposition de loi.
J'ai également remarqué, madame le garde des sceaux, que, dans le dossier que vous aviez envoyé à tous les parlementaires avant le Congrès qui n'a pas eu lieu, vous aviez joint en annexe cette intervention du Premier ministre au congrès des maires, dans laquelle il s'engage à étudier le problème, d'actualité, de la responsabilité des maires.
En 1994 nous avions voté la réforme du code pénal à l'unanimité, en considérant que nous adoptions un texte de base pour la société. La présente réforme est tout aussi importante et elle sera, je l'espère, adoptée dans les mêmes conditions.
En résumé, le texte qui nous est proposé reprend une définition et une analyse de la faute qui figurent déjà dans le code pénal.
Premièrement, il devrait permettre d'établir, grâce à la jurisprudence sur des cas concrets, des limites précises pour l'application de cette définition. Si notre vote est clair, il n'y a pas de raison pour que la Cour de cassation ne parvienne pas à une analyse comparable à celle qu'elle a faite de la faute lourde.
Deuxièmement, la présente proposition de loi renforce et accentue les effets bienfaisants - ils étaient attendus - de la loi de 1996 sur la responsabilité non intentionnelle - une jurisprudence existe, qui concerne des maires, des préfets et des enseignants, et qui montre les bienfaits de cette loi.
M. André Rouvière. Il y en a, mais pas beaucoup !
M. Charles Jolibois. Troisièmement, la proposition de loi n'a pas pour effet de compliquer la procédure pour le justiciable victime, comme l'aurait fait le renvoi préalable à une juridiction de l'ordre administratif pour qu'elle se prononce sur une éventuelle faute détachable, solution qui avait été proposée, par amendement, lors de l'examen du texte sur la présomption d'innoncence. En tant que rapporteur de la commission des lois, je m'y étais opposé.
Quatrièmement, la proposition de loi clarifie la volonté du législateur sur le traitement pénal différent qui doit être réservé, d'une part, à la faute pénale entraînant des conséquences directes et, d'autre part, à la faute occasionnant de dommages indirects et non intentionnels.
Enfin, on ne peut pas ne pas revenir au grand principe selon lequel nulla poena sine lege, car c'est une des colonnes du temple du droit pénal.
M. Raymond Courrière. Elle est ébranlée !
M. Charles Jolibois. Si ce principe décline, insensiblement mais sûrement le climat change : le droit pénal n'est plus défini par la loi, mais par les audaces de la jurisprudence. Ce n'est plus le droit du législateur : cela devient le droit des juges, ce que personne ici ne veut.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Charasse. De toute façon, les juges s'en foutent ! Ils font ce qu'ils veulent !
M. le président. Poursuivez, monsieur Jolibois !
M. Charles Jolibois. Cette appréciation ne me dérange pas, monsieur le président,...
M. Henri de Raincourt. Nous non plus !
M. Charles Jolibois. ... je la trouve même amusante.
M. Michel Charasse. On peut voter ce qu'on veut, les juges font ce qu'ils veulent !
M. le président. Monsieur Charasse, laissez l'orateur s'exprimer.
M. Charles Jolibois. Tout le monde ici estime - et ce sera ma conclusion - que l'excès de pénalisation pour des fautes non intentionnelles peut avoir des conséquences extrêmement lourdes sur le nombre des candidatures aux difficiles fonctions de maire, mais aussi sur les recrutements aux fonctions qui impliquent la prise de risque dans les entreprises, fonctions qui, les unes comme les autres, sont pourtant absolument nécessaires à la prospérité de nos concitoyens, au bon fonctionnement de la démocratie locale, démocratie vivante, grâce à nos 36 000 communes, et qui est indispensable à notre République.
M. Raymond Courrière. Elle est bien menacée !
M. Charles Jolibois. Le Sénat était bien dans son rôle, monsieur le président, en soutenant l'initiative prise par l'auteur de la présente proposition de loi.
Je suis chargé de dire que mon groupe, dans son immense majorité, la votera et de remercier notre collègue Pierre Fauchon du travail qu'il a accompli, selon une méthode que j'ai le privilège de bien connaître pour avoir en plusieurs occasions travaillé avec lui. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je ferai quelques brefs commentaires, d'abord pour me réjouir que nous soit présentée aujourd'hui cette proposition de loi, qui, après la loi de 1996, amène à une réflexion sur la redéfinition du champ du délit non intentionnel et sur l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales.
Divers travaux ont nourri la réflexion : ceux de l'Association des maires de France, lors de son dernier congrès, au cours duquel M. le Premier ministre est intervenu, ceux du groupe présidé par M. Massot, ou encore ceux de la mission de décentralisation, qui viennent de se conclure par un rapport sur la sécurité juridique.
La réflexion a en outre porté sur le statut de l'élu et sur les conditions d'exercice des mandats locaux sur le plan de la sécurité juridique.
Je ne reviens pas aux analyses juridiques et aux commentaires qui ont été faits, mais je tiens à affirmer pu être certains principes.
Il ne s'agit pas ici de défendre, par réaction corporatiste, les maires, mais bien d'assurer l'efficacité de l'action publique, qui est au coeur de notre réflexion, en permettant à ceux qui l'exercent de gérer les risques.
L'exercice de la responsabilité est un art difficile, mais il ne s'exerce pleinement que si l'on assume totalement ses responsabilités, et un texte ne saurait avoir pour effet de limiter celles-ci ou de permettre à ceux à qui elles incombent de leur échapper.
Lorsque l'on est victime, on souhaite légitimement être informé et indemnisé, et voir condamner ceux qui sont responsables. Tout texte se doit d'assurer le droit des victimes. Il faut aussi tout mettre en oeuvre pour faciliter la tâche de celui qui doit juger - exercice ô combien difficile ! - et nous devons soutenir cet effort. Mais un nécessaire délai doit s'écouler, l'enquête doit permettre de se forger une conviction et l'accès au dossier doit être assurer pour la défense, et ce dans la plus grande sérénité des auteurs, des acteurs et de l'opinion.
Or, vous avez raison, madame la garde des sceaux, quand vous indiquez qu'entre le sens et la réalité existe aujourd'hui un vrai décalage. Pour les décideurs publics, la crainte du jugement de l'opinion se superpose à l'inquiétude d'être condamné pour des faits non intentionnels. Cette condamnation laisse une trace d'autant plus douloureuse dans l'âme de ceux qui la subissent que ceux-ci ne sont pas directement impliqués dans les faits incriminés, et à la douleur d'une condamnation injuste s'ajoute l'humiliation d'une condamnation médiatique, qui blesse l'honneur d'une famille tout en semant le doute chez ceux qui exercent des responsabilités.
Vous avez eu raison d'indiquer que, aujourd'hui, nous risquons une paupérisation de la vie publique, les candidats craignant d'être dans l'incapacité d'exercer des responsabilités. Déjà, au sein du ministère de l'éducation nationale, un certain nombre de postes de proviseur sont aujourd'hui vacants,...
M. Gérard Delfau. Oui ! Et il manque 10 000 directeurs d'école !
M. Jean-Paul Delevoye. ... tout simplement parce que les possibles candidats considèrent que l'exercice de cette responsabilité, au nom de l'intérêt général, leur fait courir des risques majeurs s'agissant de leurs intérêts légitimes sur le plan privé.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Aussi, l'initiative de M. Pierre Fauchon, soutenue par M. Jacques Larché, au nom de la commission des lois, mérite d'être saluée.
Ce texte concerne l'ensemble des décideurs publics, car personne, et surtout pas moi, ne souhaite un traitement particulier pour les élus locaux. Nous sommes responsables, nous entendons assumer nos responsabilités. Il n'y a jamais eu de tractations avec quiconque - ce soupçon serait désobligeant tant pour le Gouvernement que pour le Parlement - pour tenter d'exonérer les élus locaux d'une quelconque responsabilité.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. En revanche, il existe un véritable risque de décourager la prise de responsabilités dans les collectivités locales, dans le monde de l'enseignement et au sein du monde associatif. Cela pose le problème de l'efficacité de l'action publique. J'ai souvent posé cette question : comment l'Etat pourrait-il agir sans élus locaux, sans présidents d'association et sans enseignants qui prennent des responsabilités ?
M. Philippe Arnaud. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Nous assistons aujourd'hui à une accélération de la pénalisation de la vie publique. Cela doit nous amener à réfléchir, et je sais que ce point fait partie des réflexions de la commission des lois, sur l'articulation des différentes juridictions - administrative, civile et pénale -, mais aussi sur la mise en cause de la responsabilité de la personne morale et de la personne privée.
Nous devons garantir la dignité des hommes et des femmes en leur épargnant l'opprobre public lorsqu'il s'agit d'une mise en examen qui, alors qu'elle doit leur offrir les meilleurs moyens d'assurer leur défense devant l'appareil judiciaire, les livre en réalité à l'accusation publique devant le tribunal médiatique. Combien de carrières brisées, de talents découragés, au moment où notre société en a le plus besoin !
Vous ouvrez, monsieur Fauchon, une piste intéressante sur le lien entre la causalité et la faute, sur la limitation de la responsabilité des personnes privées mais l'extension de la responsabilité des personnes morales. Nous sommes sensibles à cette approche. D'ailleurs, nous aurions souhaité une extension plus grande encore de la responsabilité de la personne morale.
Je ne crois pas, madame le garde des sceaux, à l'affaiblissement du sens de la responsabilité ni, comme conséquence, à l'augmentation de la pénalisation de la vie publique. Il y a d'autres ressorts.
Je crains, cependant, que nous ne soyons confrontés à un risque de recherche systématique de la fuite de prise de responsabilités par un certain nombre de services, de l'Etat ou d'autres administrations, chacun cherchant à repasser à l'autre le mistigri de la responsabilité. Les commissions de sécurité, qui ont été évoquées tout à l'heure par M. Pierre Mauroy, en sont un exemple.
Je suis donc convaincu que ce premier pas doit être poursuivi par une réflexion sur l'accélération de l'indemnisation des victimes, sur le fait que tout personne doit pouvoir être entendue avant sa mise en examen, sur la réforme des procédures pénales, sur l'émergence des pôles de compétences, au sein tant des services de l'Etat que des collectivités locales, et - pourquoi pas ? - au travers de pôles d'intercommunalité.
Nous devons réfléchir à l'extension des recours abusifs, à notre responsabilité, en tant que législateur, à la parution des textes trop normatifs, trop difficiles ; nous devons tout faire pour éviter qu'une trop grande pénalisation de la vie publique ne fasse évoluer le statut de l'élu vers une professionnalisation, ce qui serait contraire à l'éthique du mandat politique et entraînerait une paupérisation de la vie publique.
Un maire n'échappe pas à la prise de décision. Il convient de faire en sorte que chacun puisse exercer et prendre ses responsabilités à la place qui est la sienne. La volonté d'ouvrir le « parapluie » ne doit pas mettre parfois l'élu local dans une situation difficile, au point qu'un certain nombre d'élus locaux cherchent à déléguer une partie de leurs tâches, ce qui, là aussi, serait contraire à l'intérêt du service public.
Je suis donc tout à fait favorable à votre proposition de loi, monsieur le rapporteur. Nous la voterons.
Je souhaiterais simplement faire un petit commentaire à propos du lancement de la campagne présidentielle par M. Mauroy. Notre collègue a craint « la réforme pour la réforme ». Où est la vérité ? Est-ce la vérité du moment, car elle épouse l'intérêt de l'opinion, alors que, dans quelques années, dans cette même opinion pourra accepter une vérité contraire ? Aujourd'hui, on envisage de permettre à la police d'entrer dans des établissements scolaires. Or, voilà une trentaine d'années, certains, dont M. Mauroy, défilaient aux côtés de celles et de ceux qui disaient : « Il est interdit d'interdire. » Aussi, je me méfie toujours des vérités du moment, qui sont quelquefois flatteuses pour l'opinion mais destructrices pour l'avenir de notre pays.
En tant que gaulliste, je considère que ce qui est important, ce n'est pas de toujours plaire à l'opinion, c'est de préparer l'avenir du pays, c'est la capacité d'anticipation. C'est la raison pour laquelle je m'étais réjouis, au nom de M. le Président de la République, que nous réfléchissions à la réforme de cette institution qu'est la justice. Je me suis également réjouis de voir vos travaux, madame le garde des sceaux, poser un certain nombre de questions intéressantes dans le débat ce qui touche à de la société française et pour lequel aujourd'hui M. Fauchon amorce un premier pas. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour étudier une proposition de loi visant à apporter une réponse à la question de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels. Cette proposition de loi a été déposée afin, nous dit-on, de répondre au malaise des élus.
