INSERM 1979
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 Un groupe de travail s'est réuni à l'INSERM le 30 mai 1979, c'est à dire environ trois ans après le premier "conflit médiatisé" sur les risques liés à l'usage de l'amiante qui avait suivi la réunion d'experts au Centre International de Recherches sur le Cancer de Lyon du 13 au 17 septembre 1976.

RAPPORT DU
GROUPE DE REFLEXION SUR LES PROBLEMES POSES
PAR L'AMIANTE ET PAR LES AUTRES FIBRES

SOMMAIRE DU RAPPORT

 

1 - Etat actuel des connaissances sur la pathologie en rapport avec les fibres

1.1. Les certitudes

1.1.1. Effet fibrosant

1.1.2. Effet cancérogène

1.1.3. Action pathogène des autres fibres

1.2. Les interrogations

1.2.1. Relations dose-effet

1.2.2. Effets de l'amiante ou d'autres fibres

Effet fibrosant et cancérogène

1.2.3. Mécanisme des effets biologiques des fibres au niveau cellulaire

1.2.4. Dépôt, pénétration, épuration et migration des fibres

1.2.5. Aspects immunologiques

1.2.6. Les cofacteurs

1.2.7. Traitement des fibres

2 - Les problèmes de l'amiante en France

2.1. Etendue du problème en France. Données de mortalité et de morbidité

2.1.1. Les indices sanitaires

2.1.2. Les enquêtes étiologiques

2.2. Inventaire des sources de pollution par l'amiante et d'autres fibres

2.2.1. L'inventaire des expositions du passé

2.2.2. L'inventaire des expositions actuelles

2.3. Les équipes de recherches françaises

2.4. Les moyens techniques nécessaires

2.5. Mesures législatives et réglementaires. Leur impact et leur effet

 

**********************

 

A la demande du Directeur Général de L'INSERM un groupe de réflexion s'est réuni le 30 Mai 1979 pour :

          - Effectuer une mise au point sur les connaissances vis à vis de la pathologie en rapport avec les fibres.

          - Préciser la situation des études et recherches en France sur ce thème.

          - Mettre l'accent sur les voies de recherche susceptibles d'être actuellement développées.

Composition du Groupe

Membres du Groupe de réflexion présents lors de la réunion du 30 Mai 1979, présidée par P. LAZAR : Mmes et MM. BIGNON, BOULMIER, BOUTIN, DORMONT GREFFARD, JOUAN, LAFUMA, MOLINIA, PERDRIZET, POCIDALO, SARACCI, SEBASTIEN YANA.

Excusés : MM. CAILLARD, GONI.

 

1 - ETAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR LA PATHOLOGIE EN RAPPORT AVEC LES FIBRES

1.1. Les certitudes

Les données épidémiologiques et expérimentales de ces dernières années ont confirmé l'existence de 2 types d'effets pathogènes en rapport avec l'exposition aux poussières d'amiante : les effets fibrosants et les effets cancérogènes.

1.1.1. Effet fibrosant

L'effet fibrosant pulmonaire est connu de longue date : il s'agit de l'asbestose pulmonaire. On sait actuellement, d'après des études expérimentales et des données épidémiologiques que la production de la fibrose pulmonaire dépend de la dose et de la longueur des fibres : plus les animaux (ou les travailleurs) inhalent de fibres, plus ces fibres sont longues et plus la fibrose pulmonaire est sévère. Lors de la fibrose débutante des perturbations de la fonction respiratoire ont été constatées au niveau des petites voies aériennes (modification de la courbe débit-volume).

L'effet fibrosant au niveau de la plèvre pariétale est également bien documenté par les observations cliniques et épidémiologiques de plaques pleurales fibro-hyalines ou calcifiées en association avec l'exposition aux fibres d'amiante.

1.1.2. Effet cancérogène

L'effet cancérogène en rapport avec l'exposition à l'amiante est actuellement démontré à la fois par les données épidémiologiques et par les données expérimentales chez l'animal. Les tumeurs s'observent au niveau de fréquents s'observent au niveau de divers organes, mais les cancers les plus fréquents s'observent au niveau du poumon, de la plèvre et du péritoine, et moins fréquemment au niveau du larynx, du tube digestif et d'autres organes. La particularité des cancers en rapport avec une exposition à l'amiante est une longue période de latence entre le début de l'exposition et l'extériorisation clinique du cancer (de l'ordre de 40 ans pour les mésothéliomes pleuraux et péritonéaux).

Actuellement, les enquêtes épidémiologiques chez les sujets fortement exposés à l'amiante dans certaines industries ont montré qu'approximativement 20 % des travailleurs mourraient de cancer du poumon, 7 à 11 % de mésothéliomes et qu'il existait un pourcentage accru de cancers d'autres sièges, gastro-intestinaux, pharyngo-laryngés, rénaux.

1.1.3. Action-pathogène des autres fibres

Pendant les dernières années, divers travaux experimentaux ont démontré que d'autres types de fibres que l'amiante (fibres de verre/, minéraux fibreux divers) pouvaient également donner des cancers du poumon, de la plèvre ou du péritoine chez l'animal après inhalation, injection intratrachéale, injection ou implantation intra-pleurale et injection intra-péritonéale. Pour le moment, il n'y a aucun fait clinique ou épidémiologique indiscutable pouvant démontrer que les fibres autres que l'amiante étaient à l'origine de mésothéliomes ou de cancers chez homme. Néanmoins, récemment, des mésothéliomes d'environnement ont été observés de façon très significative au niveau de la population de certains villages turcs. C'est particulièrement le cas du village de KAREIN en Cappadoce où il semblerait que les fibres responsables soient des zéolites fibreuses provenant des tuffs volcaniques. (Baris et al, 1978). Cette épidémiologie géographique, très intéressante pour comprendre la cancérogénèse par les fibres chez l'homme, préoccupe toute la communauté scientifique internationale ; une enquête épidémiologique est actuellement conduite sur le terrain par le Groupe épidémiologique du Centre International de Recherche contre le Cancer de Lyon.

