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M. le président. La séance est reprise.

Demande de retrait de l'ordre du jour
de la proposition de loi

M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Monsieur le président, en application de l'alinéa 5 de l'article 29 de notre règlement, je demande le retrait de l'ordre du jour du Sénat de cette proposition de loi.
Madame le garde des sceaux, c'est à vous que je m'adresserai maintenant. Vous allez obtenir gain de cause : ce texte ne sera pas adopté ce soir et nous le dirons à tous ceux qu'il intéressait. Pourtant, ce texte était attendu par un certain nombre de ceux qui nous ont élus, en même temps que par l'ensemble de ceux qui étaient susceptibles d'être concernés.
Au cours de ce débat, vous avez fait preuve d'un entêtement inhabituel. Vous n'avez pas voulu entendre nos raisons ; vous n'avez pas voulu comprendre tous les éléments que nous avons apportés dans cette discussion. Or, vous savez très bien que, dans bon nombre de cas, lorsque des problèmes importants se posent, nous n'hésitons pas - je le fais moi-même - à prendre contact avec vous pour essayer de les résoudre. Mais vous êtes restée totalement fermée !
Ce résultat que vous avez obtenu sera une grande première dont vous n'aurez pas lieu d'être très fière. En effet, la demande de vote bloqué était tombée quelque peu en désuétude. Vous appartenez tout de même à une formation politique qui ne cesse de proclamer, à chaque occasion, qu'il y a lieu de revigorer les droits du Parlement.
La grande première, madame le garde des sceaux, ce n'est pas cette demande de vote bloqué, car nous en avons déjà connues, par le passé.
Mme Hélène Luc. Oh oui, souvent même !
M. Jacques Larché, président de la commission. La grande première dans la pratique parlementaire - et je ne suis pas sûr que vous l'approuviez, vous, madame Luc, défenseur des droits du Parlement - c'est que jamais un vote bloqué n'a été demandé sur une proposition de loi, au surplus inscrite à l'ordre du jour réservé au Sénat. Je ne connais aucun précédent !
Mais ce précédent, vous le créez, et je dois vous dire que cela n'est pas de très bon augure pour un certain nombre de débats que nous aurons peut-être encore sur bon nombre de textes à l'occasion desquels force nous sera de constater que, une fois de plus, vous faites fi des droits du Parlement.
Vous vous êtes rendu compte que nous n'allions pas vous suivre. Et c'est vrai, nous n'entendions pas vous suivre ; eh bien, devant cette défaite - peut-être n'êtes-vous pas capable de l'accepter - vous avez préféré « botter en touche » par un artifice qui, venant de vous - excusez-moi de vous le dire -, me déçoit profondément, car il ne vous grandit pas et, en tout cas, ne permet pas de dire à tous ceux qui vous soutiennent qu'une fois de plus, vous vous serez illustrée dans la défense des droits du Parlement.
Votre attitude est tout à l'opposé. Vous faites fi de nos prérogatives parlementaires. C'est très bien ! Nous vous en donnons acte et je demande donc un vote sur le retrait de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais répondre brièvement à M. le président Larché. D'abord, pour dire que je n'avais pas l'impression que l'entêtement - en tout cas sur une position qui ne pouvait pas évoluer - était de mon côté.
Je pense qu'à partir du moment où nous travaillons sur une question ô combien délicate - et nous le savons depuis le début - il faut, en effet, non pas camper sur des certitudes, mais essayer de rechercher avec beaucoup d'humilité la meilleure solution possible.
Je ne me suis pas entêtée sur des rédactions qu'à un moment donné j'ai trouvées bonnes - j'ai approuvé le texte de l'Assemblée nationale, alors que j'avais dit que la version de M. Fauchon devait être améliorée - parce qu'un examen plus approfondi m'a montré qu'il y avait matière à réflexion supplémentaire. Je ne crois pas que l'entêtement soit de mon côté. S'il existe quelque part, il est peut-être du vôtre !