Cependant, pour des raisons tenant au contexte dans lequel elle est déposée mais aussi au niveau limité des réponses qu'elle apporte à des préoccupations légitimes des élus, comme l'a précisé le rapporteur M. Fauchon, Mme le garde des sceaux, pour sa part, ayant parlé d'amorce de réponse - les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen pensent que cette proposition de loi risque d'être inopportune, voire contre-productive.
Je m'explique. Il est vrai que les élus locaux rencontrent depuis plusieurs années de plus en plus de difficultés dans l'exercice de leurs fonctions. Les premières lois de décentralisation ont bientôt vingt ans. Avec le recul, cette rupture essentielle et nécessaire avec la tradition centralisatrice de l'Etat français se révèle éminemment perfectible, et nous attendons beaucoup de la commission mise en place par M. le Premier ministre, présidée par notre collègue Pierre Mauroy. Depuis l'entrée en vigueur, en 1982, de la première loi de décentralisation, la France a profondément changé de visage. La crise s'est approfondie, même si les derniers chiffres sont encourageants.
L'aggravation du chômage, les difficultés que rencontrent nos concitoyens pour se loger et se soigner, le relâchement du tissu social, le nombre croissant des incivilités sont autant de défis auxquels les collectivités locales, et singulièrement les communes, sont confrontées quotidiennement.
L'accroissement incessant de leurs responsabilités, qui ne s'est pas accompagné d'un transfert important des moyens, a entraîné - on le sait - le découragement de nombreux élus, notamment les maires.
Cette détresse s'est cristallisée autour de la question de la responsabilité pénale des élus pour faits non intentionnels. Lors de la tempête, en décembre dernier, de la marée noire ou des inondations dans le Languedoc-Roussillon - j'ai eu l'occasion d'y rencontrer de nombreux élus - les élus ont fait preuve d'une attitude exemplaire, mais ils ont également exprimé leur crainte de voir leur responsabilité pénale engagée si, par malheur, des bénévoles travaillant sur les sites venaient à être blessés.
Ils ressentent en effet comme particulièrement injuste leur mise en cause personnelle pour des faits dont ils n'ont même pas eu connaissance, alors que, bien souvent, ilssont obligés de « bricoler » au mieux pour pallier l'absence de moyens effectifs.
Même lorsque, comme c'est le cas la plupart du temps, la relaxe est prononcée, ils ont l'impression d'avoir été assimilés à des délinquants.
Le problème est réel, même si on peut regretter qu'il soit souvent surexploité. En effet, les chiffres officiels sont bien moins alarmants que ce que disent certains : une cinquantaine d'élus mis en cause depuis 1995 ; une vingtaine de condamnations. Cela ne doit pas masquer les véritables préoccupations des élus.
Je ne pense pas, en effet, que l'on appelle aujourd'hui « la crise de vocation » des maires soit due exclusivement ou même prioritairement à la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée. Ce serait bien mal les connaître et bien mal les juger. Compte tenu du nombre d'élus locaux qui siègent ici, je pense qu'ils en conviendront avec moi.
Certes, régler la question peut contribuer à répondre un tant soit peu au malaise des maires, et le fait que la réponse ne soit qu'un élément du problème ne devrait pas nous faire renoncer à le traiter.
Néanmoins, je m'interroge à la fois sur la portée symbolique de l'examen de ce texte et sur l'efficacité du dispositif.
Dans la perspective du Congrès sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, je m'étais interrogé sur le signe que nous allions donner, en tant qu'élus et constituants, aux citoyens qui venaient de manifester leur attente forte d'une justice indépendante.
Aujourd'hui, alors que nous commençons la discussion du texte relatif à la responsabilité pénale des élus, la réponse est bien plus préoccupante que celle que j'avais alors imaginée.
Le report du Congrès est perçu par nos concitoyens comme un échec de l'indépendance de la justice, et vous n'empêcherez personne de penser qu'avec cette proposition de loi les élus cherchent à se reconstruire une immunité. On voit bien, dans ce débat, la difficulté, y compris pour certains, de prétendre le contraire.
C'est ce qui peut arriver de pire, parce que nous risquons d'accréditer l'idée d'une protection infondée des élus locaux, contrairement à l'objectif que vous cherchez à atteindre par cette proposition de loi.
Cette liaison entre l'indépendance de la justice et la responsabilité des élus, vous en portez pour partie la responsabilité. En effet, vous avez, chers collègues de la majorité sénatoriale, souhaité en faire un élément de la réforme globale de la justice, en adressant un questionnaire en ce sens au garde des sceaux, comme préalable au vote du Congrès.
De même, vous n'avez eu de cesse de parler de la nécessité d'une réforme globale de la justice, de l'importance du dialogue que seul le temps peut permettre.
C'est bien vous, monsieur le président Larché, qui avez déclaré, le 21 décembre, à l'occasion d'un débat télévisé : « Je me suis abstenu sur cette réforme de la justice, je n'ai pas voté pour, je n'ai pas voté contre, et ce n'était pas lâcheté de ma part, ce n'est pas mon habitude. Je l'ai fait pourquoi ? Parce que je devinais que cette réforme en elle-même n'était qu'un élément d'un tout et que ce qui comptait avant tout c'était le tout. »
Il semblerait que ce qui est vrai pour la réforme de la justice ne le soit pas pour d'autres sujets.
Nous aurions eu besoin, au contraire, de temps et de dialogue pour étudier cette question. Or, ils ont largement fait défaut ici.
Déjà, M. Fauchon n'avait pas eu la patience d'attendre les conclusions du groupe d'études réuni sous la présidence de M. Massot, président de la section des finances du Conseil d'Etat, pour déposer sa proposition. Il est apparu que c'était une erreur, puisque les conclusions du groupe de travail ont été autrement plus approfondies. M. Fauchon en est néanmoins convenu, puisqu'il a adapté en conséquence ses propositions.
Je comprends d'autant moins la hâte de notre rapporteur que les auditions auxquelles la commission des lois a procédé, loin d'avoir éclairé le débat, ont suscité plus de questions que de réponses : je ne pense pas avoir été le seul à être ressorti troublé de ces auditions compte tenu de la divergence des points de vue exprimés...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Bret, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Robert Bret. Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Bret, vous avez l'air de me reprocher de ne pas avoir attendu qu'une commission administrative ait fait son travail pour déposer cette proposition de loi. Permettez-moi de vous rappeler que le pouvoir législatif appartient au Parlement, et que ce dernier fait son devoir quand il assume ses responsabilités.
M. Robert Bret. Tout à fait, monsieur Fauchon !
M. Hubert Haenel. Jusqu'à nouvel ordre !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Et aucun d'entre nous n'a l'obligation d'attendre que telle ou telle commission administrative, si respectable soit-elle d'ailleurs, ait déposé son rapport, d'autant qu'on ne sait pas dans quel délai elle le déposera. Ce n'est donc pas au moment où le pouvoir législatif fait son travail que vous avez des reproches à lui adresser !
Par ailleurs, nous n'avons pas adapté la proposition de loi aux propositions de la commission Massot ; c'est au contraire cette dernière qui, concluant trois mois après le dépôt de la proposition de loi, s'est adaptée à la proposition de loi. On a dit tout à l'heure que la proposition de loi avait rejoint les propositions de la commission Massot ; ce sont les propositions de la commission Massot qui ont rejoint sur un point essentiel le texte de la commission ! Si des éléments ont effectivement été intégrés dans la proposition de loi, ils ne sont - je me permets de le signaler - que complémentaires.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Bret.
M. Robert Bret. Toujours est-il que le rapport Massot était d'une autre richesse, du point de vue des réflexions et des propositions, que le texte qui nous est soumis aujourd'hui !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Vous êtes contre les pauvres, monsieur Bret !
M. Robert Bret. En tout cas, nous avons été unanimes, je crois, au sein de la commission des lois, à nous déclarer troublés par la divergence des points de vue exprimés au cours des auditions, et à mesurer la complexité des problèmes posés et donc des réponses à apporter.
Tel est le cas, par exemple, de la notion de cause directe ou de cause indirecte du dommage, qu'on a le plus grand mal à définir. Je ne comprends toujours pas la différence, et il est à craindre que les juges ne la comprennent pas plus. Les auditions qui ont été réalisées au sein de la commission des lois me confortent dans cette analyse : tant Mme Viney que M. Pradel ont critiqué la distinction.
Qu'en est-il de la responsabilité des personnes morales ? Nous savons également que la question fait débat.
Le Premier ministre a rappelé les risques d'un « affaiblissement du sens de la responsabilité personnelle » des élus locaux et la crainte d'une « pénalisation supplémentaire de la vie publique en transférant au juge pénal des compétences larges dans le domaine de l'administration ».
On s'interroge également sur l'effet dissuasif de la sanction, puisque c'est le contribuable qui paye l'amende.
On peut se demander si la solution retenue ne prend pas, en fin de compte, acte de la pénalisation, plutôt que de tenter d'y remédier. Ne serait-il pas plus opportun de réfléchir sur les moyens d'offrir des alternatives à la voie pénale ?
La question de la réhabilitation de la voie administrative est décisive ; c'est l'une des forces du système français, comme l'a indiqué avec raison notre collègue Robert Badinter lors de nos travaux en commission des lois. N'oublions pas, comme le rapport Massot a pu le rappeler, que le juge administratif reste le « juge naturel » de l'administration ; il a su soumettre l'administration à des règles efficaces de responsabilité, tout en sachant ne pas entraver l'action administrative. L'extension du référé administratif nous paraît en l'espèce une solution beaucoup plus intéressante.
De même, il faudrait donner des moyens au juge civil, ce qui permettrait de faire l'économie du pénal.
Mais ces voies alternatives posent un même problème : celui des moyens. En effet, il reste que le pénal bénéficie du principe de gratuité. Or, ce que veulent notamment les victimes, avant tout autre chose, c'est être indemnisées pour leur préjudice.
On le voit, sur cette question, la responsabilité pénale des personnes morales ne changera rien.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ont également entendu les craintes exprimées par les associations quant aux répercussions que les dispositions, si elles étaient adoptées, pourraient entraîner sur les droits des victimes, en particulier sous l'angle des maladies professionnelles. L'aggravation des conditions de mise en cause en cas de faute indirecte, avec la nécessité d'apporter la preuve qu'il y a eu « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité », peut en effet altérer leurs droits.
Il ressort également des conclusions du rapport Massot que, pour espérer enrayer le phénomène de pénalisation, il faut certainement dépasser le simple cadre de la définition du délit non intentionnel. Nous savons tous ici qu'il nous faudra, faute d'en avoir tenu compte, sur le métier remettre notre ouvrage.
D'ailleurs, si l'on se réfère à la courte histoire du délit non intentionnel, créé par la réforme du code pénal en 1994, on se rend compte que l'on a les plus grandes difficultés à mettre en place un régime qui, à la fois, respecte les droits des victimes et protège l'élu contre les abus : en 1996, soit à peine deux ans après son entrée en vigueur, l'article 121-2 du code pénal a été modifié afin d'instituer une obligation d'appréciation in concreto par le juge pénal : désormais, celui-ci est amené à tenir compte de ce que l'élu a « accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que des moyens dont il disposait ».
M. Raymond Courrière. C'est la moindre des choses !
M. Robert Bret. Quatre ans plus tard, le Sénat s'apprête à modifier à nouveau la définition du délit non intentionnel, alors même que nous ne disposons pas du recul suffisant pour apprécier réellement les conséquences de la modification de 1996. (M. Courrière s'exclame.) A quand la prochaine proposition de loi Fauchon ?
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réclament, depuis plusieurs années, qu'une réflexion globale soit menée sur la question du statut de l'élu. Et j'ai entendu encore à cet égard, voilà un instant, notre collègue Jean-Paul Delevoye.
Réduire la problématique à la question du délit non intentionnel risque d'occulter la question des moyens que l'intercommunalité n'a pas, loin de là, épuisé, même si elle permet de répondre à certains besoins.
L'assistance technique et juridique continue de faire très souvent défaut et nous laisse souvent seuls pour apprécier les décisions à prendre.
Sauf à s'orienter vers une professionnalisation de l'élu, à laquelle les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent adhérer, il faut absolument aborder la question de la formation des élus et des agents publics, celle de la clarification des responsabilités, mais aussi celle de la rénovation du contrôle de légalité, qui pourrait devenir un conseil de légalité.
De même, il est acquis, aujourd'hui, que la simplification des procédures, notamment en matière de marchés publics, éviterait des irrégularités souvent involontaires et permettrait de faire face à l'augmentation des risques encourus, risques que la Cour des comptes vient de souligner dans son rapport public.
Les conclusions de la mission commune d'information sénatoriale chargée de dresser le bilan de la décentralisation offraient, dans le rapport intitulé Sécurité juridique, condition d'exercice des mandats locaux : des enjeux majeurs pour la démocratie locale et la décentralisation, des pistes de réflexion intéressantes ; il est dommage que l'on n'en ait pas tenu compte.
