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Intervention du rapporteur


M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, au moment où ce texte revient en deuxième lecture devant le Sénat et alors que la commission des lois a eu la sagesse, vous me l'accorderez, de se rallier à la rédaction de l'Assemblée nationale - elle-même approuvée par le Gouvernement et dont Mme le garde des sceaux vient de faire l'éloge voilà quelques instants - nous voyons non sans surprise certains porte-parole de victimes de sinistres ou d'accidents collectifs dénoncer ce qui serait, selon eux, « un coup de force du Sénat » - comme si le Sénat était capable de faire des coups de force ! -...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pas encore !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... ainsi qu'un refus de discussion traduisant « la peur de la lumière » - comme si le Sénat avait peur de la lumière ! - créant une « hiérarchie pénale » dans les responsabilités et aboutissant à une « déresponsabilisation » des élus et autres responsables d'activités à risques. Autant d'appréciations dont il sera aisé de montrer ce qu'elles ont d'injustifié, et je modère mes expressions !
Avant de répondre à ces critiques, il m'incombe de rendre compte des délibérations de la commission des lois.
Celle-ci a tout d'abord constaté que l'Assemblée nationale avait retenu et approuvé l'esprit du texte voté par elle, tendant à donner des délits d'imprudence et de négligence une définition spécifique conforme aux règles générales du droit pénal, qui postulent qu'à défaut de l'intention délictueuse, dont l'exigence reste la règle en matière pénale, il convient de n'admettre pour délits que des faits d'imprudence et de négligence fortement caractérisés, traduisant une faute de comportement « équivalente » à l'intention dolosive, et non ces fautes toutes théoriques et virtuelles - les auteurs ont parlé de poussières de faute - que l'on peut relever dans nombre de décisions récentes, qu'il s'agisse de mises en examen ou, a fortiori, de condamnations. Nous ne disposons pas de statistiques exactes, mais, si peu nombreuses qu'elles soient, si elles sont injustes, elles sont en trop, et je pense que nul ne le contestera.
En second lieu, la commission a observé que l'Assemblée nationale avait confirmé la limitation du texte nouveau aux circonstances de causalité indirecte, ce qui exclut, en pratique, la plupart des accidents de la circulation - c'est un point sur lequel il est essentiel d'insister - les autres circonstances tombant inévitablement sous le coup du texte visant les circonstances de causalité indirecte et, étant donné le caractère très complet de la réglementation dans ce domaine, ce texte ne changera donc en rien la situation des victimes d'accidents de la route. Nous avons été unanimes pour maintenir - autant qu'il dépende de la loi, hélas ! - un très haut niveau d'exigence dans ce domaine.
A partir de ce consensus, la commission a constaté que la rédaction de l'Assemblée nationale différait de celle du Sénat sur plusieurs points. Mais, l'essentiel étant acquis, il lui a semblé normal de reconnaître à toute assemblée la part de responsabilité qui lui revient.
Elle a, en conséquence, adopté purement et simplement les rédactions en question, tendant, d'une part, à préciser plus clairement ce qu'il faut entendre par causalité indirecte - il paraît que nous ne l'avions pas assez bien expliqué, mais nous sommes prêts à recevoir ce genre de semonces - et, d'autre part, à préciser ce qu'il faut entendre par « manquement manifestement délibéré à une obligation particulière de prudence et de sécurité » lorsque cette obligation ne résulte pas d'un texte formel.
C'est sur ce dernier point que l'Assemblée nationale, avec l'accord exprès du Gouvernement, si j'ai bien lu, a introduit la notion de « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui un danger que l'on ne peut ignorer ».
Certes, toutes les fautes sont graves ; dès lors qu'une faute existe, elle est forcément grave par elle-même ; d'où l'utilité de préciser qu'elle doit être exceptionnellement grave.
Nous laissons en tout cas à nos collègues députés le soin de savoir si une telle rédaction - qui est la leur - est ou non plus restrictive que la nôtre, car nous pensons que seule la jurisprudence apportera une réponse à ces questions et qu'il convient, dès lors, de nous en tenir à l'esprit de coopération auquel nous sommes attachés en vous proposant purement et simplement - et uniment - le texte de l'Assemblée nationale.
