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L'évolution des principes et des phrases sur lesquels se fondent la proposition de loi
origine : Claude Got

La proposition initiale de modification du code pénal a été fondée sur la distinction entre les personnes qui sont intervenues directement dans la production des dommages et celles dont l'action a été indirecte. Le caractère artificiel et peu opérationnel d'une telle distinction est longuement présenté sur ce site et il est inutile de revenir sur ce point qui n'a malheureusement jamais été remis en question. Cette notion est introduite par la phrase suivante :

"Toutefois, dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l'origine ou n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont ...".

La suite du texte est particulièrement importante puisqu'elle précise les cas où les poursuites pénales seront possibles, même si la causalité est indirecte. C'est cette partie qui a été modifiée par l'Assemblée et qui réduit la portée du texte initial. Ces phrases suivent immédiatement la citation ci-dessus :

" ... ne sont responsables pénalement que s'il est établi qu'elles ont,
soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement,
soit commis une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elles ne pouvaient ignorer".

On voit l'importance et le nombre des obstacles à franchir du fait d'un choix de termes particulièrement exigeants (manifestement délibérée, faute d'une exceptionnelle gravité, danger qu'elles ne pouvaient ignorer). C'est cette partie du texte qui a été modifiée par l'un des amendements présentés par le gouvernement lors du retour devant le Sénat le 15 juin dernier. La modification portait sur la dernière phrase de la citation précédente et elle était rédigée comme suit :

"soit commis une faute caractérisée en ce qu'elle exposait autrui à un risque d'une particulière gravité que ces personnes ne pouvaient ignorer".

Ce n'est plus l'importance de la faute qui est prise en compte mais le fait qu'elle exposait autrui à un risque grave. la ministre de la justice a réussi à faire prévaloir cette rédaction avec une modification minime du texte qu'elle avait proposé le 15 juin (remplacement de « en ce qu’elle exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que ces personnes ...», par les mots : « et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ».

La fin du débat a limité les dégâts que ce texte pouvait produire, il faut cependant remarquer que :
- le fondement de la modification du code pénal demeure une notion de causalité directe et indirecte trop imprécise pour être facile à mettre en oeuvre, elle introduira une notion de poursuite "aléatoire" en fonction des conceptions du juge d'instruction, dans l'attente d'une jurisprudence qui mettra des années à se constituer,
- aucune étude publique de la totalité des dossiers dans lesquels des élus ont été mis en examen et condamnés n'a indiqué avec précision les conséquences de l'adoption de ce texte. Ce refus de savoir témoigne d'une malhonnêteté intellectuelle des acteurs de ce débat,
- les querelles sur le niveau de la faute (exceptionnelle gravité, grave ou simplement faute caractérisée par le fait que son auteur ne pouvait ignorer que son attitude mettait en danger la vie d'autrui) se sont achevées par une rédaction favorable aux victimes car la notion de faute caractérisée se confondra avec la notion de faute tout court,
- les effets pervers d'un texte qui incite à ne pas rechercher des causes possibles de risque pour ne pas avoir à les assumer pénalement demeurent. Si l'on peut être mis en examen parce que l'on avait connaissance d'un risque et que l'on n'a pas tenté de le limiter, il est préférable de ne pas chercher à en être averti et donc de ne faire aucun contrôle d'une installation dont on a la charge (voirie, bâtiments, installation sportive etc.) Cette proposition de loi est une négation de la prévention.

La lecture de l'ensemble des rapports qui ont été produits et des débats met en évidence une accumulation consternante d'erreurs et de fausses solutions qui témoignent de la difficulté du législateur à sortir d'une logique purement judiciaire pour traiter de faits de société qui impliquent des connaissances d'accidentologie, d'épidémiologie et une réflexion approfondie sur la causalité dans des situations multifactorielles. Les auteurs du texte n'ont surtout pas souhaité élargir leurs sources d'informations pour éviter de telles erreurs, ils ont à l'opposé tout tenté pour discréditer l'intervention de "non juristes" dans le débat et produire entre eux une modification du code pénal dont on peut espérer qu'elle sera inutilisable en pratique. Cette cuisine clientéliste n'est pas à l'honneur du Sénat. Accepter de la consommer comme le fait le Gouvernement n'est pas un encouragement au développement de la qualité. C'est dommage quand il s'agit du code pénal qui doit être connu (et compris !) par tous les citoyens.