Enfin, le phénomène de pénalisation doit être abordé de façon globale. Les progrès de la science et de la technologie nous entraînent dans un monde fait de plus en plus de certitudes, où l'impondérable est ressenti comme une anomalie, sinon comme une « erreur » : la notion de « risque zéro », l'apparition du « principe de précaution » en sont des illustrations.
Le citoyen, aujourd'hui, n'admet plus d'être victime du hasard ou de la malchance. S'il y a victime, il y forcément quelqu'un, quelque part, qui n'a pas fait ce qu'il fallait, qui n'a pas pris les bonnes décisions. Il faut que les responsabilités de toutes les personnes soient clairement identifiées, au grand jour, devant le juge répressif.
C'est sur cette question qu'il faut, aujourd'hui, que les élus, les professionnels de la justice, mais également les universitaires, les juristes, les sociologues, les philosophes réfléchissent.
Une partie de la question devrait être abordée dans le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, dont la deuxième lecture, qui interviendra prochainement, sera très instructive. Un certain nombre d'amendements déposés sur le texte que nous examinons aujourd'hui trouveront alors leur place.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen souhaitent, dès lors, marquer leur désaccord avec la méthode employée, qui n'a pas permis une réflexion constructive. Faute d'avoir eu une vision générale des problèmes, le bon équilibre ne pourra être trouvé entre une protection minimum nécessaire de l'élu, qui doit être en mesure de mener à bien sa charge, et un régime d'exception et de privilège réservé à l'élu, qui instituerait une justice à deux vitesses, régime qui doit être refusé et que les parlementaires communistes ont toujours combattu.
La réforme de la justice doit être poursuivie et menée à bien dans des délais brefs pour que les citoyens ne soient pas pour toujours privés de l'indépendance de la justice et qu'ils ne soient pas définitivement persuadés que, comme le disait la Fontaine, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Dreyfus-Schmidt applaudit également.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Ou rouge ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans le cadre de cette discussion générale, je m'en tiendrai à quelques observations réunies autour de trois idées.
Première idée : tout le monde semble enfin d'accord pour que les délits non intentionnels soient traités de la même manière pour tous les citoyens, qu'ils soient élus ou qu'ils ne le soient pas.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Deuxième idée : une fois de plus, nous allons trop vite.
Troisième idée : une nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin.
J'en reviens à la première idée : tout le monde semble enfin d'accord pour que les délits non intentionnels soient traités de la même manière pour tous les citoyens.
Dès le début du rapport de l'auteur de la proposition de loi soumise aujourd'hui à l'examen du Sénat, on lit - et, pour ma part, avec le plaisir que M. le rapporteur imagine - ceci : « la proposition de loi soumise à l'examen du Sénat repose sur l'idée qu'il convient de réexaminer la question de la délinquance non intentionnelle dans son ensemble, afin de rechercher une solution qui constitue un progrès pour l'ensemble de la société et non seulement pour une partie de ses membres. »
Je sais bien que vous dites également, monsieur le rapporteur, que l'on pourrait justifier une législation particulière pour les élus (M. le rapporteur acquiesce), mais vous y renoncez.
S'agissant de ce que vous énoncez aujourd'hui, à savoir la nécessité que la loi soit la même pour tous, je n'ai pas besoin de vous rappeler que c'est là la position que je n'ai cessé de soutenir, au nom du groupe socialiste, contre vous-même, contre l'ensemble de la majorité sénatoriale, à l'exception, je dois le dire, de Jean-Marie Girault, et contre le Gouvernement, alors représenté par M. Toubon, dans les débats qui devaient conduire à l'adoption de la loi du 13 mai 1996, c'est-à-dire le 26 octobre 1995, en première lecture, et le 14 novembre 1995, en seconde lecture.
A l'époque, inspiré par un avis du groupe de travail dirigé par M. Fournier, avis dont la teneur n'avait pas été communiquée au Sénat, M. Toubon avait prétendu légiférer pour tout le monde, alors que, dans le même temps, et en dépit de nos protestations et de nos interrogations qu'il laissait sans réponse, il soutenait et acceptait un renversement du fardeau de la preuve au bénéfice des seuls élus, des fonctionnaires et spécifiquement des militaires, renversement du fardeau de la preuve refusé en conséquence aux simples citoyens, aux présidents d'associations, aux artisans, etc.
Pierre Fauchon s'était d'ailleurs opposé à ce que le texte particulier inséré dans le code des communes le soit également dans la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, en déclarant loyalement ceci : « Nous avons proposé que notre texte s'applique uniquement aux élus locaux.
« Le Gouvernement, après avoir fait voter un texte de portée générale, propose maintenant un dispositif particulier, repris de notre dispositif particulier concernant les élus locaux.
« La commission des lois a considéré que le dispositif particulier concernant les élus comportait tout de même une spécificité en ce qui concerne le champ d'application de la mesure, mais aussi peut-être au regard de la charge de la preuve. Ce dispositif était justifié par la situation très particulière des maires, qui, en réalité, n'a pas d'équivalent. »
Le même jour, je déclarais moi-même - et, depuis, quelqu'un de beaucoup plus autorisé que moi, a tenu à peu près les mêmes propos -...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Qui ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt ... ceci : « Après l'affaire du Cinq-Sept, en 1976, on avait déjà cherché le moyen d'empêcher qu'un élu puisse être traîné devant les tribunaux et condamné pour imprudence ou négligence. On avait alors inventé le privilège de juridiction. Il fallait aller devant la Cour de cassation. Si on est ensuite revenu sur cette pratique, c'est parce qu'on s'est rendu compte qu'elle ralentissait certaines affaires qu'il ne convenait pas de ralentir, et on l'a donc supprimée.
« Or, voilà qu'aujourd'hui vous la rétablissez en faisant un sort particulier aux élus et aux fonctionnaires ; nous pensons que c'est une grave erreur.
« Il faudra sans doute en venir à la solution que nous avons préconisée. »
Nous y sommes. Mieux vaut tard que jamais !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout s'améliore ! (Sourires).
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Deuxième idée : une fois de plus, nous allons trop vite.
Si nous sommes obligés de recommencer à légiférer sur le sujet, c'est que, en 1995 et en 1996, le Parlement est allé beaucoup trop vite. La réforme élaborée à l'époque n'a, il faut le reconnaître - et tout le monde le dit - pas changé grand-chose.
Le législateur avait demandé que la situation des auteurs de délits non intentionnels soit considérée in concreto. C'est ce que la jurisprudence a toujours fait, en examinant dans tous les cas les éventuelles circonstances atténuantes.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est inexact !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. A l'époque, le 26 octobre 1995, j'avais dit - excusez-moi, mes chers collègues, de me citer à nouveau - que « cela mérite davantage de réflexion », et que « peut-être est-on allé un peu vite en besogne ».
Le 14 novembre de la même année, j'ajoutais : « On va beaucoup trop vite ».
Et voilà que nous recommençons ! A en croire le Bulletin des commissions - et comment ne pas le croire ? - lors de la séance de la commission des lois du 20 janvier, c'est-à-dire jeudi dernier, voilà exactement une semaine, notre excellent rapporteur, M. Pierre Fauchon (Sourires), a répondu à M. José Balarello que « la question des mises en cause d'élus pour atteintes à l'environnement était très importante », mais qu'« il ne lui avait pas paru possible de la traiter dans son ensemble dans le cadre de la proposition de loi », ce qu'il nous a d'ailleurs répété ce matin.
Or ne sommes-nous pas réunis aujourd'hui notamment pour empêcher qu'un maire puisse être condamné parce qu'une fuite dans une usine d'épuration par exemple, a provoqué, sans qu'il y soit pour quoi que ce soit, la mort de nombreux poissons ? Moi, je croyais que si ! Nos amendements tendent à l'empêcher, et j'espère qu'ils ne seront pas rejetés « à la va-vite », si vous me permettez cette expression. Mais je crois savoir qu'ils ont été retenus par la commission des lois.
Par ailleurs, la proposition de loi que nous examinons et qui tend à supprimer les délits non intentionnels « lorsque la faute a été la cause indirecte du dommage » m'apparaît à l'évidence comme un progrès vers la solution du problème, mais un progrès non significatif.
La distinction entre la cause directe et la cause indirecte est souvent floue et entraînerait, dans de nombreux cas, des discussions où tout et le contraire de tout pourraient se soutenir.
Prenons l'affaire d'Ouessant, que vous connaissez bien. Peut-être certains d'entre vous ont-ils entendu ce matin même, dès potron-minet, Mme la maire d'Ouessant expliquer comment elle ressentait la condamnation à trois mois de prison avec sursis qui lui a été infligée le 2 novembre 1999, c'est-à-dire tout récemment, par le tribunal de Brest, parce qu'un enfant est tombé d'une falaise !
Dans cette affaire, on a reproché, d'une part, au directeur d'établissement de ne pas s'être renseigné, avant d'avoir autorisé l'excursion, sur les spécificités de l'île d'Ouessant et, d'autre part, à Mme la maire de ne pas avoir fait installer des panneaux indiquant qu'il était dangereux de rouler à bicyclette sur le haut de la falaise. Mais personne ne l'avait jamais demandé à Mme la maire ni à ses prédécesseurs ! Or nous avons eu la surprise de constater, en lisant ce jugement, que, dans les deux cas, le tribunal de Brest a précisé - ce que, d'ailleurs, il n'avait nul besoin de faire - qu'il y avait une relation directe entre la faute reprochée, tant au directeur de l'établissement qu'à Mme la maire, et le dommage.
M. Gérard Delfau. C'est scandaleux !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est vous dire que cela n'empêchera pas les discussions devant les tribunaux pour savoir si la relation est directe ou si elle ne l'est pas.
M. Gérard Delfau. Il faut savoir si c'est le juge ou le législateur qui doit discuter !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela n'empêchera pas non plus de très nombreuses mises en examen et de très nombreuses poursuites puiqu'il appartiendra en définitive au parquet, au juge d'instruction ou aux juges du siège, d'estimer s'il existe un rapport direct ou indirect entre le dommage et l'imprudence, la négligence ou le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Cela n'empêchera pas plus que l'opinion, à juste titre - je me permets d'y insister -, ne comprendra pas que des fautes graves ne soient pas sanctionnées pénalement lorsque la cause est indirecte, par exemple dans les cas tirés de la jurisprudence et cités dans le rapport Fournier tel celui du conducteur en état d'imprégnation alcoolique déséquilibrant un cyclomotoriste alors écrasé par un véhicule roulant derrière lui. Parce que la responsabilité est indirecte, il n'y aurait pas de poursuites ? L'opinion aurait du mal à le comprendre, et l'on peut citer d'autres exemples du même ordre.
Enfin et surtout, la non-pénalisation de la cause indirecte, sauf...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Le « sauf » est essentiel !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Non !
Y compris dans le cas de manquement « délibéré à une obligation particulière de sécurité ou de prudence »...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Oui, et c'est le cas que vous citez, comme par hasard !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas du tout, et Mme le garde des sceaux a eu parfaitement raison de vous dire qu'il s'agissait de savoir si vous visiez un manquement à un texte ou non. En effet, aucun texte n'interdit, par exemple, à un ivrogne de circuler à bicyclette ! Il faudra donc préciser si vous visez le manquement à la loi ou au règlement, ou bien un manquement à une mesure de sécurité générale dictée par le bon sens. Au demeurant, même dans ce dernier cas, cela n'empêcherait les multiples cas où, même très légère, la faute, pour être la cause directe du dommage, continuerait néanmoins à entraîner poursuite et condamnation pour délit non intentionnel, soulevant à juste titre l'indignation des honnêtes gens.
Voilà pourquoi la réforme proposée, pour sympathique qu'elle nous apparaisse, ne répond pas, à la vérité, à notre attente et à l'attente de tous.
J'en viens à la troisième et dernière idée que j'entendais développer : une nouvelle fois, nous n'allons pas assez loin.
Où devrions-nous aller ?
A mon sens, il arrivera un jour où le législateur se décidera, sauf en matière de circulation et de législation du travail, à supprimer toute exception au principe posé par le premier alinéa de l'article 121-3 du code pénal : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »
C'est une théorie que j'ai déjà soutenue devant le Sénat, mais je dois reconnaître que les esprits ne sont pas mûrs, ...
M. Raymond Courrière. Ce sont les juges qui ne sont pas mûrs !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... je dirai même au contraire, compte tenu d'une pénalisation croissante, notamment outre-Atlantique, dont les habitudes, bonnes ou mauvaises, finissent en général par nous contaminer.