1.2. Les interrogations

Malgré tout cet acquis il persiste actuellement un nombre important d'inconnues sur les effets pathogènes des fibres.

1.2.1. Relations-dose-effet.

Sur les relations dose-effet, des analogies frappantes sont constatées avec les recherches menées sur tous les polluants cancérogènes et singulièrement sur les radiations ionisantes. Un exemple en est donné par l'étude expérimentale des conséquences de l'inhalation de plutonium ou des fibres d'amiante. Ces conséquences ont des points communs comme l'apparition de cancer à localisations multiples.

L'étude de la relation dose-effet devrait être abordée selon 2 axes simultanés : les enquêtes épidémiologiques et la recherche expérimentale.

Les enquêtes épidémiologiques ont déjà permis d'établir des relations dose-effet indiscutables chez des groupes de travailleurs de l'industrie de l'amiante mais, en fait, ces relations concernent des expositions à doses fortes et une faible proportion seulement de la population se trouve exposée à de tels risques. Par contre, il y a d'importants groupes de populations à de faibles doses. Le problème de la protection de ces groupes se pose en Santé Publique aussi bien pour les travailleurs que pour les personnes exposées à de faibles doses de l'environnement, en dehors de tout risque professionnel.

Or, pour ces expositions à faible dose il persiste de nombreuses inconnues.

Existe-t-il une dose seuil au dessous de laquelle il n'y aurait pas de cancer ? Faut-il chercher à déterminer une dose seuil ?

Est-il pertinent de proposer une limite provisoire à moins de 50 nanogrammes par mètre cube d'air ?

Sera t-il possible, dans des enquêtes comme celle entreprise sur la collectivité de Jussieu, de mettre en évidence des marqueurs très précoces de l'exposition à l'amiante (épaississements pleuraux, rigidités diaphragmatiques même pour des faibles doses et après une courte période de latence ?

Une enquête comme celle menée à Clermont-Ferrand chez les anciens travailleurs de l'usine Amisol, où toute activité a cessé à un moment précis devrait permettre d'évaluer l'évolution de l'effet fibrosant après cessation de l'exposition.

Mais l'approche épidémiologique du problème des relations dose-effet a des limites et l'analyse des données recueillies au cours d'enquêtes épidémiologiques ne permettra pas de répondre à toutes les questions qui se pose à ce sujet.

1.2.2. Effets de l'amiante ou d'autres fibres. Effet fibrosant et cancérogénèse.

1.2.2.1. Effet fibrosant

Il persiste actuellement de nombreuses inconnues sur les mécanismes fibrosants : s'agit-il de la libération d'une substance x après phagocytose des fibres par les macrophages alvéolaires comme semblerait l'indiquer certains travaux préliminaires ? S'agit-il de la libération de multiples anticorps de l'intervention du complément, des T Suppresseurs ? Quel sont les mécanismes responsables de la fibrose au niveau de la plèvre et pourquoi cet effet est-il aussi important à ce niveau ? Quelles sont enfin les relations entre fibrose et survenue du cancer ?

1.2.2.2. Effet cancérogène

Cet effet est pour le moment complètement incompris

a) S'agit-il d'un effet physique (un "effet fibre") uniquement lié à la forme ? Diverses expérimentations animales et plus particulièrement le travail de STANTON et coll (1977) sont en effet arrivées à démontrer que le cancer induit au niveau des mésothéliums était lié aux paramètres physiques des fibres : diamètre et longueur. STANTON à partir de ces données expérimental a pu calculer une probabilité de cancer des fibres de verre de même constitution chimique : il prévoit 100 % de cancers quand les fibres ont à la fois un diamètre inférieur à 0,25 micron et une longueur supérieure à 8 microns.

b) S'agit-il d'un effet chimique, les fibres servant de véhicules à des carcinogènes chimiques ?

c) Cet effet est-il promoteur ou initiateur ?

Plusieurs équipes étudient actuellement les effets mutagènes et cancérogènes des fibres sur cultures cellulaires ou organotypiques (cellules mésothéliales, fibroblastes, culture de trachée) ou sur bactéries... Ces travaux sont peu avancés et n'ont pas mis en évidence d'effet mutagène caractérisé leur poursuite devrait permettre de comprendre les mécanismes de la cancérogénèse par les fibres.

1.2.3. Mécanismes-des effets biologiques des fibres au niveau cellulaire

L'interaction fibres cellules a été étudiée par des tests in vitro mis au point dans plusieurs laboratoires pour essayer de classer les fibres en fonction de leurs effets cyto-pathogènes : hémolyse du globule rouge et libération d'enzymes par le macrophage péritonéal ou alvéolaire.

Ces tests ont permis de classer les fibres en fonction de leur réactivité biologique :

- Certaines fibres sont plus réactives que d'autres ( le chrysotile est plus hémolytique que le crocidolite)

- Certains traitements préalables des fibres (lixiviation par les acides) modifient la cytotoxicité, diminuant l'effet hémolytique (chrysotile) ou au contraire l'augmentant (crocidolite).