Mme Hélène Luc. Il fallait accepter le renvoi en commission, monsieur Larché !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ensuite, permettez-moi de vous dire que je ne raisonne pas en termes de défaite ou de victoire. Ce que je recherche, c'est un consensus aussi large que possible sur un sujet complexe et sur des problèmes très graves.
Encore une fois, j'estime que, si nous parvenons à un texte qui recueille le plus large consensus possible, ce sera le fait de tout le monde, et tout le monde ici pourra s'en prévaloir, y compris, naturellement, M. le rapporteur qui a déposé cette proposition de loi et vous tous qui avez contribué à son élaboration.
Quant aux droits du Parlement, ils sont certes importants. Mais il s'agit, en l'occurrence, non de bloquer prématurément la discussion, mais de demander au Parlement de continuer la discussion. C'est vous qui voulez l'arrêter !
MM. Claude Estier et Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. Jacques Larché, président de la commission. Le droit du Parlement, en quoi consiste-t-il ?
M. Adrien Gouteyron. Et les droits du Parlement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agit de continuer la discussion et non de vouloir l'arrêter prématurément, alors que nous savons que nous touchons au but, que nous sommes sur le point d'aboutir à un texte de consensus.
Pour ma part, je n'ai pas le sentiment de brider les prérogatives du Parlement, j'ai au contraire l'impression d'avoir fait en sorte, par un travail commun, d'intégrer des réflexions que nous n'avons pas eues au départ, c'est vrai. Si nous les avons intégrées c'est précisément parce que nous avons travaillé avec beaucoup d'honnêteté intellectuelle et politique, car nous poursuivons le même but. Jamais, dans ce débat, je n'ai rangé d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Jamais !
Tous, nous recherchons le même résultat, qui est, nous le savons depuis le début, d'éviter ces mises en cause pénales injustifiées. Mais, dans le même temps, nous disons tous aussi que nous ne voulons pas aboutir à une dépénalisation des fautes par négligence et des fautes indirectes.
Nous cherchons à atteindre le même objectif. Notre problème, c'est d'arriver à la meilleure rédaction possible, qui, encore une fois, sera l'oeuvre du Parlement dans son ensemble.
J'ai utilisé tout à l'heure toutes les ressources de la conviction avant de me résoudre, en effet, à utiliser l'article 44, alinéa 3. J'aurais préféré l'éviter, mais il n'y avait pas d'autre issue...
M. Jacques Larché, président de la commission. Il y en avait une, mais ce n'était pas celle que vous vouliez !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si nous voulions continuer la discussion au Parlement, pour arriver au meilleur texte possible, cela ne demandait que quelques semaines de plus.
M. Jacques Larché, président de la commission. Pas du tout !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ce délai aurait permis d'améliorer ce texte et, s'il avait été adopté, je crois que vous n'auriez eu qu'à vous en féliciter.
Si ces amendements avaient été adoptés, ce texte aurait pu poursuivre la navette et entrer en application dans de brefs délais. J'espère toutefois que nous aurons la possibilité, là encore, de faire les choses bien et rapidement. (Applaudissement sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vais mettre aux voix la proposition visant au retrait de l'ordre du jour de la proposition de loi.
J'indique au Sénat que les explications de vote sont limitées à un orateur par groupe et que chacun disposera de cinq minutes.
La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, même si je m'exprime au nom du groupe des Républicains et Indépendants, vous me permettrez de « globaliser », en quelques sorte, sans avoir sollicité l'autorisation de mes collègues, l'indignation de l'ensemble de la majorité sénatoriale devant l'issue qui se profile pour nos débats de cet après-midi.
Nous sommes en effet indignés, parce que, après des heures de discussion où des arguments ont été échangés, le voile est tombé une fois de plus, et nous voyons bien que le Gouvernement est venu dans cet hémicycle avec un fusil à deux coups.
La première cartouche, c'était ses trois amendements, qui, naturellement, personne n'est dupe, n'avaient d'autre ambition que de permettre la poursuite, voulue par le Gouvernement, de la discussion parlementaire.