M. Henri de Raincourt. Hélas !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. En l'état actuel des esprits, l'opinion réclame souvent la punition des responsables, fussent-ils involontaires, alors qu'il continue de choquer, comme cela choque tous les enfants, que quelqu'un soit puni alors qu'il « ne l'a pas fait exprès ».
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Chacun peut aussi faire le constat que, notamment du fait de la procédure, un procès pénal est, en la matière - hélas, ne généralisons pas ! - infiniment moins onéreux et plus rapide qu'un procès civil ou qu'un procès devant la juridiction administrative. M. le rapporteur l'indique dans son rapport, et c'est une constatation que chacun peut faire.
Je renonce donc, pour un temps, à proposer cette solution radicale qui consisterait à supprimer toutes les exceptions au principe.
Toutefois, à notre avis, dès que possible, il faudra donc reconnaître aux parquets, aux juges d'instruction et aux tribunaux le droit de constater que le citoyen le plus civique, le meilleur des pères de famille peut être en droit d'ignorer la loi.
J'ai déjà proposé, au nom du groupe socialiste - c'était le 17 juin dernier, lors de la première lecture du projet de loi sur la présomption d'innocence - de rédiger ainsi l'article 122-3 du code pénal, qui n'excuse aujourd'hui, de manière absolutoire, que la personne qui a commis sur le droit une erreur qu'elle n'était pas en mesure d'éviter : « N'est pas pénalement responsable la personne dont le tribunal estime qu'elle était en droit d'ignorer la loi ou le règlement qu'il lui serait reproché de ne pas avoir respecté. »
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les chiffres cités par le rapport Massot sont édifiants : comment continuer à prétendre que « nul n'est censé ignorer la loi » et condamner, en conséquence, des citoyens au pénal alors qu'il existait, en novembre 1999 - et nous en avons, nous, parlementaires, ajouté depuis - 10 029 infractions en vigueur, contre 8 805 - déjà tout aussi impossibles à connaître toutes - en 1989 ? Oui : 10 029 infractions !
Le même rapport Massot, à la page précédente, précise que, de 1984 à 1999, sont intervenus, avec incidence pénale, 278 lois et ordonnances et 665 décrets ! Et combien d'arrêtés ?
Même si la faute, l'imprudence, la négligence ou le manquement a été la cause directe du dommage, votre proposition n'empêchera pas que soit automatiquement condamné au pénal celui qui ne connaîtra pas, et auquel personne n'aura préalablement rappelé, l'existence de telle loi ou de tel règlement.
Ne pas tirer les leçons d'une telle situation, d'une telle inflation législative et réglementaire - peut-être inévitable - c'est pratiquer, passez-moi l'expression, la politique de l'autruche, ...
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... et vouloir ce que vous prétendez, ce que nous prétendons ne plus vouloir, c'est-à-dire la condamnation pénale de braves gens et, en premier lieu, parce qu'ils sont, si j'ose dire, en première ligne d'élus locaux.
Il ne devrait y avoir condamnation, en matière non intentionnelle, que lorsque la faute a été la cause directe du dommage, peut-être, et sûrement seulement lorsqu'il y a faute lourde ou grave.
M. Gérard Delfau. Bien sûr !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certain collègue, appartenant à la majorité sénatoriale et que je ne citerai pas parce qu'il s'agissait d'une conversation privée, m'indiquait hier qu'il l'a proposé lors de la discussion du projet de loi portant réforme du code pénal.
Qu'est-il répondu à cette suggestion ? Que la notion de faute lourde est étrangère au droit pénal comme au droit civil, qu'elle n'appartient qu'à la jurisprudence administrative. Cette réponse n'est en rien valable !
Si nous l'inscrivons dans la loi, et, en l'espèce, dans le code pénal, cette notion appartiendra au droit pénal et non au droit civil, dans lequel subisteront, bien sûr, les articles 1382 et suivants du code civil. En vérité, cette notion appartient déjà au bon sens, qui reste la chose la mieux partagée du monde.
En cas de plainte, les procureurs d'abord, éventuellement ensuite les juges d'instruction, plus éventuellement encore les juges du siège, sauront bien distinguer quand la faute sera légère ou, au contraire, quand elle sera lourde ou, si vous le préférez, grave ! Dans la plupart des cas, il n'y aura de la part de personne aucune hésitation.
En tout cas, cette distinction est, elle, de nature à éviter les nombreuses mises en examen, poursuites ou condamnations dont, précisément, les citoyens sont unanimes, ou quasiment - et nous avec eux - à ne plus vouloir.
Par amendement, nous vous proposerons ce pas décisif dans la solution d'un problème d'autant plus irritant qu'il est, c'est vrai, délicat.
J'ajouterai quelques mots encore, à l'intention de M. le rapporteur.
Je n'ai pas trouvé dans votre proposition de loi, ni dans les conclusions de la commission des lois que vous rapportez, la suppression des articles L. 223-34, L. 323-28, L. 4422-10-1 et L. 5211-8 du code général des collectivités territoriales, ni celle de l'article 11 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ni celle de l'article 14-1 de la loi du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires, ...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est pire que la tempête : il veut tout abattre ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... qui continuerait donc à prévoir un statut particulier pour les intéressés, alors que vous nous dites, et nous vous en savons gré, que vous voulez faire une seule loi pour tous.
Sans doute s'agit-il soit d'une erreur de ma part, soit d'un oubli de la vôtre,...
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est certainement la première hypothèse qui est la bonne !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... oubli que je vous inviterai alors à réparer.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je vous remercie de votre attention. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Gérard Larcher remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER,
vice-président

M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi relative à la responsabilité pénale des élus locaux. Chacun d'entre nous, au sein de cet hémicycle, se sent particulièrement concerné par ce sujet, qui préoccupe l'ensemble des responsables locaux.
Je tiens, tout d'abord, à rendre hommage à notre éminent collègue Pierre Fauchon, qui est le promoteur de ce texte. Le Sénat, représentant des collectivités locales, doit impérativement répondre à l'attente des élus, qui rencontrent de plus en plus de difficultés pour remplir leur mission, perdus qu'ils sont au milieu d'un flot de textes épars et abscons, comme vient de le rappeler avec talent notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
Le texte que nous examinons aujourd'hui répond à cette attente, même si c'est seulement pour partie. Ce sera le premier point de mon intervention.
Le processus de décentralisation a bouleversé les règles de compétence au niveau local. Les maires, exécutif des communes, ont vu leur rôle renforcé. A la suite du développement de leurs attributions, leur responsabilité pénale a été mise en cause de plus en plus souvent.
Les maires représentent l'exécutif, au sein des communes. Ils ont également un pouvoir propre, la police, garants qu'ils sont du maintien de l'ordre au sein de la localité. Leur responsabilité peut donc être encourue, d'une part, dans la gestion des biens et services, services qui peuvent être délégués, et, d'autre part, dans l'exercice des pouvoirs de police administrative. Pour résumer, cela fait beaucoup !
Les nombreuses condamnations pénales d'élus locaux pour des faits non intentionnels ont soulevé des interrogations concernant le fonctionnement de la démocratie locale.
Chacun garde à l'esprit le cas du maire tenu responsable pénalement de pollutions causées par une station d'épuration communale, alors que les moyens financiers dont il disposait lui interdisaient d'intervenir. Cas limite, me dira-t-on !
Mais il y a aussi l'exemple de ce maire condamné parce qu'un enfant de cinq ans, laissé sans surveillance, s'est suspendu aux barres de la cage de but d'un terrain de foot et a été grièvement blessé par leur chute. C'était dans mon département.
Il y a encore le cas de cette fédération de pêcheurs, qui, en désaccord avec la municipalité sur l'utilisation d'un plan d'eau, attaque au pénal le maire en profitant d'une erreur administrative mineure de sa part, dans l'affolement causé par l'inondation de la station d'épuration. C'était encore dans mon département.
Il y a eu pas moins de quatre cas similaires - je ne vais pas les énumérer tous - au cours de la seule année 1998 dans le département de l'Hérault. Le trouble a été si grand que nous avons dû assister longuement nos collègues, en prenant soin, bien évidemment, de ne pas intervenir de façon visible ni occulte dans le déroulement de la procédure. Notre assistance fut essentiellement morale et psychologique. Il n'empêche qu'à un certain moment les élus locaux de mon département ont frisé l'affolement général.
Bien sûr, j'exclus totalement des cas cités toute prise illégale d'intérêt au préjudice de la collectivité et tout manquement à la probité. Mais j'exclus aussi le cas du maire qui, connaissant l'instabilité des obus d'ornement d'un monument aux morts et sachant qu'un accident s'était déjà produit, a méconnu son obligation d'assurer la sécurité dans la commune et n'a pas fait sceller les obus dans le sol. Imprudence effectivement condamnable !
Mais entre ces cas de prévarication ou de prise en compte manifestement insuffisante des problèmes de sécurité pour les habitants et ceux que j'ai cités précédemment et que j'ai vécus indirectement, il y a une marge, il y a un terrain sur lequel nous, Parlement, devons trouver les voies pour éviter que les uns et les autres ne soient confondus dans le même opprobre.
D'ailleurs, je parle des maires, mais je pourrais évoquer aussi les directeurs d'école. Celui qui a été nommé, pour la première fois à ce poste, dans ma commune à la rentrée dernière est venu me voir il y a moins d'un mois pour m'annoncer que, très vraisemblablement, il allait demander à réintégrer le corps des enseignants parce que les charges qui lui incombaient étaient trop lourdes et que l'assistance que lui fournissait le ministère de l'éducation nationale était, à son gré, insuffisante. Il m'a rappelé que 10 000 postes de directeurs d'école étaient aujourd'hui vacants et il m'a indiqué que, comme pour les élus locaux, que je côtoie sans arrêt, l'on assistait, à l'heure actuelle, à une véritable désertion devant les responsabilités au sein du ministère de l'éducation nationale.
Je pourrais encore, comme vous, mes chers collègues, citer ces exemples de présidents d'association qui renoncent, ou qui deviennent fatalistes. D'ailleurs, nous qui sommes des élus locaux et qui siégeons sur ces travées, nous sommes par principe « fatalistes ». Sinon, nous n'aurions d'autre solution que de renoncer dans l'instant à notre mandat.
Donc, la situation exige des solutions.
Sans vouloir me lancer dans le débat qui est aujourd'hui ouvert sur ce sujet dans notre pays, je dirai de façon quelque peu lapidaire qu'entre l'autorité du juge et le pouvoir du législateur - je n'emploie pas, bien sûr, ces mots à la légère - il faudra bien, dans les années qui viennent, qu'un rééquilibrage se fasse. Et dans notre tradition, ce rééquilibrage ne peut se faire qu'au profit de ceux qui sont soumis à la sanction et qui ont la légitimité du suffrage universel.
J'ai conscience, en tenant ces propos - je ne suis pas juriste - que ces principes sont parfois mal acceptés par l'opinion et, surtout, qu'ils ne suffisent pas à toujours clarifier la situation ni à trouver les bons équilibres.
Ce qui est sûr, c'est qu'en aucun cas je ne demande que l'on édicte je ne sais quelle irresponsabilité civile, pénale ou administrative des élus. La loi que nous allons voter doit pouvoir s'appliquer à tous.
Je remercie une nouvelle fois notre collègue Pierre Fauchon d'avoir, par sa proposition de loi, lancé la discussion et Mme le garde des sceaux de nous avoir permis d'avancer vers des solutions.
Toutefois - ce sera ma deuxième réflexion - il semble que la loi du 13 mai 1996 offrait déjà une amorce de solution, le juge exerçant dorénavant un contrôle in concreto, en ne sanctionnant pas l'élu qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éviter le dommage. De fait - là aussi, l'intervention de notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt l'a montré -, les choses ont peu évolué depuis.
Face à cette situation, le législateur est appelé à modifier de nouveau la loi du 13 mai 1996, et c'est ce qui nous rassemble aujourd'hui.
L'environnement juridique est de plus en plus complexe, la décentralisation ayant entraîné une multiplication des charges au niveau local. Sous l'effet combiné des lois du 2 mars 1982 et des différentes lois de transfert de compétences qui se sont ensuivies, et, parallèlement, du désengagement financier de l'Etat, les élus sont de plus en plus souvent mis en cause devant le juge pour des faits qui ont lieu au sein de leur collectivité, sans qu'ils soient fautifs au sens de la faute pénale.
De ce point de vue, la proposition que vient de faire à cette tribune notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt d'introduire dans le droit pénal et dans le droit civil, comme cela existe en droit administratif, la notion de faute lourde ou grave...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas le droit civil !
M. Gérard Delfau. ... pourrait permettre de concilier ce qui paraît aujourd'hui difficilement conciliable entre le législateur et le juge.
Bref, la proposition de loi qui nous est présentée répond pour partie, mais heureusement, à notre attente, et les membres du groupe du RDSE la voteront.