- L'interaction entre fibres et cellules semble faire intervenir. de façon très importante l'état de surface des fibres et, peut être, la charge électrique des fibres. On sait que certaines fibres (chrysotile ont de grandes propriétés adsorptives vis à vis de macromolécules (protéines, phospholipides) et également vis à vis de molécules organiques (nitrosamines, nicotine, NOx, SO2)

Tous ces travaux préliminaires ne permettent pas de comprendre pour le moment le mécanisme exact des interactions entre particules fibreuses, et cellules, bien que les recherches actuelles concourent à démontrer le rôle très important des membranes plasmiques et peut être également lysosomale et nucléaires dans ce type d'interaction.

Une hypothèse a été récemment formulée : c'est l'existence de corrélations entre la cytotoxicité in vitro et l'effet cancérogéne in vivo.

En effet, les auteurs bri tanniques du MRC, (Pneumoconiosis unit, Penarth (UK) ont constaté que les fibres de chrysotile lixiviées à 95 % par l'acide chlorhydrique, d'une part entraînaient une libération moindre d'enzymes par les macrophages alvéolaires in vitro et d'autre part induisaient un nombre beaucoup moins important de mésothéliomes chez l'animal. Les mêmes observations ont été faites par les Groupes de J. BIGNON et J. LAFUMA dans un travail expérimental en cours ; cependant, dan s cette expérience les relations entre cytotoxicité et effet cancérogène ne semblent pas aussi évidentes que dans l'expérience britannique, ce qui justifie des recherches plus approfondies.

1.2.4. Dépôt, pénétration, épuration et migration des fibres

La rétention des fibres dans l'organisme Humain est la résultante des mécanismes suivants: dépôt, pénétration, épuration, migration.

L'état actuel des connaissances dans ce domaine peut être présenté ainsi :

1.2.4.1. Dépôt des fibres

Pour le moment, il n'existe pas de modèle théorique satisfaisant pour la prédiction des probabilités de dépôt des fibres d'amiante dans les différents compartiments du système respiratoire (voies respiratoires, supérieures, bronches, alvéoles), en fonction des caractéristiques granulométriques des particules.

Il faudrait vérifier que les fibres minérales artificielles dont les caractéristiques granulométriques sont généralement supérieures à celles des fibres minérales naturelles se déposent préférentiellement dans les voies aériennes supérieures.

Les modalités de dépôt des fibres à la surface de la muqueuse digestive n'ont pas encore été étudiées.

1.2.4.2. Pénétration

Il a été démontré expérimentalement que les fibres d'amiante et les fibres synthétiques sont capables d'être phagocytées in vivo par les cellules de l'épithélium alvéolaire et in vitro par les cellules mésothéliales en culture. La pénétration de la muqueuse intestinale a également été objectivée.

1.2.4.3. Epuration

La clairance alvéolaire des fibres inhalées dure pratiquement toute la vie chez l'homme, puisque des fibres d'amiante et des corps asbestosiques ont été retrouvés jusqu'à trente années après la fin de l'exposition dans l'expectoration et dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire.

Le tractus digestif est contaminé soit directement par les fibres épurées par les voies respiratoires, soit directement après ingestion d'eaux de consommation, de boissons, d'aliments et de certains médicaments contentant des fibres. Des fibres d'amiante ont été retrouvées dans les fècès au microscope électronique à transmission. Il semble que les fibres trouvées dans l'urine soient plus d'origine digestive que pulmonaire.

1.2.4.4. Migration

La découverte des fibres d'amiante et de corps ferrugineux chez l'homme à l'autopsie dans différents organes, plèvre, péritoine, ganglions lymphatiques thoraciques, rein, foie, rate, moelle osseuse, glandes surrénale, pancréas, suggère les possibilités de migration des fibres. Des études expérimentales ont confirmé cette migration après inhalation., injection intra-pleurale et sous cutanée.

Le coefficient de passage transintestinal chez des rats nourris par des granulés contenant de l'amiante est de l'ordre de 10-7 à 10-4 fibres.

La migration des fibres d'amiante vers la plèvre est un phénomène encore mal connu. Chez l'homme, la métrologie a montré que les fibres pleurales sont essentiellement constituées par des fibres courtes et fines de la variété chrysotile. Il n'existe apparemment pas de corrélation entre le nombre et le type des fibres en rétention dans la plèvre pariétale et dans le parenchyme alvéolaire.

. La migration des fibres autres que l'amiante n'est pas documentée.

. Les mécanismes de migration sont très mal connus ; ils semblent dépendre pour une large part des caractéristiques physico-chimiques des fibres. L'étude de telles caractéristiques apparaît donc essentielle pour le choix des matériaux fibreux susceptibles d'être substitués à l'amiante dans les années à venir.

1.2.5. Aspects immunologiques

Diverses manifestations auto-immunes (arthrite : rhumatoïde avec ou sans facteur rhumatoïde, anticorps antinucléaires) ont été observées avec une fréquence anormale en association avec l'exposition à l'amiante surtout en cas d'asbestose pulmonaire. Ces constatations ont suscité quelques rares études sur l'immunité humorale et cellulaire de patients atteints d'asbestose pulmonaire. KAGAN et coll. ont constaté chez des asbestosiques sévères des anomalies de la réponse immune (dépression de la réponse in vitro des lymphocytes circulants à des mitogènes et antigènes, absence de sensibilisation cutanée au DNCB). Ces résultats n'ont cependant pas été confirmés par un travail récent (GAUMER et al 1979) ; celui-ci a par contre mis en évidence une dépression des lymphocytes suppresseurs, qui pourrait expliquer les titres élevés d'anticorps auto-immuns et d'immuno-globulines chez les asbestosiques. Par ailleurs, il a été montré que les fibres étaient incapables d'activer la voie alterne du complément.