Il est généralement reproché au Sénat de s'entêter sur des actions qui lui sont propres et qu'il juge, souvent avec quelque raison, meilleures. En l'occurrence, nous adoptons au contraire une attitude de grande confiance à l'égard de nos collègues de l'Assemblée nationale. Mais, apparemment, il paraît que cela ne suffit pas.
Les mêmes raisons nous font évidemment approuver la disposition nouvelle qui tend à inscrire formellement dans le code la différenciation ainsi créée entre la faute pénale et la faute civile. S'il nous avait semblé que cela allait sans le dire, selon la formule consacrée, il se peut que cela aille mieux en le disant. Je dis « il se peut », car je n'en suis pas tout à fait certain, étant de ceux qui pensent que les textes les plus sobres sont généralement les plus sûrs.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est comme les discours ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Dans le même souci de coopération, il ne nous a semblé ni opportun ni même nécessaire de reprendre certaines dispositions complémentaires du texte du Sénat, provenant soit de la proposition originelle soit d'amendements extérieurs, émanant notamment de sénateurs ici présents. Le plus souvent, il est vrai que, comme l'a jugé l'Assemblée nationale, ces dispositions n'étaient sans doute pas nécessaires.
Il en va tout autrement de celle qui concerne la responsabilité pénale des collectivités territoriales, dont l'Assemblée nationale a refusé qu'elle soit étendue aux compétences non délégables de ces collectivités.
Nous voyons dans ce refus un certain archaïsme, dénoncé ici même par M. Mauroy et peu compatible avec la conception moderne actuelle de l'état de droit - il semble qu'il faille être moderne aujourd'hui !
M. Michel Charasse. Oui : voyez le quinquennat ! (Sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Mais nous admettons qu'il s'agit là d'un autre débat et nous nous réservons de le reprendre dans une occasion mieux appropriée.
Au total, c'est donc avec le sentiment de faire preuve d'une certaine modestie et d'un bon esprit de coopération avec la majorité de l'Assemblée nationale, elle-même approuvée par le Gouvernement, que la commission des lois n'a cru pouvoir mieux faire que de vous proposer d'émettre un vote conforme dans cette circonstance.
Il devrait, dès lors, être difficile de faire croire, comme certains - et non des moindres - le voudraient, que le Sénat, à la faveur de je ne sais quelle prérogative au demeurant nouvelle et improbable, parviendrait à imposer sa volonté aux institutions de la République, alors que cette journée voit l'aboutissement d'une procédure à ciel ouvert, scrupuleusement concertée et consciencieusement conduite.
Il s'agit d'une procédure à ciel ouvert, tout d'abord, et non d'une procédure « en catimini » - comment peut-on employer de telles expressions ? - puisque la proposition a été largement portée à la connaissance du public à l'occasion du congrès de l'Association des maires de France en novembre dernier. On se souvient des déclarations très positives faites alors à la tribune de ce congrès par le chef du Gouvernement lui-même ! Et, depuis lors, vous le savez, la presse n'a cessé, semaine après semaine, d'entretenir le public de ces affaires.
C'est une procédure concertée, ensuite, puisque la fédération nationale des victimes d'accidents collectifs - la seule qui se soit manifestée à l'époque - a été entendue, d'abord personnellement par votre rapporteur, puis en audition publique de la commission, le 19 janvier dernier. Le président de la commission se souvient qu'après avoir entendu les représentants de cette fédération, j'étais venu le voir pour lui dire qu'en conscience il me semblait qu'il fallait faire une audition publique de cette association, parce qu'il y a des choses que je ne voulais pas être seul à avoir entendues et parce que je voulais, précisément, éviter que cela ait l'air d'avoir été, en quelque sorte, concocté dans une procédure confidentielle. Vous avez bien voulu organiser cette audition, monsieur le président, et je vous invite, mes chers collègues, à vous reporter à mon rapport écrit, qui comporte en annexe le texte des dépositions faites par ces personnes.