Personne ne nous fera croire un seul instant que le recours à l'article 44, alinéa 3, de la Constitution - seconde cartouche ! - a été décidé comme cela, voilà quelques minutes. Non, c'était une stratégie préparée à l'avance pour brider la majorité sénatoriale dans son expression, puisque c'est elle, grâce à Pierre Fauchon, qui est à l'origine de cette proposition de loi.
Nous sommes indignés de constater que, quand cela l'arrange, le Gouvernement nous dit qu'il faut raccourcir la discussion et, pour ce faire, qu'il applique sur tel et tel texte la procédure d'urgence et que, dans d'autres circonstances, avec la même assurance et, semble-t-il, la même conviction, il nous explique qu'il faut que la discussion se prolonge. La réalité, elle est claire, elle est simple : même quand le Parlement propose, le Gouvernement dispose, et il se joue du Parlement !
A cet égard, M. le président de la commission des lois a eu parfaitement raison de souligner que cette proposition de loi était inscrite à l'ordre du jour réservé au Parlement, en l'occurrence au Sénat. Cela montre bien que cette petite fenêtre qui s'est ouverte et qui était censée permettre la revalorisation, au moins pour partie, du travail parlementaire s'est aujourd'hui refermée. Nous n'avons donc plus aucune espèce d'illusion : le Parlement est singulièrement bafoué !
Chacun, naturellement, prendra ses responsabilités ; mais, s'agissant de la majorité sénatoriale, je puis vous dire que nous n'aurons aucun mal à expliquer à ceux que l'on appelle les « décideurs » qui, jour après jour, avec beaucoup de dévouement et d'abnégation, exercent leurs responsabilités en risquant une mise en cause, qu'ils ne pèsent pas grand-chose par rapport probablement à des contingences qui n'ont rien à voir avec la justice. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président de la commission des lois, il fallait chercher non pas la victoire d'un camp sur un autre, mais l'intérêt général. Or, vous avez, excusez-moi de le dire, joué tactique là où il fallait voir large et loin.
Les élus locaux, les responsables d'association, tous bénévoles, les agents de la fonction publique, tout autant que les organisations syndicales et les associations de victimes méritent mieux qu'une attitude partisane et, en tout cas, trop tributaire d'échéances électorales.
D'ailleurs, vous le savez - et c'est bien ce qui, d'une certaine façon, vous gêne -, ce sentiment est largement partagé en ce moment même sur les travées du Sénat.
Je m'adresserai maintenant à vous, madame le garde des sceaux, en réponse au débat général, vous avez bien voulu, à ma demande, fixer un calendrier resserré et précis pour l'adoption de cette proposition de loi. Vous avez pris un engagement au nom du Gouvernement et nous savons que vous vous y tiendrez.
M. Alain Vasselle. Pardi !
M. Gérard Delfau. Ainsi, nous aurons obtenu le meilleur texte possible, dans les meilleurs délais possibles. Le Parlement n'aura rien cédé de ses prérogatives et l'opinion publique sera rassurée sur le sens de nos délibérations.
M. Alain Vasselle. Vous êtes bien optimiste !
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le ministre, ce soir nous assistons à une première : l'utilisation de l'article 44-3 de la Constitution à l'encontre d'une proposition de loi. Cette première, à mon avis, constitue une violation directe de la révision constitutionnelle de 1995.
En 1995, le Congrès a établi des « niches parlementaires », justement pour permettre au Parlement d'exprimer son point de vue.
M. Michel Charasse. Vive Séguin !
M. Patrice Gélard. Ce soir, on nous dit que la « niche parlementaire » ne compte pas. Ce soir, on nous dit que les droits du Parlement n'existent pas. Ce soir, on utilise une procédure complètement tombée en désuétude, quasiment jamais utilisée au Sénat, sauf dans le domaine budgétaire. Je crois que la démocratie n'y gagne pas.
Certes, le Gouvernement avait déposé des amendements, madame le ministre. Mais je suis convaincu que, dès le départ, vous étiez prête à tout faire pour que ce texte ne soit pas adopté le 1er juillet 2000.
M. Henri de Raincourt. C'est évident !
M. Patrice Gélard. Dès le départ, vous avez utilisé tous les moyens : en retardant l'inscription du texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, en ne l'inscrivant pas à l'ordre du jour du Sénat, en nous réunissant au ministère.