Les anomalies immunologiques constatées chez les sujets exposés à l'amiante justifient la poursuite de telles recherches, l'aberration de la réponse immune pouvant être un des facteurs favorisant l'effet cancérigène des fibres.

1.2.6. Les cofacteurs

Les risques multiplicatifs ou synergiques en matière de cancérogenèse par les fibres représentent actuellement un champ d'investigation très important, encore peu exploré.

Le nombre des cofacteurs est probablement élevé ; parmi eux sont cités à titre d'exemple: le tabac, les radiations et certains médicaments pris lors de traitements au long cours.

Le risque multiplicatif de cancer du poumon avec l'association tabac et amiante a été mis en évidence par Selikoff et par Berry chez des ouvriers de l'industrie de l'amiante. Récemment, Hammond, Selikoff et Seidmann ont repris l'étude d'une cohorte de 17 800 travailleurs de l'amiante : le risque relatif de mortalité par cancer du poumon chez les exposés non fumeurs était x 5,17. Dans le groupe contrôle, non exposé, chez les fumeurs à plus de 20 cigarettes par jour, le risque relatif était x 10,65. Dans le groupe exposé simultanément à l'amiante et à la fumée de cigarettes, le risque relatif de cancer pulmonaire par rapport aux sujets non fumeurs et non exposés à l'amiante était 53,24.

Une étude expérimentale chez le rat actuellement réalisée par J. LAFUMA et R. MASSE (C.E.A.) en collaboration avec le groupe de J. BIGNON (Créteil) semble indiquer que des animaux d'abord exposés au radon puis recevant du chrysotile par voie intrapleurale développent des mésothéliomes, plus souvent, plus rapidement et pour des doses plus faibles que les animaux traités par chrysotile seul.

Certains médicaments auraient aussi un effet cancérogène lorsqu'ils sont administrés après irradiation. Le largactil donne une réponse positive chez l'animal, l'isoniazide aussi pourrait être mis en cause.

Ces constatations posent des problèmes d'aptitude au travail en milieu exposé aux fibres d'amiante.

Il est essentiel d'acquérir des connaissances, d'une part pour la prévention en Santé Publique (éventuelle nocivité des examens radiologiques systématiques annuels ou bisannuels) et d'autre part pour une meilleure compréhension des mécanismes de la cancérogenèse par les fibres.

Les autres fibres ont-elles une action comparable ? Les réactions de certaines résines & enrobage de fibres synthétiques avec le milieu biologique ont été signalées.

1.2.7. Traitement des fibres

Un certain nombre de travaux explorent la possibilité de réduire la nocivité des fibres sans modifier l'essentiel des propriétés qui justifient leur production et leur emploi. Il parait intéressant d'encourager de telles investigations qui ouvrent une voie originale d'amélioration de la situation actuelle.

2 PROBLEME DE L'AMIANTE EN FRANCE

Depuis 4 ans, un groupe d'experts français travaille régulièrement sur le problème de l'amiante en Santé Publique, en liaison avec les experts de Communautés Européennes (CCE). Ce groupe avait pour objectif de préciser l'étendue du problème dans les différents pays membres, d'apprécier les relations dose-effet notamment aux doses d'environnement, afin éventuellement de préconiser une réglementation d'environnement pour les pays de la Communauté Européenne.

2.1. Etendue du problème en France. Données de mortalité et de morbidité.

2.1.1. Les indices sanitaires proviennent essentiellement de 2 sources les statistiques annuelles de mortalité de l'INSERM. et l'enregistrement systématique des cas de mésothéliomes.

2.1.1.1. Les statistiques annuelles de mortalité de l'INSERM permettent de connaître le nombre et la répartition des décès dus au mésothéliome, rapportés au lieu de résidence des malades. Mais l'exactitude du diagnostic peut être mise en doute : il n'est pas toujours facile de préciser l'origine primitive ou secondaire d'une tumeur pleurale comme cause de décès et, en cas d'imprécision ou de doute, les règles de codification de la cause de décès imposent de reporter "tumeur primitive", ce qui aboutit à une surestimation de la maladie. A l'opposé, il est possible de supposer une sous-estimation de cette même maladie car les examens assez complexes qui permettent d'aboutir au diagnostic ne sont pas toujours faits. Les autopsies sont rarement faites en France, et même lorsqu'elles sont effectuées le résultat n'est pas reporté sur les certificats de décès. Les erreurs se compensent peut-être, aucun argument ne permet de le prouver.

La réalisation des études de mortalité dépend des possibilités d'une meilleure utilisation des certificats de décès. Il faudra en effet au minimum, obtenir la signature d'un contrat entre l'INSERM et l'INSEE afin d'avoir connaissance de façon systématique de la date et du lieu de décès des personnes soumises à une exposition professionnelle connue.

La connaissance des causes individuelles de décès serait évidemment préférable.