Pourtant, elle ne permet pas de régler le problème au fond, demeurant à certains égards - que notre collègue Pierre Fauchon ne donne à ce mot aucun sens péjoratif ! - un palliatif.
Seul un statut digne de l'élu local, assorti d'une rémunération et d'une assistance juridique correspondant aux compétences qui lui sont attribuées, permettra une évolution salutaire de la situation des maires, des conseillers généraux, bref de tous ceux qui ont en charge une collectivité.
Le statut de l'élu - je ne pourrai en parler longuement aujourd'hui - doit être amélioré d'urgence.
Si la loi du 21 mars 1831, intervenant dans un autre type de société où les fonctions électives étaient implicitement réservées aux gens fortunés, posait le principe de gratuité, l'évolution des collectivités locales pousse inéluctablement à la reconnaissance d'une rémunération digne pour les maires. Et je ne parle même pas de la complexité de la tâche, Pierre Mauroy l'ayant fait avec beaucoup de talent et, en même temps, beaucoup d'émotion, tout à l'heure, en expliqaunt ce qu'il vivait en tant que maire de Lille !
Parallèlement - vous l'avez dit, madame la garde des sceaux - il faut réfléchir à la mise en place d'une assistance juridique adaptée pour les élus locaux.
Vous avez proposé, et c'est logique, que la question soit envisagée à l'échelon de l'intercommunalité. Pourquoi pas ? Encore que ce ne soit pas si facile, car il y a une telle complexité dans la matière concernée et une telle personnalisation des situations que l'intercommunalité aura peut-être quelque mal à assumer cette nouvelle compétence. En tout cas, vous avez vraiment eu raison, madame la garde des sceaux, de poser cette question, parce que - et là aussi je vais parler en tant que sénateur rencontrant, comme chacun de mes collègues, l'ensemble des maires du département - la situation actuelle est totalement inégalitaire. En effet, si l'on est à la tête d'une commune de quelque importance, on a les moyens de faire appel à des cabinets d'avocats spécialisés, et la population l'accepte. En revanche, si l'on est, comme c'est mon cas, maire d'une commune de moins de 4 000 habitants, et même si l'on se place à l'échelon de la communauté de communes, qui regroupe 20 000 habitants, il est inconcevable financièrement, mais peut-être plus encore psychologiquement, d'aller chercher des compétences qui, dans le monde d'aujourd'hui, se font, et c'est légitime, largement rémunérer.
Voilà quelques réflexions que je voulais soumettre au Sénat. J'ajouterai - il en a été peu question aujourd'hui - qu'il faut en revanche se garder, à mon sens, de chercher une solution du côté d'un renforcement du contrôle de légalité. Plus exactement, je ne voudrais pas que la capacité d'autonomie accordée par la loi de 1982 à la collectivité locale soit restreinte en raison du problème qui nous occupe aujourd'hui et nous incite à confier aux préfets un rôle qui n'est plus le leur et qui ne doit plus, à mon sens, être le leur. Mais il en a été peu question dans ce débat, je n'insiste donc pas.
Le Gouvernement s'est engagé à soumettre prochainement ce texte à l'Assemblée nationale. J'adresse une nouvelle fois mes remerciements à l'auteur de la proposition de loi, qui montre que le Sénat sait être, quand il le veut, une assemblée novatrice. Je remercie également le Gouvernement, qui accorde toute son attention à cette initiative parlementaire et qui s'est engagé à faire avancer cette question dans le débat. Même si nous ne faisons qu'un pas, ce sera un pas bienvenu. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le président de la commission et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures quarante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence deM. Christian Poncelet.)

de la discussion et adoption
des conclusions modifiées du rapport d'une commission

M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport (n° 177, 1999-2000) de M. Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur sa proposition de loi (n° 9 rectifié, 1999-2000) tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Murat.
M. Bernard Murat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, de « responsable mais pas coupable » à « coupable sans être responsable », la situation juridique des décideurs privés et publics français constitue un frein de plus en plus serré à l'esprit d'initiative. Cette réalité est en parfaite contradiction avec celle de nos partenaires internationaux.
Les décideurs publics, élus et fonctionnaires, ont pour mission la gestion de leur collectivité et l'appréhension des besoins futurs de leurs administrés.
Or, comme le rappelle mon collègue Michel Mercier, l'efficacité de leur action est freinée par des contraintes financières, normatives et sociétales. En ce qui concerne les contraintes sociétales, les décideurs publics doivent affronter la montée des problèmes sociaux et une pénalisation accrue des rapports sociaux.
La nuisance de ces contraintes sera plus ou moins forte en fonction de la taille de la collectivité locale en question. Comme vous le savez tous, mes chers collègues, les élus locaux prennent chaque jour de nombreuses décisions qui engagent leur responsabilité. Elles portent sur des domaines très variés tels que l'assainissement, la voirie, les finances, l'enseignement, le social. Dans les collectivités importantes, les maires ont des collaborateurs ayant pour mission de les conseiller dans ces choix, alors que, dans les petites communes, les maires sont souvent seuls face à leur devoir électif. Personne n'est là pour les seconder et les orienter, c'est-à-dire les aider dans l'exercice de leur mandat.
Même le concours du contrôle de légalité ne leur permet pas de se prémunir contre une éventuelle sanction. En effet, l'avis du contrôle de légalité n'est pas opposable devant les chambres régionales des comptes. Ainsi, un maire qui agit sous le contrôle de l'Etat peut tout à fait être sanctionné par l'Etat.
Je ne peux rester indifférent aux attentes des maires des petites communes. C'est pourquoi il me paraît essentiel et urgent que la loi préserve et favorise le rôle de prospective dévolu aux décideurs tant publics que privés.
Comme l'indiquait M. le Président de la République à Rennes au mois de décembre 1998, « une place plus grande doit être faite à la créativité et à l'innovation, non plus dans la suspicion, mais avec un parti pris de confiance ».
A mes yeux, la pénalisation excessive de la vie publique remet en cause notre démocratie.
Bien entendu, lorsque les décideurs publics commettent une erreur, causent un dommage, il est normal que leur responsabilité soit engagée.
Mais, madame le ministre, arrêtons de confondre responsabilité civile, responsabilité administrative et responsabilité pénale.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Bernard Murat. Le droit pénal a pour vocation la protection de la société dans son ensemble. Il n'a pas pour objet de réparer l'ensemble des dommages causés aux personnes.
La saisine des tribunaux répressifs ne doit pas être la première réponse à tout dysfonctionnement dans la gestion des collectivités. C'est d'abord de la compétence des juridictions administratives et civiles.
Je tiens à rendre hommage à la commission, à son président et à son rapporteur de ne pas avoir réservé un sort privilégié aux élus locaux. En effet, une gestion particulière de leur responsabilité pénale aurait posé des difficultés tant sur le plan psychologique que d'un point de vue constitutionnel.
Les chefs d'entreprise, les responsables d'association, les proviseurs, les fonctionnaires, les élus et l'ensemble de nos concitoyens dans leur vie quotidienne sont tous confrontés à des problèmes de même nature, qui méritent un examen identique.
Le texte que nous examinons aujourd'hui ne vise pas le cas où les décideurs publics ou privés ont violé la loi de manière délibérée ; mais il concerne les fautes d'imprudence et de négligence.
L'article 1er de la proposition de loi modifie l'article 121-3 du code pénal. Ainsi, lorsque la faute est la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne seront pénalement responsables qu'en cas de violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence.
Cette proposition de réforme de portée générale constitue, à mes yeux, une avancée incontestable. Elle devrait permettre de tenir compte de l'inflation et de l'instabililté des normes, qui contribuent à accroître l'insécurité juridique dans laquelle s'exerce la gestion des collectivités locales.
Elle devrait rassurer les élus, qui sont souvent obligés de prendre des décisions dans l'urgence, sans toujours pouvoir faire auparavant un bilan des avantages et des inconvénients pour leurs concitoyens. Ce fut par exemple le cas, nous le savons tous, lors des tempêtes qui ont frappé notre territoire et isolé pendant parfois plusieurs jours les élus et les citoyens de mon département, la Corrèze, des services de l'Etat.
Une telle réduction du champ des délits non intentionnels n'a pas pour objet d'exonérer les élus de leurs responsabilités. Cette réforme de portée générale vise seulement à mettre fin à l'assimilation complète de la faute pénale non intentionnelle et de la faute civile. En d'autres termes, elle permet de rendre au civil ce qui est au civil et au pénal ce qui est au pénal.
L'article 6 de la proposition de loi, quant à lui, permet une extension modérée de la responsabilité pénale des collectivités territoriales.
L'actuel article 121-2 du code pénal limite la responsabilité pénale des collectivités locales aux activités pouvant faire l'objet d'une délégation. Ainsi, les activités de police sont exclues.
Cette restriction n'est pas toujours bien comprise des maires, qui voient dans ce pouvoir de police la source principale des risques de mise en cause de leur responsabilité pénale. C'est pourquoi je suis favorable à cette réforme tant attendue par l'ensemble des élus locaux.
Outre ces mesures qui favorisent une amélioration considérable de la condition juridique des décideurs tant privés que publics, il me semble que nous devons faire oeuvre de prospective, être force de proposition.
Mes chers collègues, nous devons n'avoir qu'une volonté : offrir à nos concitoyens un système juridique toujours plus rapide, plus efficace et plus équitable. Le Sénat, par la qualité de ses travaux, y a déjà très largement contribué. Mais nous devons aller encore plus loin dans le renforcement de la sécurité juridique de l'action locale.
A cet effet, je vous propose trois pistes de réflexion.
Premièrement, comme le préconise la mission d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation, nous pourrions « déclasser » certaines sanctions pénales pour leur préférer d'autres formes de sanctions, ou pour s'en tenir à des réparations civiles.
Deuxièmement, nous pourrions prévoir l'orientation obligatoire et préalable vers la personne morale des actions pénales dirigées contre un agent de celle-ci pour des fautes non intentionnelles commises dans l'exercice de ses fonctions. Bien entendu, la mise en examen de l'agent doit demeurer possible si l'instruction révèle qu'il a commis une faute grave.
Troisièmement, nous pourrions mettre en place une consultation de la juridiction administrative par le parquet, préalablement à la mise en examen, à propos du caractère personnel ou non de la faute susceptible d'être reprochée. Bien entendu, cet avis ne doit lier en aucune façon le procureur ou le juge d'instruction.
Tels sont les quelques éléments que je souhaitais évoquer lors de l'examen de cette proposition de loi par notre Haute Assemblée.
Nous devons être attentifs à l'évolution de la décentralisation et des conditions d'exercice des mandats politiques. Des solutions en matière de moyens humains et financiers, de responsabilité et de statut doivent rapidement être trouvées.
Aujourd'hui, nous posons la première pierre de cette réforme. Je souhaite que cette construction soit rapidement achevée. Sans cela, les principes fondateurs de la décentralisation française deviendraient lettre morte et l'on assisterait à une professionnalisation des mandats politiques, tant de maux qui, à mes yeux, nuiraient à la démocratie ainsi qu'à la proximité entre les administrations décentralisées et nos concitoyens.
Je voterai ce texte équilibré, qui introduit une réflexion sur les véritables réformes de la justice qu'attendent avec impatience nos concitoyens et que nous souhaitons tous. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer l'initiative du Sénat, plus particulièrement de son président, M. Poncelet, de se saisir du problème de la pénalisation de notre vie publique. D'ailleurs, monsieur le président, vous n'avez pas attendu aujourd'hui pour ce faire, puisque vous avez déjà sillonné toute la France.
La proposition de loi est un premier pas dans la bonne direction qui correspond à ce qu'attendent les élus.
Monsieur Fauchon, merci de l'avoir déposée !
M. Pierre Fauchon rapporteur. Monsieur Vasselle, merci de me remercier !
M. Alain Vasselle. La pénalisation de notre vie publique entraîne inévitablement de graves dysfonctionnements au sein de notre démocratie locale. En effet, devant le risque pénal encouru, l'élu peut céder soit au découragement, et ne plus se représenter, soit à la tentation de l'immobilisme, entraînant ainsi une paralysie de la gestion locale. En adoptant une position d'immobilisme, il se place aussi, parfois, dans une situation de responsabilité pénale.
Grâce à l'initiative prise aujourd'hui, le Sénat, plus que jamais, peut jouer le rôle de représentant des collectivités territoriales que l'article 23 de la Constitution lui confie. J'en profite, à cet égard, pour saluer notre collègue Pierre Fauchon, qui, grâce à la proposition de loi que nous examinons, nous permet de reprendre une nouvelle fois l'initiative sur ce sujet après l'adoption des amendements que nous avions déposés avec plusieurs de nos collègues lors de l'examen du texte de loi sur la présomption d'innocence.