Dès le départ, vous aviez la volonté délibérée de retarder l'adoption de ce texte.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvions pas entrer dans ce jeu.
Ce texte, cela fait plus d'un an qu'on y tient. Cela fait plus d'un an que des multitudes de décideurs le réclament. Cela fait plus d'un an que toute une série de gens mis en examen abusivement l'attendent.
M. Michel Charasse. Qu'on le vote !
M. Patrice Gélard. Ce soir, vous avez voulu donner raison aux victimes. Mais nous ne les avons pas oubliées ; elles sont défendues par d'autres textes et nous les avons écoutées. Je crois que vous avez fait une erreur grave, à l'égard de tous ceux qui exercent des responsabilités dans notre société, à l'égard du Parlement et à l'égard aussi du Gouvernement, parce qu'il ne sort pas du tout grandi de ce débat ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Puisque l'on parle de blocage, il faut être capable de prendre en compte la réalité dans son ensemble.
Cela a été dit tout à l'heure : il n'y a pas d'un côté ceux qui défendent les victimes et de l'autre ceux qui se préoccupent des élus.
En revanche, ce qui s'est manifesté ici, c'est le souci de certains, que Mme la ministre a défendu brillamment, d'aboutir à un texte qui soit le meilleur possible pour les uns et pour les autres.
Personne ne s'est opposé au texte de M. Fauchon. Il n'y a pas d'opposition frontale sur le fond.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Nicole Borvo. Il paraissait donc légitime que nous, parlementaires, essayions ensemble d'aboutir au meilleur texte possible.
Or, en l'occurrence, la majorité sénatoriale a fait en sorte d'arriver à une situation de blocage en refusant absolument des amendements du Gouvernement dont d'aucuns ont dit pourtant qu'ils pourraient les voter.
En refusant également de décider le renvoi en commission que nous vous proposions, ce qui était une façon de poursuivre la réflexion, vous avez pris la responsabilité de pousser à un blocage.
Mme Hélène Luc. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo. Bien évidemment, nous ne sommes pas favorables, au contraire, à la limitation des droits du Parlement et, en prenant ce texte en otage, en quelque sorte vous aboutissez à une telle situation. Mais c'est vous qui en prenez la responsabilité !
Nous, nous sommes pour la poursuite de la discussion. Les propositions qui ont été faites, par le biais tant des amendements du Gouvernement que de notre demande de renvoi en commission, étaient des solutions tout à fait acceptables par tout le monde et personne n'y aurait vu l'affrontement d'un camp contre l'autre : les élus contre les associations. Mais vous, vous bloquez la discussion. Je suis désolée, mais puisque vous en prenez la responsabilité, vous voterez tout seuls votre demande de retrait de l'ordre du jour ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ; ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Je souhaite en cet instant revenir brièvement et sur le fond et sur les circonstances.
Sur le fond, il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque : ne présentons pas comme purement anodins, ce que l'on a tendance à faire, les trois amendements ou, du moins, l'un d'entre eux.
En effet, l'amendement qui porte sur la définition du fait constitutif du délit modifie substantiellement la définition de ce fait telle que donnée par l'Assemblée nationale. Il faut tout de même le dire. Je n'entre pas dans le détail ; nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir un jour.
J'en viens aux circonstances.
J'avoue que j'ai énormément de mal à comprendre la ligne de conduite du Gouvernement car, dans une phase récente, comme l'a dit tout à l'heure un intervenant, il a manifesté sa mauvaise volonté de manière évidente. Et pourtant, autant que je me souvienne, au congrès des maires, M. Jospin a bien voulu déclarer solennellement qu'il approuvait en gros l'esprit du texte et qu'il s'engageait à ce qu'on aille de l'avant, à ce qu'il soit voté rapidement.
M. Alain Vasselle. En effet, M. le Premier ministre s'y était engagé !
M. Pierre Fauchon. Au mois de janvier dernier, lors d'une conférence des présidents à laquelle je me trouvais par hasard, parce que je suppléais le président de la commission des lois, M. Vaillant m'a dit : « Vous avez voté ce texte, il est bien ; nous allons l'inscrire très rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et il reviendra chez vous au mois de mai. » Les dates avaient été prévues longtemps à l'avance.