2.1.1.2. L'enregistrement systématique des cas de mésothéliomes est effectué en France depuis 1965 par l'équipe de J. BIGNON (Créteil). Ces travaux sont faits en coopération avec les experts de la CCE qui pensaient que l'enregistrement des cas de mésothéliomes dans les différents pays membres devrait permettre d'apprécier l'étendue du problème d'amiante dans ces pays. Le nombre de cas déclarés en France, confirmés par l'histologie, s'élève à 43 cas en 1976, 115 en 1977, 176 en 1978. L'augmentation constatée est due à l'amélioration progressive du recueil des données, en raison du nombre plus élevé de médecins intéressés et de l'établissement d'une législation à partir de 1976.

L'exploitation de ce registre à des fins étiologiques est en cours actuellement en collaboration avec S. PERDRIZET. Cette exploitation rétrospective parait particulièrement difficile.

2.1.2. Les enquêtes étiologiques menées en France ont déjà fourni des informations sur des groupes limités de population. Mais il faut souligner les difficultés pour reconstituer les expositions du passé, pour surveiller la totalité du groupe exposé, pour constituer des groupes témoins. Plusieurs enquêtes ont été réalisées ces dernières années, sont encore en cours ou sont prévues :

- Enquêtes rétrospectives sur les anciens mineurs de la mine de chrysotile de Canari, en Corse (Dr. BOUTIN Marseille).

- Enquêtes rétrospectives sur les anciens ouvriers de l'usine textile Amisol (Pr. MOLINA, Clermont-Ferrand). Dans ces 2 séries d'enquête l'arrêt de l'exposition s'est fait brutalement, à un moment donné, lors de la fermeture de la mine et de l'usine.

Etude de la fonction respiratoire chez les ouvriers d'une usine d'amiante de Normandie par MM. CAILLARD, FABRE, et LEMENAGER.

- Enquêtes transversales sur les projecteurs d'amiante et enquêtes transversales et longitudinales chez les travailleurs d'une Centrale thermique (Drs. BIGNON et HIRSCH).

- Enquêtes sur le personnel de Jussieu, à Paris (MM. LAZAR, BIGNON, BONNAUD).

- Registre des mésothéliomes (J. BIGNON et S. PERDRIZET). Cette enquête est difficile à conduire, soulignant la carence d'un registre des cancers en France et les problèmes posés par la participation des médecins à une enquête épidémiologique française.

Des études pourraient être menées à Chambéry (R. SARACCI) dans le cadre des activités du CIRC à Lyon.

- La concertation avec les chercheurs des USA et du Canada (en particulier du Québec) serait probablement fructueuse.

2.2. Inventaire des sources de pollution par l'amiante et d'autres fibres

2.2.1. L'inventaire des expositions du passé est une tâche très difficile. Pour tenter de faire des évaluations de grandes agences U.S.A. dont le National Cancer Institute ont été obligées de recourir aux médias (radios, télévisions) pour informer et questionner le grand public sur une exposition antérieure à l'amiante depuis la dernière guerre mondiale. En Europe, les experts de la CEE ont pensé que des recherches effectuées à partir des cas de mésothéliomes déclarés permettraient d'évaluer en partie les expositions du passé.

2.2.2. L'inventaire des expositions actuelles est en cours de réalisation.

Les informations sur les sources actuelles de pollution industrielle ou d'environnement sont encore très fragmentaires. Un inventaire des gisements d'amiante en France a été établi en 1978 par le B.R.G.M.. Aucun, n'est en cours d'exploitation. Un travail a été réalisé dans le cadre du Ministère de l'Environnement, et du cadre de vie avec pour objectif le recensement des différents industries utilisant l'amiante ; il sera disponible dans quelques mois. La réglementation concernant les ambiances de travail est devenue effective en Août 1977 (inférieur à 2 fibres/ml d'air).

Cet inventaire devrait être complété par des informations provenant d'autres sources : armée, pompiers, entreprises de démolition.

Le problème majeur dans ces recensements est représenté par les expositions clandestines au niveau d'établissements n'utilisant l'amiante qu'accessoirement ou épisodiquement et non comme produit manufacturé principal. Il s'agit d'une action de toxico-vigilance industrielle"

Par ailleurs, une meilleure connaissance des effets pathologiques de l'amiante doit expliquer que l'asbestose est actuellement plus souvent reconnue comme maladie professionnelle (tableau 1 en annexe).

D'autres actions de vigilance vis à vis des risques en santé publique en relation avec les polluants fibreux doivent également être entreprises pharmaco-vigilance vis à vis de certains médicaments et toxico-vigilance vis à vis des aliments et des boissons, etc...

Enfin cette vigilance doit être élargie à toutes les fibres et notamment aux matériaux de substitution de l'amiante qui sont actuellement introduits sur le marché : fibres de verre, fibres de roche, dont il faut tester les effets toxiques et/ou cancérogènes, afin de prévoir des effets à plus long terme chez l'homme.

Evaluation de la consommation d'amiante en France

Environ 150.000 tonnes de chrysotile sont consommées par an. De 1966 à 1970 la moyenne de consommation était de 123 790 tonnes. Il serait important d'améliorer les connaissances sur la diversification des utilisations et sur les sources de pollution existantes ou potentielles.

2.3. Les équipes de recherche françaises (dans les domaines autres qu'épidémiologiques)

Il est extrêmement difficile de faire un recensement complet des équipes qui étudient l'action des fibres en pathologie humaine ou expérimentale.

La liste qui suit constitue la base d'un recensement plus exhaustif.