La démocratie locale est représentée par quelque 510 000 élus locaux, qui attendent tous aujourd'hui que nous apportions des solutions aux difficultés qu'ils connaissent dans leur pratique quotidienne. Tâchons de ne pas les décevoir. Ils attendent une initiative forte de notre part. Une « réformette » serait considérée par la plupart d'entre eux comme un acte de défiance à leur égard. L'heure n'est plus à l'établissement d'un diagnostic ; elle est à l'action légistative.
Le diagnostic a déjà été dressé l'année dernière, à l'occasion de la discussion de la question orale avec débat posée par notre collègue Hubert Haenel, le 28 avril 1999, et, plus récemment encore, dans le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, dit rapport Massot, qui vous a été remis, madame le garde des sceaux, le 16 décembre 1999, ainsi que dans celui de notre collègue Pierre Fauchon.
Les causes de l'accroissement des mises en examen des élus locaux, sont clairement identifiées : la multiplication des textes législatifs et réglementaires, celle des directives et règlements européens, qu'il est difficile de connaître, et donc de maîtriser, même si nul n'est censé ignorer la loi ; le manque de moyens matériels dont disposent les petites communes pour s'entourer d'une assistance juridique suffisante - c'est souvent le cas des maires des communes rurales ; la nécessité, pour les maires des petites communes en particulier, ou les conseillers généraux ou régionaux d'exercer parallèlement une activité professionnelle, en l'absence d'un véritable statut de l'élu, alors que les lois de décentralisation ont accru les compétences des collectivités territoriales ; enfin, l'absence de distinction, par le juge pénal entre la faute de service et la faute personnelle lors de l'examen de l'infraction commise, ce qui facilite l'incrimination pénale, et le manque de connaissance pour le juge pénal des contraintes qui pèsent sur les élus.
C'est d'ailleurs sur la base de ce dernier constat, et pour les motifs que vous connaissez tous, liés à l'actualité de mon département et à l'exploitation médiatique qui a été faite des mises en examen de seize maires de petites communes de l'Oise, que j'ai pris l'initiative de déposer une proposition de loi relative à la reconnaissance de la spécificité des responsabilités des élus locaux et à la sauvegarde de la démocratie locale.
Cette proposition de loi, parfois critiquée, dont l'objet était, dans un premier temps, d'émettre un signal d'alarme, prévoit la saisine immédiate du Conseil d'Etat lorsqu'un élu est susceptible d'être mis en cause pénalement, afin qu'il désigne dans un très bref délai - soixante-douze heures - un tribunal administratif chargé de déterminer si ledit élu a commis ou non une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.
Si le tribunal conclut à l'existence d'une faute détachable, l'élu pourrait être mis en cause pénalement, comme n'importe quel citoyen. Il ne bénéficierait alors d'aucun privilège spécifique.
J'ai bien conscience de la controverse qui a été provoquée par cette proposition. Elle bouleverse quelques idées reçues, mais présente à mon sens l'avantage d'éviter les mises en examen injustifiées. Ainsi la faute personnelle peut-elle être définie par référence à la jurisprudence administrative d'une manière telle que le juge aura du mal à s'en détourner. Elle pose la question, à mon sens essentielle, de l'articulation de la responsabilité entre personnes morales et personnes physiques.
Permettez-moi de vous rappeler au passage que l'essentiel des mesures proposées dans mon texte ont été adoptées par le Sénat, avec l'aval de la commission des lois, lors de l'examen du projet de loi sur la présomption d'innocence. Cependant, il est vrai que cela n'a pas empêché certains juristes de considérer que cette disposition constituait un acte de défiance vis-à-vis du juge pénal dans l'application des concepts administratifs.
Les mêmes juristes estiment que ma proposition de loi a un caractère anticonstitutionnel. Mais la loi du 13 mai 1996, aux ambitions pourtant limitées, n'instaure-t-elle pas déjà, en pratique, une rupture d'égalité entre les citoyens au profit des élus locaux ? Je vous pose la question.
Permettez-moi de vous rappeler que le Conseil constitutionnel, en consacrant le principe d'égalité, en a d'abord précisé les exigences. Il énonce, pour s'en tenir à la formule la plus usuelle, que « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ».
Je note par ailleurs qu'une mesure pas si éloignée, dans l'esprit, de celle que j'ai suggérée vient d'être proposée par l'Association des maires de France en vue d'apporter un frein aux mises en examen souvent prématurées et injustifiées des élus locaux. En quoi consiste-t-elle ?
Comme l'a rappelé notre collègue Bernard Murat, cette proposition consiste en la consultation de la juridiction administrative par le parquet, préalablement à la mise en examen, à propos du caractère personnel ou non de la faute susceptible d'être reprochée. Elle tend à ce que cet avis formulé ne lie en aucune façon le procureur ou le juge d'instruction. D'après l'AMF, cette mesure aurait le mérite d'éviter une mise en examen sur deux et elle serait efficace, car l'ordre administratif apparaît le mieux à même d'évaluer de manière équilibrée les contraintes et les difficultés qui pèsent sur les élus locaux.
Le texte que nous examinons aujourd'hui, quant à lui, tend à préciser la définition des délits non intentionnels. Certes, il y avait lieu d'améliorer cette définition, car finalement le véritable intérêt de la loi du 13 mai 1996 aura été de pousser les juges à renforcer la motivation de leurs décisions et d'apaiser, seulement pour un temps, l'inquiétude des élus locaux. Je dis : « pour un temps seulement », car on s'est très vite rendu compte des effets pervers induits par cette législation.
Le système est complexe. En effet, selon le nouveau code pénal, il n'y a pas de crime et délit sans intention de le commettre. La culpabilité non intentionnelle est une exception au principe général précité. Ainsi, la rédaction du troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal renverse la charge de la preuve. C'est la personne poursuivie qui doit faire la démonstration de l'accomplissement de diligences normales. Dans le même temps, la partie poursuivante doit établir la défaillance du prévenu dans l'accomplissement de ses diligences. Tout cela est bien confus.
Le rapport Massot souligne que le défaut de diligence dont il s'agit est un élément constitutif du délit et qu'il conviendrait donc de considérer que la preuve en incombe à l'accusation.
Pourquoi ne pas revenir - il s'agit toujours du rapport Massot à une responsabilité intentionnelle ? C'est une piste à explorer, parmi d'autres. Beaucoup se posent la question de savoir si nous voulons aller vers une société contentieuse à l'américaine. Dans cette hypothèse, ne faudrait-il pas explorer une autre piste, celle de la suppression du juge d'instruction ? Je me demande même si M. Balladur n'avait pas évoqué cette solution dans le cadre du débat à l'Assemblée nationale sur ce point.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le rapport de Mme Delmas-Marty ! Si !
M. Alain Vasselle. Que nous propose, quant à elle, la commission des lois ? Elle nous propose, dans l'article 1er, d'établir une distinction entre les fautes directes et indirectes causes d'un dommage. Pour apprécier la pertinence d'une telle proposition, il me paraît utile de vous inviter à prendre en considération certains éléments de réflexion du rapport Massot. Permettez-moi de le citer de nouveau : « Les tribunaux répressifs ont opté pour la théorie de l'équivalence des conditions selon laquelle il suffit que le fait illicite ait concouru à la réalisation du dommage pour qu'il soit possible de mettre en jeu la responsabilité de son auteur. »
Ainsi, la théorie de l'équivalence des conditions ne tient pas compte du caractère direct ou indirect de la faute. Mettre en rapport la nature du lien de causalité et le type de faute, alors même qu'il n'existe pas de critère précis permettant de qualifier un lien de causalité comme étant direct ou indirect, reviendrait encore à donner un blanc-seing au juge répressif dans le détermination des éléments de l'infraction.
Le texte de la commission ne répond donc pas, me semble-t-il, aux difficultés qui provoquent le désarroi des élus. Si nous voulons véritablement aboutir à une amélioration de la définition des délits non intentionnels et éviter que le présent texte ne devienne un coup d'épée dans l'eau, il convient d'infléchir une théorie prétorienne en obligeant le juge à adopter désormais une appréciation différente du lien de causalité. Dans ce cas, pourquoi pas celle qui est mise en oeuvre par la juridiction administrative ? Je veux parler de la théorie de la causalité adéquate, c'est-à-dire que tous les événements qui concourent à la réalisation du dommage ne constituent pas sa cause.
L'accroissement de nombre des mises en examen des décideurs publics est révélatrice, très souvent, d'une mauvaise orientation des victimes dans le choix de la juridiction compétente. Le rapport Massot le rappelle très clairement : « Le juge naturel de la responsabilité de l'administration est le juge administratif, compétent pour condamner les personnes publiques à la réparation des dommages subis par les victimes des actes des agents publics dans l'exercice de leurs fonctions. Le recours au juge pénal ne permet pas d'obtenir une meilleure indemnisation puisque, dans la quasi-totalité des cas, le comportement reproché à l'agent public ou à l'élu doit être regardé comme une faute de service, dont la réparation relève du juge administratif, ce qui restreint la compétence du juge pénal et lui retire la connaissance de l'action civile. »
Dans la droite ligne des propositions du rapport Massot, j'ai déposé un amendement dont l'objet est d'infléchir une jurisprudence du tribunal des conflits du 6 octobre 1989 à l'opportunité, je le reconnais, contestable. En effet, il résulte des dispositions de l'ordonnance du 1er juin 1828 que le conflit ne peut jamais être élevé sur l'action publique en matière correctionnelle, exception faite des deux cas prévus par ladite ordonnance sur lesquels je ne reviendrai pas. Une jurisprudence séculaire permettait également d'élever le conflit sur l'action civile à tout moment devant le juge d'instruction. C'est sur cette jurisprudence que le tribunal des conflits est revenu en renforçant le pouvoir du juge pénal. Cette attitude révèle une défiance injustifiée et obsolète vis-à-vis, d'une part, de l'autorité administrative, d'autre part, du juge administratif.
Nous sommes désormais très éloignés de « la caste des intouchables », pour reprendre une expression doctrinale des années cinquante, au cours desquelles, en effet, les agents du gouvernement, au sens large, s'ils venaient à commettre des infractions dans le cadre de leur service, étaient parfois placés au-dessus de la loi pénale puisque le ministère public ne les poursuivait pas d'une manière systématique.
Aujourd'hui, la réalité est tout autre, et c'est faire peu de cas de l'ordre administratif et de ses magistrats que de les soupçonner d'une indulgence coupable. Il faudrait à mon sens revenir à un peu plus de réalisme !
Dans la même logique, c'est-à-dire celle d'une amélioration des règles de procédure pénale, il est utile de rappeler que la responsabilité du décideur public peut être engagée devant la juridiction judiciaire si la faute commise est entièrement détachable du service.
Si la faute personnelle a été commise à l'occasion du service ou n'est pas dépourvue de lien avec celui-ci, la victime du dommage a le choix entre l'assignation de l'agent devant la juridiction judiciaire et l'introduction d'une action en réparation à l'encontre de la collectivité qui l'emploie.
Enfin, si les faits reprochés n'ont pas le caractère d'une faute personnelle mais peuvent constituer une faute de service, seule la responsabilité de la personne publique peut être mise en cause et, dans ce cas, sauf exception tenant à d'autres règles de compétence, la juridiction judiciaire devra décliner sa compétence pour toute action civile engagée à l'encontre de l'agent public.
Ces règles sont oubliées une fois sur deux par le juge pénal et les avocats. Il serait peut-être utile d'affirmer par voie législative que la constitution de partie civile ne peut être déclarée recevable que dans la stricte mesure où le préjudice invoqué est de nature à être indemnisé par le juge pénal ; de nombreuses mises en examen seraient ainsi évitées puisque, nécessairement, on en reviendrait au filtre de la faute personnelle et de la faute de service.
La deuxième piste que la commission des lois nous invite à suivre aujourd'hui s'inscrit dans une réflexion déjà entreprise sur l'extension du champ d'application de la responsabilité pénale de la personne morale. En lisant l'article 6 de la proposition de loi, je crains bien que la solution a minima qui est proposée ne nous laisse encore dans la situation la plus inconfortable, c'est-à-dire au milieu du gué.
En effet, dans l'état actuel du droit, l'irresponsabilité partielle dont bénéficient les collectivités par la limitation de leur responsabilité aux infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public peut paraître incohérente au regard des règles applicables à ses agents personnes physiques. Cette limitation exclut notamment toute condamnation de la collectivité locale liée à l'exercice des pouvoirs de police administrative. Or, c'est dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs de police que de nombreux élus locaux sont mis en examen. La réforme ne devrait-elle pas commencer par là ? Toute solution tendant à une meilleure articulation entre la responsabilité pénale des personnes morales et celle des personnes physiques doit, à mon sens, avoir pour corollaire une remise en cause du champ d'application de cette responsabilité concernant les collectivités territoriales. Cette remise en cause, le texte de la commission ne l'opère, selon moi, que trop partiellement. Il est vrai que le sujet est controversé au sein même de la doctrine.