Aussitôt après le vote de l'Assemblée nationale, et alors que l'on savait parfaitement comment ce vote s'était déroulé, quelles avaient été les positions des uns et des autres - on a invoqué trois semaines après les déclarations de M. Debré en les exagérant considérablement, - aussitôt après, dis-je, le texte a été inscrit à l'ordre du jour du 30 mai, c'est-à-dire à une date très proche. En tant que rapporteur, j'ai dû modifier mon emploi du temps. Nous avons tous été bousculés ; mais j'ai quand même réussi à organiser une réunion avec les associations, lesquelles n'ont pas cru devoir venir d'ailleurs.
A ce moment-là, on voulait aboutir et, en gros, on était d'accord sur le texte. Par délicatesse, je ne lirai pas vos déclarations, madame la garde des sceaux, approuvant la rédaction que M. Dosière a fait adopter à l'Assemblée nationale. En effet, autant sur ma rédaction, vous aviez quelques réserves, autant, sur le texte issu de l'Assemblée nationale, vous ne sembliez pas en avoir. Le Gouvernement a bien approuvé cette rédaction, le groupe communiste l'a votée, comme bien entendu le groupe socialiste.
Maintenant, c'est tout différent. Que s'est-il donc passé ? Quelle est la cause de ce revirement ? Il est permis de se le demander. Nous attendons encore les réponses. Il est évident que l'explication tirée de la déclaration de M. Debré a fait long feu. Maintenant, on ne peut plus la ressortir. Ce soir, en tout cas, elle ne vaut plus rien. Il faut trouver autre chose.
J'ai cru entendre dire tout à l'heure que l'on pensait en conscience, avec une belle conscience démocratique !, qu'il était important de poursuivre le travail, de manière à aboutir à un consensus entre les deux assemblées. Mais nous y étions parvenus à ce consensus, puisque, précisément, en renonçant aux particularismes de notre rédaction et à un certain nombre de dispositions auxquelles nous tenions, nous adoptions la position de l'Assemblée nationale ! En fait, ce que le Gouvernement ne veut pas, c'est que les deux assemblées soient d'accord. Il ne le supporte pas ! C'est là que l'on trouve l'entêtement auquel faisait allusion le président de la commission tout à l'heure.
Dans cette circonstance, s'agissant d'une proposition de loi, d'une inscription dans la maigre fenêtre qui est laissée au Parlement - elle n'est pas large, la fenêtre : une séance par mois ! - et alors que nous proposions d'entériner le vote de l'Assemblée nationale, que nous adoptions un comportement exemplaire, le Gouvernement a, lui, fait preuve d'un profond mépris à l'égard du pouvoir législatif. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je voudrais essayer d'être convaincant.
Des choses désagréables ont été dites. On a coutume de dire qu'on a vingt-quatre heures pour maudire ses juges !... J'admets que certains d'entre vous n'aient pas été très contents. Mais je voudrais qu'ils comprennent, parce que c'est la vérité, qu'avant cette demande de retrait du texte la partie en était à « 15 A » comme on dit au tennis, que le berger avait répondu à la bergère. Ce qui compte maintenant, ce n'est pas de faire de la surenchère, c'est de servir l'intérêt général et en particulier celui dont, en tant que sénateurs, vous vous estimez particulièrement chargés.
On pourrait ironiser, mais ce n'est pas le moment sinon pour essayer de dérider des fronts soucieux, en disant que l'on a entendu quelques interventions qui nous font prévoir pas mal d'amendements sur le projet de loi relatif au quinquennat, sur le vote bloqué, sur les droits du Parlement, etc.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On peut dire aussi que la majorité avait profité de la niche, et l'on pourrait faire des jeux de mots sur ce terme. Mais, j'arrête de badiner !
En fait, mes chers collègues, on vient seulement de parler des amendements. Personne ne les avait critiqués jusqu'à ce que M. Fauchon, à l'instant, ne prétende que le deuxième changerait un peu les choses.