En physico-chimie et métrologie, un groupe de travail de métrologie a été constitué sous l'égide du Ministère de la Santé (M.C. VAILLE). Il réunit différents laboratoires équipés de microscopes électroniques qui travaillent à l'identification des fibres minérales, et notamment des différente variétés d'amiante. Les plus importants d'entre eux sont le laboratoire LEPI de la DASS (G. BONNAUD et P. SEBASTIEN), en association avec l'ERA CNRS n° 845 sur les Affections Respiratoires et l'Environnement (Pr. J. BIGNON Créteil) le BRGM (J. GONI) le CERCHAR (L. LE BOUFFANT ), le Laboratoire National de la Santé (Dr. NETTER), l'INRS (Vandoeuvre les Nancy) et l'Institut Pasteur de Lyon.

Mais il existe d'autres laboratoires qui ont entrepris plus récemment l'analyse de prélévements d'environnement ou biologiques.

L'objectif de ce groupe de travail était de standardiser les méthodes de mesures. Au niveau européen, un programme d'intercomparaison est en cours entre le laboratoire LEPI de la DASS (Paris) (P. SEBASTIEN), le laboratoire de Cardiff (F.D.POOLEY) et un laboratoire hollandais (Dr. PLANTDEYT) dans le but de standardiser les méthodes à utiliser.

En expérimentation animale et cellulaire, l'équipe de Créteil (ERA CNRS n° 845), l'équipe de L'unité INSERM U. 13 de l'Hôpital Claude Bernard et laboratoire de Toxicologie expérimentale du CEA conduisent actuellement des protocoles expérimentaux coopératifs sur la cytotoxicité in vitro et in vivo, sur la pénétration et la migration des fibres, sur la cancérogénèse expérimentale et sur la mutagénése in vitro. De son côté, le CERCHAR conduit également des protocoles expérimentaux..

2.4. Les moyens techniques nécessaires

Pour mener à bien les études concernant les particules fibreuses il reste à résoudre les problèmes de technologie, au niveau expérimental et au niveau épidémiologique.

Au niveau expérimental, il serait souhaitable de pouvoir disposer de chambres d'ambiance pour exposition de longue durée qui permettraient d'assurer une dispersion homogène des fibres dans l'air et d'associer d'autres polluants. Ces points méthodologiques préliminaires sont très importants et particulièrement difficiles à résoudre en ce qui concerne les fibres. Ces expérimentations animales, surtout chez les primates, devraient permettre de répondre aux questions concernant la pénétration, l'épuration et la migration des fibres au moyen des techniques biométrologiques des fibres dans les tissus. Un tel programme devrait prendre en compte les aspects financiers. Ainsi pour l'étude de la relation dose-effet, il faut prévoir un nombre d'animaux d'autant plus grand que les doses d'exposition seraient plus faibles. L'achat et l'entretien de ces animaux de laboratoire poseraient manifestement un problème financier étant donné le prix annuel d'un rongeur ou d'un primate. Cependant, le primate pourrait être envisagé pour des expériences de courte durée étudiant le devenir des fibres ayant pénétré dans l'organisme par inhalation ou par ingestion.

Au niveau épidémiologique il faudrait dégager les moyens nécessaire en personnel pour permettre d'engager un programme de recherche.

2.5. Mesures législatives et réglementaires. Leur impact et leur effet

Un certain nombre de mesures officielles ont été prises depuis 1976 :

1° Le tableau 30 des maladies professionnelles a été complété par un décret du 5 janvier 1976 du Ministre chargé du Travail pour y inscrire les mésothéliomes de la plèvre, du péricarde et du péritoine.

Les maladies professionnelles provoquées par l'amiante sont définies comme suit :

- L'asbestose, fibrose broncho-pulmonaire ou manifestations pleurales consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante, lorsqu'il y a des signes radiographiques avec troubles fonctionnels respiratoires.

- Les complications de l'asbestose, insuffisance respiratoire aigüe, pleurésie exsudative, cancer broncho-pulmonaire, insuffisance ventriculaire droite.

- Le mésothéliome primitif pleural, péricardique ou péritonéal qui a fait l'objet du décret du 5 janvier 1976.

Depuis cette modification du tableau 30, le nombre de cas reconnus comme maladies professionnelles a augmenté (Tableau 1)

L'arrêté du 29 Juin 1977 a interdit le flocage de revêtement à base d'amiante dans les locaux d'habitation ; cette interdiction a été étendue à l'ensemble des locaux, qu'ils soient à usage d'habitation ou non, par un décret du 20 Mars 1978 relatif à l'emploi des fibres d'amiante pour le flocage des bâtiments

Outre l'inscription du mésothéliome, au chapitre 30 clés maladies professionnelles déjà mentionnée ci-dessus, la protection des travailleurs exposés aux poussières d'amiante a été réglementée par un décret du 17 Août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables aux établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiantes.

Ce texte a défini les mesures de prévention à mettre en oeuvre en la matière ; ce texte stipule, en particulier, que la concentration moyenne dans les locaux de travail ne devra pas dépasser 2 fibres/cm3 y les fibres prises en considération ayant une longueur supérieure à 5 micro et une largeur inférieure à 3 microns.

Il prescrit, en outre, que les travaux maintenant le personnel en contact avec l'amiante doivent être effectués par voie humide et définit la surveillance médicale à laquelle doivent être soumis les ouvriers en contact avec ce minerai.

Un arrêté du 25 Août 1977 relatif au contrôle de l'empoussièrement dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussière d'amiante définit les conditions dans lesquelles les contrôles d'empoussièrement doivent être effectués.

L'annexe à cet arrêté décrit de manière détaillée les méthodes de prélèvement et d'analyse qui sont réalisées en microscopie optique.