Quant aux autres associations, qui ne se sont manifestées que beaucoup plus tard, lors du débat à l'Assemblée nationale, ce sont elles qui ont préféré ne pas se rendre à une nouvelle audition organisée par votre rapporteur le 23 mai dernier et à laquelle je les avais invitées par écrit. Ce n'est donc pas le Sénat, mais elles qui ont refusé le dialogue contradictoire. Je ne leur fais pas de reproche, mais qu'elles veuillent bien ne pas nous en faire ! Elles ont préféré - et elles préfèrent toujours - des déclarations unilatérales, qui témoignent, me semble-t-il, d'une certaine méconnaissance du contenu de la réforme proposée. Et, une fois encore, je mesure mes propos eu égard aux intérêts si respectables qui s'expriment ainsi.
Enfin, notre démarche est consciencieuse, car cette réforme ne méconnaît aucunement les très légitimes intérêts des victimes. Elle tend seulement à ce que l'on ne confonde pas, pour résumer les choses en une formule simple, le concept de responsabilité avec celui de bouc émissaire.
C'est dans ce souci d'équilibre que la commission a écarté la solution consistant à soumettre toute plainte concernant un élu au filtre préalable d'une commission administrative. Il faut se souvenir que cela a été proposé, défendu et même voté sur ces travées ! Nous n'avons pas repris ce cheminement, qui aurait pu susciter de telles critiques.
Ce faisant, non seulement la réforme présente le caractère de portée générale et non discriminatoire souhaité, en particulier, par le chef du Gouvernement, mais elle garantit en outre que, dans le cadre de l'instruction, qui reste totalement ouvert, les investigations les plus minutieuses et les plus approfondies seront conduites de telle sorte que les circonstances, les causes proches ou lointaines des accidents seront totalement élucidées.
Il est parfaitement inexact et il est sans fondement de soutenir que ce texte aurait pour résultat d'occulter les circonstances des accidents ou de rendre impossibles les instructions auxquelles ces accidents donnent lieu et qui, effectivement, présentent, pour les victimes, des commodités de financement qui sont tout à fait appréciables et qu'il n'est pas du tout dans notre esprit de supprimer. Là encore, il y a des accusations véritablement trop éloignées de la réalité ! En ce qui concerne les amendements, un journaliste du soir, comme on dit, a cru devoir affirmer que la commission des lois avait pris sa décision sans s'y arrêter, sans les examiner. Et pour cause, monsieur le journaliste du soir, puisqu'ils ont été déposés hier soir, en fin d'après-midi ! C'est très commode pour une commission, n'est-ce pas ?
On me permettra de conclure ce propos sur une note plus personnelle. Je sors ainsi quelque peu du rapport.
Je rappelle que j'ai toujours milité, ici et ailleurs, en faveur non d'une déresponsabilisation de la vie sociale et économique, mais, tout au contraire, en faveur d'un approfondissement et d'une extension du concept de responsabilité. Cela m'a conduit, dans bien des circonstances, à me faire l'avocat des victimes.
A l'époque où je dirigeais l'Institut national de la consommation, en 1979-1980, c'est moi qui, le premier, ai dénoncé et fait dénoncer dans les publications de l'INC les dangers de l'amiante. L'un de nos collègues de l'époque m'avait, alors, fait venir en Alsace pour expliquer aux viticulteurs alsaciens pourquoi il fallait cesser d'utiliser des filtres à base d'amiante. J'ai donc joué ce rôle, et cela ne m'a pas fait - vous vous en doutez ! - que des amis.
Plus récemment, j'ai tenté de m'opposer à l'exonération de responsabilité des risques de développement. Nous n'étions pas très nombreux à mener ce combat, et nous avions en face de nous le Gouvernement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'était pas celui-là !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Si ! Veuillez m'excuser, cher ami, mais votre mémoire vous fait défaut ! Nous avons successivement connu, sur ce front, M. Vauzelle et Mme Guigou, c'est tout à fait certain.
Je ne saurais donc accepter les procès d'intention de hâte suspecte ou de parti pris. Ma démarche, aujourd'hui, et j'ose le dire, comme toujours, ne s'inspire que d'un souci d'équité et de l'exigence d'une justice digne de ce nom.
C'est donc en toute sérénité qu'au nom de la commission des lois je vous invite, mes chers collègues, à confirmer vos intentions en votant conforme le texte de l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)