Franchement, le Gouvernement n'avait aucunement prémédité d'avoir recours au vote bloqué. Je donne acte néanmoins à M. Haenel que ce n'est pas lui qui en a donné l'idée au Gouvernement en demandant que l'on applique cette procédure à l'Assemblée nationale, le Gouvernement préférant y avoir recours au Sénat.
En revanche, il avait suggéré - je lui en sais gré - que la majorité du Sénat accepte les amendements et que le texte soit ensuite très rapidement soumis à l'Assemblée nationale avant le 30 juin, avec la procédure du vote bloqué pour que tout aille très vite.
En fait, sur ces amendements, il y en a un, le troisième qui est important ; il porte sur les accidents du travail et personne n'a dit un mot contre.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il est complètement inutile, vous le savez !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. ... Quant aux deux autres, le moins qu'on puisse dire, est qu'ils ne changent pas profondément les choses.
Quoi qu'il en soit, il s'agit maintenant que ce texte soit voté ; c'est ce que vous voulez. Peu importe les amours-propres d'auteur, les torts des uns ou des autres. Vous voulez qu'il y ait un peu plus de justice pour les décideurs publics.
Si vous renoncez à votre demande, monsieur le président de la commission, et que vous votiez le texte assorti des amendements, nous insisterons nous-mêmes auprès du Gouvernement pour qu'il soit ensuite examiné très rapidement par l'Assemblée nationale.
En revanche, si par dépit vous voulez maintenir votre demande, qui n'est pas tout à fait régulière - je reconnais que vous pouvez la régulariser aisément - puisque normalement elle doit émaner de la commission et que vous n'avez pas réunie cette dernière, ou de trente sénateurs, ce qui me paraît exclu à cette heure tardive de la journée - je n'en tire pas argument, je sais très bien que vous pourriez réunir la commission - vous aboutirez au contraire de ce que vous prétendez rechercher. Je vous demande vraiment, du fond du coeur, aux uns et aux autres, de considérer que s'il y a eu réponse du berger à la bergère, peu importe. Ce qui compte maintenant, c'est que cette réforme soit votée le plus vite possible.
Si vous persistez à vouloir retirer de l'ordre du jour cette proposition de loi, nul ne sait quand ce vote interviendra.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. C'est votre faute !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez rien de sérieux contre les amendements, acceptez-les donc ! Nous, nous accepterons votre texte, qui pourra être voté très rapidement à l'Assemblée nationale et l'hommage en sera rendu à l'auteur principal, M. Fauchon, hommage que M. le Premier ministre lui a déjà rendu sur le front des troupes, c'est-à-dire devant le congrès de l'AMF.
Franchement, j'aurais tendance à demander une suspension de séance, peut-être la réunion de la commission des lois - je le répète, la demande telle qu'elle a été faite à l'instant n'est pas recevable - pour que vous réfléchissiez, mes chers collègues, non pas cinq ou dix minutes pour déterminer comment répondre à la manoeuvre qui répondait à la manoeuvre mais pour vous demander si le but que nous poursuivons les uns et les autres n'est pas que le texte soit voté avec les trois amendements plutôt que pas du tout. Vous, nous tous qui voulons cette loi, aurons ainsi satisfaction. (Applaudissements sur les travées socialistes ; ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur certaines travées du RDSE).
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Charasse, uniquement pour un rappel au règlement.
M. Michel Charasse. Je voudrais comprendre un peu où l'on en est, sans aborder le fond, monsieur le président.
Si le président Larché a satisfaction, le texte va être retiré de l'ordre du jour complémentaire...
M. Jacques Larché, président de la commission. Non, pas complémentaire.
M. Michel Charasse. ... de l'ordre du jour laissé à la discrétion du Sénat, de l'ordre du jour réservé, enfin, de l'ordre du jour Séguin pour être clair... (Sourires.)
Donc le texte va être retiré. Le Gouvernement pourra ensuite à tout moment décider de l'inscrire à l'ordre du jour prioritaire.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Michel Charasse. Mais le Gouvernement va revenir avec le même texte et les mêmes amendements ; ...