Les laboratoires chargés de ces contrôles doivent faire l'objet d'un agrément ; la liste des laboratoires agréés est disponible au Ministère chargé du Travail.

Il faut souligner que le nombre des ambiances industrielles soumises à contrôle est de plus en plus important.

Enfin, un arrêté du 8 Mars 1979, du Ministère chargé du travail précise les instructions techniques que doivent respecter les médecins du travail assurant la surveillance médicale des salariés exposés à l'inhalation de poussières d'amiante.

La nomenclature des Installations classées a été modifiée par un décret du 21 septembre 1977 pour y introduire les usines d'amiante ciment dont la capacité de production d'amiante est supérieure à 20.000 tonnes/an. Ces installations rangées en première classe, seront dorénavant soumises, à autorisation préfectorale ; il convient cependant de faire remarquer que ces établissements étaient visés par la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement à d'autres titres que l'emploi de l'amiante (installations de broyage, installations de combustion...).

Un décret du 19 Août 1977 relatif aux informations à fournir au sujet des déchets générateurs de nuisances impose aux producteurs de déchets contenant de l'amiante de fournir des informations détaillées sur la nature et les quantités de déchets produites ainsi que sur les conditions de leur élimination.

Ce décret, qui vise l'amiante, est pris en application de la loi du 15 Juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux.

L'arrêté du 17 octobre 1977 relatif au transport de l'amiante définit les conditions dans lesquelles le transport de ce minerai doit être assuré. Cet arrêté est complété par une annexe technique concernant les consignes à observer au cours des opérations de transport.

Le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France a enfin recommandé que la concentration de 50 nanogrammes /m3 soit prise comme valeur de référence pour la réalisation de travaux dans des locaux ayant fait l'objet d'un flocage à l'amiante.

Cette assemblée a également recommandé que la filtration à l'amiante des liquides alimentaires soit abandonnée ou complétée par une filtration permettant d'arrêter les fibrilles d'amiante ; cette recommandation aurait été portée à la connaissance des producteurs et des négociants par le Ministère de l'agriculture.

Des recommandations ont été données au Syndicat National de l'Industrie Pharmaceutique pour que "la filtration des sirops, des solutés injectables soit remplacée ou complétée par d'autres moyens de filtration".

Il serait important de savoir si l'application des mesures est effective et de s'interroger sur les modifications de l'état sanitaire qu'elles ont entraînées.

                            TABLEAU

Asbestoses et silicoses reconnues comme maladies professionnelles pendant les 10 dernières années.

 

 

Années

Nombre de cas de maladies

Professionnelles en liaison avec une exposition à l'amiante

Silicose

Régime général

(1)

Régime minier

1968

18

660

2880

1969

13

599

2227

1970

6

S21

2480

1971

12

S63

2093

1972

22

588

2060

1973

24

607

1921

1974

41

594

3210

1975

37

616

2641

1976

54

671

2486

1977

77

629

2116

 

(1) Régime général de la Sécurité Sociale.

3 - CONCLUSIONS (voies de recherche susceptibles d'être développées).

Au travers de l'expérience de chacun de ses membres et à la lumière des discussions du 30 mai 1979, le groupe de travail a acquis la conviction que le problème de l'amiante et, de façon plus générale, des diverses catégories de fibres restait, malgré les acquis des dernières années, un problème en grande partie non résolu au plan de la recherche comme au plan de la Santé Publique.

Plutôt que de tenter de justifier cette importance par une évaluation hasardeuse dans les conditions actuelles de la connaissance, de la part de la mortalité directement attribuable aux fibres, le groupe a préféré mettre l'accent sur les points qui lui paraissent essentiels à approfondir, estimant que leur énumération est en elle même suffisamment éclairante. La plupart de ces points concernent aussi bien la biologie, expérimentale que l'épidémiologie.

3.1. Analogie du problème de l'amiante avec d'autres problèmes environnementaux

Le problème de l'amiante se pose en termes tout à fait parallèles à celui, par exemple, des radiations ionisantes et, de façon plus générale, à celui de toutes les nuisances pour lesquelles on dispose d'une certaine information quant à leurs effets biologiques et épidémiologiques à des doses moyennes ou élevées, mais pour lesquelles des interrogations subsistent au niveau des doses faibles, celles qui concernent la population générale, ou les travailleurs après mise en place de moyens de protection (problèmes d'extrapolation vers le bas des relations dose-effet et de définition de normes). Ces problèmes qui sont au coeur d'une des interrogations les plus répandues des Sociétés industrialisées, ne peuvent que s'éclairer les uns les autres par leur confrontation.

3.2. Effets biologiques et effets pathogènes de l'amiante

On sait que l'amiante produit, à terme, deux grandes pathologies des fibroses et des cancers (pleuro-pulmonaires, péritonéaux, etc ... ). On sait beaucoup moins bien quels sont les mécanismes et les étapes de cette pathogénèse, et notamment s'il s'agit de voies évolutives indépendantes. Cette interrogation est importante vis à vis de l'amiante et vis à vis de la connaissance des pathologies citées, mais elle concerne également, de façon cruciale, le problème des fibres de substitution pour lesquelles on aimerait pouvoir éviter d'avoir à attendre 30 ou 40 ans avant de découvrir leur nocivité.