Ne peut-on proposer qu'en cas d'infraction due à une imprudence ou à une négligence commise par l'élu local la responsabilité pénale de la personne morale soit engagée sans que soit établie la responsabilité pénale de la personne physique ? Les responsabilités pourraient ne pas être cumulatives dans tous les cas.
A ce stade de notre réflexion, il est néanmoins important d'indiquer que l'élargissement du champ d'application de la responsabilité pénale de la personne morale n'est pas exempt des conséquences financières qui pourraient se révéler très lourdes pour les petites communes. De ces conséquences, il n'est pas fait suffisamment mention, et notre réflexion n'est pas, semble-t-il, arrivée à maturation sur ce point.
Dans la même logique et dans le droit-fil de la proposition de loi déposée par M. Fauchon et des propositions du rapport Massot, il serait opportun de prévoir que la collectivité territoriale concernée ait l'obligation d'assurer la protection de ses élus ou de ses anciens élus en cas de poursuites pénales pour des faits liés à l'exercice de leurs mandats. J'ai déposé des amendements allant dans ce sens. Il est bien évident que les collectivités à qui cette obligation peut poser le plus de problèmes, notamment d'ordre financier, sont les petites communes. C'est pourquoi il semblerait pertinent d'obliger celles-ci à s'assurer.
Par ailleurs, à la lecture des propositions de la commission, on peut regretter l'absence de dispositions concernant le code des marchés publics. C'est regrettable en effet, car de nombreuses mises en examen ont lieu pour délit de favoritisme ; c'est le cas dans mon département, notamment. Il ne suffit donc pas, à mon sens, de dénoncer de façon liminaire la portée de cette infraction. Encore faut-il aller plus loin !
Parmi les pistes proposées, le rapport Massot envisage l'éventualité d'un déclassement en contraventions des manquements relatifs à des marchés publics restés en deçà d'un seuil qui reste à déterminer. Cette mesure comporterait, certes, des avantages qui sont rappelés dans le rapport du groupe d'études précité, mais elle comporte un inconvénient soulevé par notre collègue M. Delevoye. S'il est en effet inéquitable de frapper d'une amende de 2 500 francs un élu dont les services ont commis, en toute bonne foi, une erreur de procédure, il ne faut pas perdre de vue que, aux termes des dispositions du code pénal, le plafond des contraventions de 5e classe est fixé à 10 000 francs et à 20 000 francs en cas de récidive. De plus, les amendes pour contraventions se cumulent !
Plus pertinente serait la piste du renforcement de la logique du délit de favoritisme. Le groupe d'études présidé par M. Massot propose la fixation d'un seuil financier qui permettrait d'opérer une distinction entre les manquements lourdement ou légèrement réprimés. Mais il s'arrête là et ne fait aucune suggestion quant à la modification du code des marchés publics, dont la lisibilité pourrait être sensiblement améliorée. Quand aurons-nous le courage politique d'entreprendre cette réforme ? Peut-être, à ce propos, le Gouvernement va-t-il nous préciser le calendrier d'examen du texte qu'il prépare.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que notre collègue Michel Charasse avait déposé, lors de la discussion du projet de loi sur la présomption d'innocence, plusieurs amendements concernant le délit de favoritisme et les procédures de marchés publics. Nous en avons approuvé certains.
Il faut enfin s'interroger sur le sens de cette pénalisation accrue de notre vie publique, car comme d'aucuns le répètent à l'envi : « Chassez le pénal, il revient au galop. » Ne faut-il pas y voir les conséquences du caractère vieilli de notre dualisme juridictionnel ? Les réponses que nous allons tenter d'apporter ne vaudront que si, parallèlement, nous avons le courage de créer un véritable statut de l'élu. Ce n'est qu'à ce prix que la démocratie locale, terreau de la vie politique tout entière, sera confortée. A ce niveau, nous en restons toujours aux effets d'annonces. Les élus sont comme soeur Anne, ils ne voient toujours rien venir concernant leur statut.
L'inflation normative et notamment pénale a développé un sentiment de crainte chez l'élu, assorti d'un manque de confiance dans la décentralisation. J'en veux pour preuve le retour à une demande de contrôle de légalité plus efficace. Or cela n'est pas acceptable.
Il convient de répondre le plus rapidement possible aux attentes légitimes des décideurs publics, car 2001, c'est l'an prochain. Les craintes doivent être apaisées pour susciter des candidatures de qualité dignes d'une véritable démocratie locale. Le texte qui nous est proposé aujourd'hui est une intéressante contribution au débat tout comme le rapport que vient de publier la mission commune présidée par notre collègue Delevoye. Mais elle doit être complétée. Je proposerai tout à l'heure des amendements pour que la démocratie locale reste une réalité dans ce pays. Le Sénat, en tant que représentant des collectivités territoriales, se doit d'y participer.
Mes chers collègues, si nous n'y prenons garde, c'est la base de notre démocratie qui sera en danger. Avez-vous conscience qu'aujourd'hui un maire sur deux, dans de nombreux secteurs ruraux - je l'ai testé dans mon propre département - a pratiquement décidé de ne pas se représenter ? L'avenir de nos communes est en danger. Il y aura lieu de légiférer bien au-delà de cette simple proposition de loi.
C'est bien une réforme globale de la justice qui doit être engagée, madame le garde des sceaux, comprenant en son sein un volet important sur la responsabilité pénale des décideurs publics. Comme l'a récemment déclaré dans un quotidien M. René Monory : « Un Grenelle de la justice s'imposera. »
Telles sont les réflexions que m'a inspirées la proposition de loi Fauchon.
Mon cher collègue, ne croyez pas, de mes propos, que je sous-estime la qualité de votre initiative. Je la mesure, mais je pense que ce n'est qu'un premier pas dans la direction dans laquelle nous devons nous engager, et, monsieur le président, je compte sur vous pour que nous allions plus loin. Je souhaite que vous soyez suffisamment convaincant auprès du Gouvernement pour que cette réforme soit engagée jusqu'au point souhaité par l'ensemble des élus de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains Indépendants.)
M. le président. Monsieur Vasselle, légiférer est une tâche toujours inachevée. Par conséquent, nous allons poursuivre.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois encore le Sénat, dans sa sagesse, sa constance, sa détermination, et toujours dans son rôle, à l'instigation de son président Christian Poncelet, qui est intervenu notamment à l'occasion des états généraux qu'il a organisés, tente de régler la complexe et délicate question de la pénalisation excessive de la responsabilité des décideurs publics et, plus généralement, de l'ensemble des décideurs.
Déjà, en 1995 et 1996, des travaux conduits sous l'égide de la commission des lois avaient abouti au rapport de notre collègue Pierre Fauchon en date du 18 octobre 1995, puis à l'adoption de la loi du 13 mai 1996 portant modification de l'article 121-3 du code pénal, mesure dans laquelle nous avions placé beaucoup trop d'espoir.
Ces dispositions prévoyaient qu'il y avait délit en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, sauf si l'auteur des faits avait accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions, de ses fonctions, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Il s'agissait, en fait, d'inviter le juge à apprécier in concreto la faute d'imprudence ou de négligence.
Si la plupart des jugements et arrêts qui s'ensuivirent furent plus et mieux motivés, la réforme n'a pas eu les conséquences escomptées. Mais il faut, certes, du temps pour mesurer les effets d'une telle réforme !
Le caractère interprétatif de la réforme de 1996 conduisit tel ou tel d'entre nous - souvenez-vous des initiatives de MM. Vasselle et Charasse - à l'occasion de l'examen de textes relatifs à la procédure pénale, à proposer d'autres solutions plus radicales. Ce fut le cas, notamment, à l'occasion de l'examen des articles du projet de loi visant à renforcer la présomption d'innocence.
Sous la houlette du président Poncelet, des réflexions furent menées au sein de notre assemblée, sur le terrain, au cours de déplacements en province, lors de colloques ou en commission.
Oserai-je rappeler que, lors de la discussion de ma question orale avec débat, le 28 avril 1999, question centrée sur les maires et la loi, les maires et leur contrôleur, les maires et leur juge, nous eûmes l'occasion, madame la ministre, de faire avec vous un point complet, très intéressant, sur l'ensemble de ces questions et sur les difficultés soulevées, sans pour autant, bien entendu, les résoudre.
Ce débat eut au moins l'avantage de nous permettre de dresser un inventaire. Répondant à ma suggestion de mettre en place un groupe de travail pluridisciplinaire aux fins d'établir un état des lieux et de proposer des solutions, vous annonciez la création d'une commission, dont la présidence fut confiée au conseiller d'Etat Jean Massot, président de section, et dont, entre autres, notre collègue Jean-Paul Delevoye fut membre, commission composée de personnes particulièrement qualifiées dans un certain nombre de domaines.
Entre-temps, notre collègue Pierre Fauchon, fort opportunément, déposait la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte, à mes yeux, a le grand mérite, d'une part, de rappeler le principe selon lequel il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre et, d'autre part, de dénoncer la confusion des fautes civiles et pénales, qui a trop souvent conduit le juge pénal à s'ingénier à tout prix à détecter une faute pénale pour permettre aux victimes d'obtenir une réparation civile. La voie pénale, on le sait bien, est pour beaucoup la voie royale.
Le texte de notre collègue Pierre Fauchon, grâce à une meilleure définition des délits non intentionnels, devrait mettre fin à une mise en jeu quasi systématique de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels sans porter atteinte - il faut le dire et le répéter - aux droits des victimes, ni bien sûr instaurer une responsabilité à deux vitesses : celle qui serait applicable au commun des mortels et celle qui s'appliquerait à des privilégiés.
Voilà ce qui nous est proposé. J'y souscris sans réserve et je salue comme il se doit à la fois l'initiative de notre collègue Pierre Fauchon et la qualité du travail accompli.
Cependant, ce texte ne deviendra loi que si l'Assemblée nationale en est rapidement saisie, ce qui doit être chose faite, d'après ce qui nous a été promis. Son adoption dépendra, bien entendu, de la bonne volonté des uns et des autres.
Admettons qu'il en aille ainsi. Resteront en suspens, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, et sans solution - parce que tel n'est pas l'objet de la proposition de loi de notre collègue Pierre Fauchon - non seulement toute une série de questions abordées lors de la discussion de la question orale avec débat du 28 avril 1999, mais aussi certaines des propositions du rapport Massot que je vais évoquer brièvement. Je sais, madame le garde des sceaux, que, ce matin, vous avez abordé le sujet, mais il n'était pas question pour vous de reprendre point par point le rapport en nous indiquant ce qui allait réellement prendre corps et dans quel délai.
Tout d'abord, enrayer la création de nouvelles infractions sanctionnées pénalement me paraît fondamental. Le rapport Massot préconise un moratoire et un toilettage des textes. Je crois qu'il faudra le faire rapidement.
Ramener les manquements les moins graves au code des marchés publics au niveau de la contravention : cette idée me paraît excellente et nous devrions pouvoir la traduire assez rapidement dans un texte.
Limiter les recours abusifs au juge pénal en introduisant, dit M. Massot, des conditions plus strictes de recevabilité des plaintes avec constitution de partie civile.
A terme, octroyer au juge d'instruction le pouvoir de se prononcer sur la recevabilité des plaintes en exigeant de la personne qui se prétend lésée qu'elle établisse l'existence de l'infraction et la réalité d'un préjudice, sans pour autant limiter le droit des associations à se constituer partie civile, en réaffirmant ou en renforçant les sanctions à l'encontre des auteurs de plaintes abusives. C'est important. Certes, il existe déjà un dispositif législatif, mais il est inappliqué.
Cela suppose le rappel systématique aux personnes qui déposent une plainte en se constituant partie civile des risques qu'elles encourent.
Cela suppose aussi d'inciter les parquets à utiliser davantage l'article 91 du code de procédure pénale.
Cela suppose en outre de favoriser le droit de réponse de la personne dont la mise en examen est mentionnée dans un organe de presse.
Une autre rubrique concerne le fait de rendre la mise en examen moins systématique et moins traumatisante. Certains amendements de bon sens du Sénat adoptés à l'occasion du texte en navette sur la présomption d'innocence devraient, sauf à être rejetés par l'Assemblée nationale, largement y contribuer.
Il conviendrait également de favoriser les modes de règlement des conflits autres que pénaux.
Sous la rubrique « Mieux armer juridiquement les décideurs publics », le groupe de travail propose toute une série de mesures assez opérationnelles.