Plusieurs sénateurs du RPR. Et alors ?
M. Michel Charasse. ... il pourra nous imposer la même procédure de vote s'il tient absolument à faire passer ses amendements. On risque de se retrouver exactement dans la même situation.
J'aimerais que vous me confirmiez, monsieur le président, que l'analyse que je fais du règlement est bien la bonne.
M. le président. Jusqu'à cet instant oui, monsieur Charasse.
M. Michel Charasse. Bien. Cela veut donc dire que, si le Gouvernement réinscrit ce texte demain ou la semaine prochaine à l'ordre du jour prioritaire, on va se retrouver dans la même situation ; et l'on aura simplement perdu huit jours !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je voudrais faire simplement quelques remarques pour essayer de ramener un peu de sérénité dans le débat, en cette fin d'après-midi.
Parmi ceux qui, à un moment donné ou à un autre, ont retardé le projet, il y a certes le Gouvernement, qui a retardé son inscription au Sénat pour prendre le temps de trouver un consensus - cela valait tout de même la peine - mais il y a aussi trois groupes de l'opposition à l'Assemblée nationale, les confédérations syndicales et certains groupes de l'opposition sénatoriale : je pense que cela méritait d'être dit. (Murmures sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Par ailleurs, puisque M. Fauchon a évoqué la position de M. Debré, il me paraît de mon devoir de rétablir les choses.
M. Jacques Larché, président de la commission. Cela n'a rien à voir.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Voici exactement ce qu'a dit M. Jean-Louis Debré à l'Assemblée nationale : « Etant donné que nous sommes en première lecture, et compte tenu des interrogations qui apparaissent sur les conséquences que pourrait avoir cette loi, le groupe RPR a décidé de s'abstenir. Nous demandons au Gouvernement de rassurer publiquement les représentants des associations et les victimes qui ont fait part de leur légitime inquiétude.
« Notre opposition répond au triple souci d'humanité, de précaution et de clarté.
« Sur un sujet aussi douloureux et délicat, nous ne pouvons légiférer que dans la sérénité et le consensus. »
J'approuve absolument ces propos et il n'est pas si fréquent que je sois en plein accord avec M. Jean-Louis Debré...
Il faut dire qu'à l'époque cette position, venant de M. Debré et de son groupe, m'a surprise puisque, jusque-là, ils avaient agi dans le sens d'une dépénalisation encore plus grande que celle que proposait M. Fauchon. Mais enfin, à la relecture, on ne peut vraiment pas relever dans ces propos une quelconque différence avec la position que j'ai défendue tout au long de cet après-midi devant vous.
S'agissant maintenant de l'utilisation du vote bloqué, permettez-moi de vous livrer quelques éléments d'information.
J'ai des statistiques qui remontent jusqu'en 1993-1994.
En 1993, cette procédure a été utilisée treize fois au Sénat et douze fois à l'Assemblée nationale.
M. Henri de Raincourt. Il y a une différence entre un projet de loi et une proposition de loi !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En 1994, elle a été utilisée huit fois à l'Assemblée nationale et quatre fois au Sénat.
M. Jacques Larché, président de la commission. Me permettez-vous de vous interrompre, madame le garde des sceaux ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission, avec l'autorisation de Mme le garde des sceaux.
M. Jacques Larché, président de la commission. Madame le garde des sceaux, je voudrais revenir sur la remarque que je n'avais pas totalement développée et qui a été parfaitement présentée par notre collègue M. Gélard. Nous pouvons en effet nous demander si, en agissant comme vous venez de le faire, vous ne vous êtes pas livrée à une pratique inconstitutionnelle.
M. Henri de Raincourt. C'est une forfaiture !
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous sommes en effet dans le cadre d'une prérogative parlementaire. Dans la journée réservée au Parlement, le Gouvernement perd son pouvoir essentiel de déterminer l'ordre du jour.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il a le droit de déposer des amendements !