3.3. Dynamique de l'exposition à l'amiante et aux cofacteurs de pathogénicité

Le problème de l'exposition massive à l'amiante en milieu industriel spécialisé peut être considéré en voie de solution depuis la définition de normes et de mesures de protection. En réalité, il ne s'agit que d'une étape d'une part du fait des difficultés d'ordre métrologique (voir paragraphe suivant), d'autre part, parce qu'il existe en fait toute une série de schémas très diversifiés d'exposition à l'amiante et aux cofacteurs de risque (tabac. par exemple) et qu'il importerait de savoir comment évolue la situation sanitaire en fonction des modifications que l'on est susceptible : d'introduire dans ces schémas. En particulier il conviendrait de s'interroger sur le problème des expositions massives discontinues (chantiers de démolition par exemple) et sur le problème de la répercussion des modifications de l'exposition aux cofacteurs (voir aussi, plus bas, le chapitre "cofacteurs").

3.4. Aspects métrologiques et biométrologiques

Le problème du contrôle des "doses" d'amiante ou de fibres est loin d'être résolu. Les méthodes retenues au plan légal pour ce qui est des expositions professionnelles sont très grossières (elles ne tiennent pas compte de la granulométrie, pourtant essentielle, comme on le sait, du point de vue de l'effet biologique des fibres). Les informations recueillies sont donc très difficilement exploitables à des fins de recherche épidémiologique. Au plan expérimental, on ne dispose pas, actuellement, des moyens matériels permettant de créer des conditions semblables à celles des expositions humaines (chambres d'ambiance). Il semble donc important de résoudre ces deux problèmes d'ordre technique afin de pouvoir aborder, dans des conditions sérieuses, le problème de la biométrologie ; c'est à dire de la mesure directe, chez l'homme ou chez l'animal, des traces primaires des fibres. C'est à partir d'études de validation de ces mesures que l'on pourrait rechercher et retenir les marqueurs les plus représentatifs de l'exposition aux fibres, base essentielle des études biologiques ou épidémiologiques venant en aval de ces mesures.

3.5. Cinétique le pénétration et de rétention des fibres

Dans le droit-fil des problèmes biométrologiques évoqués ci-dessus se pose celui des voies de pénétration des fibres (inhalation mais aussi ingestion), de leur transfert dans l'organisme, de leur rétention sélective dans les tissus en fonction de leurs caractéristiques.

De telles études, actuellement très insuffisantes, paraissent importantes du point de vue métrologique (que mesure-t-on exactement quand on décèle des fibres ?), du point de vue épidémiologique (quelle est la conséquence des longues rétentions observées et des aspects différentiels constatés ?) et du point de vue biologique (mécanismes intimes d'interactions avec les cellules et les tissus).

3.6. Cofacteurs

On connaît le rôle multiplicatif du facteur amiante et du facteur tabac, dans l'incidence du cancer broncho-pulmonaire. Des travaux expérimentaux semblent indiquer que de telles interventions de cofacteurs pourraient bien être beaucoup plus générales. En particulier un effort d'investigation parait tout à fait souhaitable dans le domaine de l'analyse des co-effets éventuels des irradiations professionnelles ou médicales et de certains médicaments absorbés de façon chronique.

3.7. Comparaison des diverses fibres

Les dangers reconnus de l'amiante ont conduit certaines entreprises voire certains pays, à substituer à ce matériau toute une série d'autres fibres, qui, ne bénéficiant pas du même recul d'utilisation que l'amiante, ont des effets épidémiologiques à long terme pratiquement inconnus. Il est clair qu'un effort d'investigations comparatives est nécessaire pour permettre d'éclairer le plus rapidement possible sur les risques relatifs à chacune de ces catégories de fibres et pour analyser les convergences et divergences de biologiques (à la fois pour valider les comparaisons entre fibres et pour mieux comprendre les mécanismes pathogènes en jeu).

Dans le même ordre d'idée, il faudrait étudier les effets des fibres ayant subi divers traitements susceptibles d'atténuer leur toxicité sans modifier leurs principales propriétés industrielles.

3.8. Inventaire des populations exposées

A la charnière des problèmes épidémiologiques et de Santé Publique se situe la connaissance des populations les plus exposées. Le Ministère de l'Environnement et du Cadre de Vie fournira prochainement une analyse complète de la situation française. Cette analyse ne sera cependant pas exhaustive, notamment du point de vue des sources "clandestines" d'exposition (utilisation de l'amiante en dehors des lieux où il est aisé de contrôler le respect des normes).

Un effort complémentaire est donc nécessaire. Un élément d'information d'ordre très général peut provenir de l'analyse de l'évolution, dans le temps et dans l'espace, de l'utilisation de l'amiante et des autres fibres (masses utilisées, diffusion, diversification des emplois etc ... ), analyse effectuée d'après les informations de source économique.

3.9. Etude de l'impact et de l'effet des mesures à visée sanitaire

Dans la ligne des réflexions sur les problèmes d'évaluation des actions à visée sanitaire, un bilan de l'impact (portée effective des mesures prises) et si possible de l'effet (évolution de la situation sanitaire, au moins au travers de "marqueurs" à moyen terme) serait souhaitable. On pourrait commencer par rassembler des informations sur la situation européenne et, plus généralement internationale, avant de s'attaquer directement au problème en France. Une telle approche suppose une forme de dialogue entre chercheurs et "décideurs", publics (Pouvoirs Publics) ou privés (Entreprises concernées).

Il va de soi que ces neuf chapitres ne constituent pas en eux mêmes, un programme de recherche ou d'action. On conçoit néanmoins assez facilement comment ils pourraient servir de base à la définition de travaux coopératifs entre les diverses institutions concernées par le problème de l'amiante et des fibres de substitution.

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