Des propositions applicables à l'ensemble des décideurs publics visent à préciser les compétences, les moyens et les responsabilités impartis à chaque agent en généralisant la pratique des fiches de poste, par exemple, à améliorer la formation des élus et agents publics, à favoriser la mobilité des agents entre fonction publique et magistrature, à généraliser aux élus la protection que l'administration doit déjà à ses agents mis en cause pénalement, à exiger un bilan écrit de faisabilité avant l'introduction de toute nouvelle norme technique.
D'autres propositions sont propres aux collectivités locales. Elles tendent à développer les capacités d'expertise juridique de ces collectivités, à renforcer la qualité du contrôle de légalité et ses moyens, sachant que beaucoup de mises en cause pénales, dues à un comportement et non à un acte, ne dépendent pas du contrôle de légalité, fût-il le plus efficace, et que l'absence d'observations de la part du contrôle de légalité ne vaudra jamais - il ne faut pas rêver ! - garantie d'absence d'infraction pénale.
Nombre de ces propositions pourraient être appliquées sans trop de difficultés, mais elles supposent une approche à la fois interministérielle et interdisciplinaire, vous l'avez indiqué ce matin, madame le garde des sceaux.
Restera la question, très importante à mes yeux, des relations entre le parquet et les élus locaux.
Voilà quelque temps, je vous avais demandé si vous envisagiez, dans le cadre des instructions générales aux procureurs généraux et procureurs, d'inviter ceux-ci à prendre des initiatives, s'inspirant d'ailleurs d'excellentes pratiques initiées ici ou là, pour qu'un dialogue permanent, facilité et formalisé, s'instaure entre les procureurs, les maires et les associations de maires.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Hubert Haenel. Ne pourriez-vous pas, par exemple, faire recenser ce qui se fait déjà par l'inspection générale des services judiciaires, afin d'inciter ceux qui manquent parfois d'imagination à s'inspirer des pratiques en vigueur ? Quelques procureurs ont déjà pris des initiatives, et ce à la satisfaction des élus locaux de base.
Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple concret à partir de la réponse à une question écrite que vous avez fait paraître ces jours-ci au Journal officiel.
Aux termes des dispositions de l'article 61 du code de procédure pénale, les maires et adjoints sont officiers de police judiciaire. Le procureur de la République pourrait utilement, sur le fondement de ce texte, engager un dialogue avec les maires et adjoints du ressort de son parquet sur des thèmes tels que : « Vous êtes officier de police judiciaire ; qu'est-ce que cela signifie ? Quels sont vos droits et quelles sont vos obligations ? »
Me répondant à une question écrite tendant à vous faire préciser si les dispositions de ce fameux article 40 du code de procédure pénale qui enjoignent à certaines autorités de dénoncer au procureur de la République les faits susceptibles de constituer un crime ou un délit dont elles ont connaissance dans l'exercice de leurs fonctions, s'appliquent aux maires adjoints, vous écrivez fort justement ceci :
« Le garde des sceaux, ministre de la justice, porte à la connaissance de l'honorable parlementaire que les dispositions de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale relatives à l'obligation pour " toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire" d'aviser sans délai le procureur de la République de tout crime ou délit dont ils ont eu connaissance sont de portée générale et ont vocation à s'appliquer aux élus locaux, qui sont membres, par définition, d'assemblées électives, c'est-à-dire "d'autorités constituées", à la condition que la connaissance de l'infraction ait été acquise dans l'exercice de leurs fonctions.

« L'article précité couvre un domaine plus large que d'autres obligations légales qui imposent un devoir de révélation à certaines autorités...
« Les élus locaux comme les fonctionnaires sont ainsi soumis à des devoirs plus étendus qu'un citoyen ordinaire puisque leur fonction impose de servir l'intérêt général dont l'Etat est le garant. »
Vous indiquez fort justement en conclusion :
« En toute hypothèse, la capacité même de l'Etat à assurer la protection et la sécurité des personnes suppose que le ministère public, à qui incombe la charge d'exercer les poursuites pénales, au nom de la société, à chaque fois que l'exige l'intérêt général, soit précisément informé des faits délictueux ou criminels dont les personnes sur qui pèse une stricte obligation de révélation ont pu avoir connaissance. »
Voilà rappelée une obligation dont les maires n'ont pas connaissance. Faites un sondage chez les 36 000 maires de France : ils ignorent totalement qu'ils sont tenus, lorsqu'ils ont eu connaissance, dans l'exercice de leurs fonctions ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, d'un crime ou d'un délit, d'en aviser le procureur de la République. Bien entendu, cela ne vaut pas réellement pour les maires des grandes villes. Cela ne peut concerner en pratique que les maires des communes petites et moyennes, qui sont effectivement susceptibles d'avoir connaissance de tels faits, se produisant par exemple dans une école.
L'application stricte de l'article 40, alinéa 2, du code de procédure pénale nous confère donc une responsabilité dont l'importance n'échappe à personne. Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que la nature et la portée de telles obligations mériteraient que des relations s'instaurent au sein de chaque parquet avec les élus concernés ; des procureurs s'y emploient déjà, mais ils sont trop peu nombreux. Je suis persuadé que cela contribuerait à mettre fin à certains dialogues de sourds, à dissiper la méfiance ambiante.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, comme toujours, il y a le texte et le contexte. En l'occurrence, le contexte - que je viens de rappeler - mérite, lui aussi, des mesures tout aussi importantes qu'une modification législative, dont nous savons par expérience que ce sont en définitive les juridictions qui en détermineront la portée réelle.
Certes, un grand pas sera franchi avec l'adoption définitive de ce texte, mais nous ne serons pas au bout du chemin !
Sous le bénéfice de ces observations, le groupe du Rassemblement pour la République votera le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Voilà une intervention riche et solide !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. A l'issue de cette discussion générale empreinte d'une grande sérénité et d'une forte volonté d'examiner dans toute leur complexité ces questions délicates, je voudrais faire quelques remarques sur les interventions que nous avons entendues.
Je tiens d'abord à rappeler à MM. Philippe Arnaud et Alain Vasselle que le débat sur la présomption d'innocence et sur la procédure pénale se distingue de celui qui est relatif à la redéfinition des délits non intentionnels. D'ailleurs, le projet de loi sur la présomption d'innocence sera examiné en deuxième lecture par l'Assemblée nationale le 9 février prochain et sa deuxième lecture au Sénat nous donnera l'occasion de débattre sur chacun des points de procédure.
Sachez en tout cas, monsieur Vasselle, que si M. Balladur a effectivement proposé en juin 1999, lors du débat en première lecture à l'Assemblée nationale, la suppression du juge d'instruction, il s'est par la suite ravisé, ainsi qu'il l'a indiqué en adressant une question à M. le Premier ministre. Les esprits évoluent, et j'en suis heureuse. J'y vois la preuve que nous pouvons mutuellement nous influencer sur ces importants sujets.
Par ailleurs, je souscris à l'idée selon laquelle il ne faut pas une loi particulière applicable aux seuls élus. M. Fauchon l'a soutenue, mais aussi M. Jolibois, M. Dreyfus-Schmidt, M. Delevoye, ainsi que, avec des mots qui nous ont particulièrement touchés, M. Pierre Mauroy.
Or c'est sans doute comme la volonté de prendre un texte spécifique que serait perçue la proposition de M. Vasselle tendant à instituer un filtre préalable aux poursuites intentées contre les personnes physiques exerçant des responsabilités publiques. Je crois qu'il y a ici une large majorité pour ne pas vouloir s'engager dans une telle voie.
En réponse aux appréhensions évoquées par les uns et par les autres, je dirai que l'initiative prise par M. Fauchon et la commission des lois du Sénat, qui consiste à introduire la notion de causalité directe ou indirecte en relation avec une faute caractérisée, est une bonne chose. Comme je l'ai dit dans mon discours introductif, c'est une proposition à la fois audacieuse et mesurée, qui permettra, j'en suis convaincue, de définir de manière plus stricte les limites de la faute pénale et de cantonner ainsi les poursuites et les condamnations aux seules hypothèses où elles sont véritablement justifiées.
Cependant, je souhaiterais aussi que la navette nous donne l'occasion de préciser cette notion de causalité directe, dont certains orateurs, tels M. Bret ou M. Dreyfus-Schmidt, ont estimé qu'elle pouvait être floue.
Actuellement, d'ailleurs, certains d'entre vous l'ont souligné, la notion de causalité directe ou indirecte est parfois utilisée de façon peu précise par les juridictions répressives. Cela s'explique par le fait qu'aujourd'hui cette distinction n'a aucune conséquence juridique. Les termes de « causalité directe » sont ainsi parfois utilisés à la place de ceux de « causalité certaine », et l'expression « faute directe » doit être parfois comprise, me semble-t-il, comme signifiant « faute personnelle ».
Si, dans l'affaire de l'accident survenu sur l'île d'Ouessant, le tribunal a pu estimer que le comportement reproché au maire était la cause directe de cet accident, alors qu'une telle précision n'était pas juridiquement nécessaire, c'est vraisemblablement pour indiquer qu'il s'agissait, selon le tribunal, d'une cause certaine.
Je ne peux évidemment pas commenter plus avant cette décision qui fait l'objet d'un recours.
En tout état de cause, ce que je peux dire en cet instant, c'est que, du fait des effets de la réforme que nous étudions, une distinction très nette sera opérée dans la loi entre cause directe et cause indirecte et que, dès lors, cette notion sera nécessairement examinée de façon plus précise par les juridictions, sous le contrôle de la Cour de cassation.
Peut-être faudra-t-il d'ailleurs, pour clarifier le débat et s'assurer que la réforme atteint ses objectifs, faire référence, dans l'article 121-3, à la notion de cause indirecte ou de cause médiate. En effet, la doctrine considère parfois qu'il existe, à côté des auteurs indirects des délits d'imprudence, des auteurs médiats. Je suis certaine que la navette permettra d'enrichir la réflexion sur cette question, comme elle l'enrichira sur la question de la nature de la faute exigée en cas de causalité indirecte ou médiate.
J'ajoute, en réponse à M. Delfau, que je persiste à penser que la notion de violation manifeste d'une règle de prudence ou de sécurité, retenue par la commission, est meilleure que la référence à la notion de faute lourde. Je m'en expliquerai lorsque l'on abordera la discussion des amendements qui tendent à introduire cette notion.
Je fais ces quelques remarques pour indiquer clairement que, si je suis réservée - vous l'avez compris - sur l'accroissement de la responsabilité pénale des personnes morales, en tout cas dans le cadre des activités qui ne peuvent être déléguées, j'estime en revanche que la piste ouverte par la proposition de M. Fauchon grâce à une meilleure définition du lien entre la faute et le dommage est extrêmement prometteuse.
A M. Murat, je dirai seulement - je lui ai déjà répondu dans mon intervention liminaire - que je ne suis pas favorable à l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public.
M. Haenel a, à juste titre, rappelé dans son intervention que nombre de propositions du rapport Massot n'appelaient pas, pour être satisfaites, la modification du code pénal. Croire qu'un problème aussi complexe puisse être résolu uniquement par des modifications du code pénal serait d'ailleurs une erreur fondamentale.
L'information réciproque entre les parquets et les élus est en effet très importante, et il est nécessaire que chacun connaisse mieux les compétences de l'autre. J'adhère donc aux propositions qui visent à rapprocher les élus des magistrats. Plusieurs initiatives ont d'ailleurs déjà été prises en ce sens et seront développées.
Ainsi, dans le cadre de la formation des magistrats, qu'elle soit initiale ou continue, des stages sont organisés au sein des collectivités locales.
Par ailleurs, des politiques partenariales se développent, ce qui facilite la reconnaissance réciproque entre magistrats et élus ; je pense aux contrats locaux de sécurité ou aux activités des maisons de la justice et du droit.
Dans la même ligne, je suis très intéressée par la proposition de M. Haenel visant à recenser les initiatives prises par certains procureurs en vue de rapprocher encore les magistrats et les élus afin de leur permettre de mieux se connaître.
Je remercie l'ensemble des orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale. Cet important sujet suscite chez nous tous beaucoup d'intérêt et, parfois, beaucoup d'émotion. M. Pierre Mauroy a ainsi rappelé, avec la force particulière que lui donne son expérience, à quel point la situation pouvait être ressentie comme injuste et inextricable par certains élus.
La discussion générale a montré que nous sommes tous ici à la recherche de la meilleure solution, et, dès lors que nous ne voulons pas d'un système particulier pour les élus et les décideurs publics, cela nous oblige évidemment à considérer les éventuelles répercussions, dans toutes sortes de domaines, des modifications que nous allons introduire.
M. le président. Mes collègues auront sans aucun doute été très sensibles aux félicitations que vous leur avez adressées, madame le garde des sceaux.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.