M. Jacques Larché, président de la commission. En recourant tout d'un coup à la procédure du vote bloqué, alors que c'est la décision du Sénat - ou de l'Assemblée nationale - d'insérer ce texte à l'ordre du jour, vous créez, me semble-t-il, un problème fondamental.
En tout cas, les statistiques que vous citez ne présentent pas le moindre intérêt puisqu'elles ne concernent pas la situation nouvelle dans laquelle nous sommes. Nous avons obtenu - grâce, en effet, à la réforme dont le président Séguin avait pris l'initiative - qu'une journée soit réservée à l'initiative parlementaire, journée qui doit se dérouler sans que le Gouvernement puisse user d'une prérogative qui, normalement, lui appartient.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et le droit d'amendement, il nous appartenait !
M. Jacques Larché, président de la commission. Oui, mais il était appliqué à des textes d'origine gouvernementale.
M. Jean Delaneau. Là, on nous impose des amendements !
M. Alain Vasselle. Il faut qu'on en sorte !
M. le président. Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président Larché, la révision constitutionnelle de 1995 n'a pas rendu caduc le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution. Cela se saurait ! Permettez-moi d'en rappeler les termes : « Si le Gouvernement le demande, l'assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. » Le « texte en discussion », ce peut être aussi bien un projet qu'une proposition de loi.
Quant à l'article 45, il indique que « tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique » et précise les conditions dans lesquelles le Gouvernement peut interrompre la navette.
Par ailleurs, monsieur Larché, une prérogative parlementaire a, en principe, pour objet de permettre la discussion parlementaire.
M. Gérard Delfau. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Or, en l'occurrence, le vote bloqué tend à éviter que le Parlement ne fasse cesser la discussion.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais nous voulons voter conforme !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si vous voulez que la navette se poursuive aussi vite que possible, méditez la remarque de M. Charasse. En effet, si vous retirez ce texte de l'ordre du jour, il va se produire exactement ce que Michel Charasse a décrit : je reviendrai devant vous, certes, ...
M. Jacques Larché, président de la commission. Et vous redemanderez le vote bloqué !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... parce que nous souhaitons que ce texte soit voté dans les délais : je ne retire rien, en effet, aux engagements que j'ai pris devant vous. Je reviendrai donc devant vous, mais pas aussi vite que si vous ne retirez pas ce texte de l'ordre du jour ce soir et que vous votez les amendements que je vous propose.
M. Henri de Raincourt. Mais on n'en veut pas de vos amendements !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Vous auriez ainsi l'assurance de voir très vite, peut-être avant la fin de cette session, l'Assemblée nationale de nouveau saisie de ce texte, de manière que, comme vous le souhaitez, il soit adopté rapidement.
En retirant ce texte de l'ordre du jour, c'est donc vous qui prenez la responsabilité de faire perdre du temps...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... dans une procédure parlementaire que, je le répète, nous souhaitons aussi prompte que possible, sans sacrifier, bien entendu, la nécessité d'aboutir à un bon texte.
Je ne reviens pas sur les procès d'intention qui m'ont été faits. Par certaines expressions, on était proche du procès en sorcellerie !
M. Alain Vasselle. Oh !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai épuisé, cet après-midi, toutes les ressources de la conviction, mais je ne suis pas parvenue à vous convaincre.
M. Henri de Raincourt. Ça non !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai pour seul souci de poursuivre le travail en commun entre les deux assemblées et le Gouvernement, dans un esprit de bonne coopération. N'avons-nous pas déjà su l'établir entre nous ? Vous êtes des juristes très avertis, et je tiens vraiment le plus grand compte de vos avis. Je souhaite simplement que puisse continuer la discussion d'une proposition de loi, et cela ne me paraît pas incongru. Je garde au contraire espoir que nous pourrons aboutir dans des délais brefs à un texte qui recueille le plus large consensus. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. le président. Un orateur de chaque groupe s'étant exprimé, je mets aux voix la proposition de M. le président de la commission des lois tendant au retrait de l'ordre du jour de la présente proposition de loi.

(La proposition est adoptée).
M. le président. En conséquence, la proposition de loi est retirée de l'ordre du jour.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils l'enterrent !