Determination d’une exposition environnementale à l'amiante

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Santé Publique

 

BULLETIN EPIDEMIOLOGIQUE HEBDOMADAIRE

N° 35 - 29 août 2000

Détermination d'une exposition environnementale à l'amiante dans le cadre d'une démarche d'évaluation des risques sanitaires à Andouillé, Mayenne

Philippe Glorennec1, Daniel Riviere2, Gérard Tessier2, Stéphane Roy3, Jean-Luc Boulmier3, Philippe Quenel4, Claire
Schvoerer1, Corinne Le Goaster 4, Michel Jouan 4.

(1) Cellule Inter-Régionale d'Epidémiologie Ouest
(2) Direction départementale des affaires sanitaires et sociales de la Mayenne
(3) Bureau de Recherches Géologiques et Minières
(4) Institut de Veille Sanitaire

INTRODUCTION

Le hameau de Rochefort, commune d'Andouillé (Mayenne), est construit autour d'une ancienne usine de transformation de
l'amiante, en activité jusqu’en 1952. Sur le site industriel, réhabilité de façon artisanale, persistent des déchets amiantifères et
des fibres d'amiante sont susceptibles d'être remises en suspension dans une zone à vocation résidentielle et touristique. La
fréquentation par la population d'un tel site a amené la DDASS à s'interroger sur la nécessité de préconiser des mesures
préventives, notamment afin de limiter le nombre de personnes exposées et prévenir ainsi l'apparition de pathologies liées à la
présence d'amiante sur le site. De manière pragmatique se posaient donc les questions de savoir s’il était pertinent de
suspendre l'urbanisation du village et de limiter l'usage de promenade autour de l'ancienne filature ? Si l’exposition
à l’amiante à l’intérieur des bâtiments a fait l’objet de nombreux textes réglementaires et débats, on s’est jusqu’à présent peu
intéressé aux expositions en atmosphère extérieure, ce qui donne un caractère original à cette approche.

MATéRIELS ET MéTHODES

L’approche consistant à réaliser une évaluation quantitative de risque est apparue appropriée à cette problématique de décision
en situation d'incertitude [1]. Celle-ci comporte quatre étapes :

l’identification des dangers ou détermination des effets néfastes des agents physiques, chimiques ou biologiques, soit
pour l’amiante essentiellement le cancer du poumon (latence de 10 à 20 ans) et le mésothéliome ou cancer de la plèvre
(latence moyenne de 30 à 40 ans) [2]. Le danger étant ici bien connu, il s’agit en fait d’identifier de façon certaine et
précise l’agent dangereux.

l’estimation des probabilités de survenue de ces dangers : il s’agit de quantifier le lien entre l’exposition et les effets
(relation exposition-risque). Concernant l’amiante, une relation (linéaire sans seuil) est proposée [2] pour les faibles
expositions à partir des observations faites chez l'homme à de forts niveaux (exposition professionnelle) pour estimer les
probabilités de survenue de cancers du poumon et mésothéliomes associés à une exposition à des fibres de chrysotile
et/ou amosite.

l’évaluation des expositions : cette étape a pour objet la quantification de l’exposition (quel agent, à quelle(s)
concentration(s), pendant combien de temps…) à laquelle est exposée la population (qui, combien ?) ;

la caractérisation du risque est l’étape de synthèse qui combine les données d’exposition et la relation exposition-risque.
Elle comporte une estimation quantitative globale de l’excès de risque lié aux polluants associée à une explicitation des
incertitudes. Habituellement, les estimations de risque (nombre de cas attendus) sont présentées en fonction des
expositions et de différents scénarii décisionnels.

Ici, l’objectif est de quantifier le gain sanitaire potentiel (nombre de cancers évités) associé à une éventuelle limitation
des usages d'habitation et de promenade dans le village de Rochefort.

Identification des agents dangereux :

Des échantillons de résidus présents sur le site ont été analysés en microscopie optique à lumière polarisée (MDHS 77).

Détermination des expositions :

La population concernée a été approchée à partir des estimations locales (jugement de la municipalité et de la Ddass).

Les niveaux d’exposition ont été estimés par campagne métrologique de comptage des fibres d’amiante dans l’air.

Stratégie d’échantillonage

Les points de prélèvements (cf. figure 1) ont été choisis pour être représentatifs des zones où la population est susceptible
d’être exposée : celles habitées et urbanisables d'une part (quatre points dans le village), les lieux de promenade d'autre part :
chemin de halage longeant la rivière (un point) et à proximité du chemin surplombant l'usine (un point). Pour la période de
prélèvement, il a été décidé - par souci d'économie - de caractériser en premier lieu l'exposition en période à priori favorable
au ré-envol des fibres, soit en saison "sèche" (période estivale). Cela permettait de s'affranchir d'une campagne de mesure
complémentaire en saison humide si les niveaux observés étaient faibles et suffisaient à eux seuls pour conclure. Afin de
s'assurer d'une représentativité suffisante par rapport aux conditions météorologiques et d’usage du site, les prélèvements ont
eu lieu pendant un mois. Les prélèvements ont été effectués à une hauteur comprise entre 1,5 m et 2 m au dessus du sol.

Figure 1 - Schéma du village de Rochefort Andouillé, Mayenne, France.

behetuf1.gif (10112 octets)


Méthode d’analyse

Un volume d'air mesurable est pompé en continu et filtré. D'éventuelles fibres d'amiante se déposent ainsi sur le filtre. Les filtres
sont ensuite examinés par microscopie électronique à transmission, permettant une identification et un comptage des fibres
d'amiante. Le nombre de fibres identifiées est rapporté au volume d'air prélevé. Les prélèvements et analyses ont été réalisés
par le BRGM selon la norme NF X 43-050 [3]. Si l’analyse ne révèle aucune structure, la limite supérieure de l’intervalle de
confiance à 95 % (IC) de la concentration en fibres, prise comme limite de détection, peut être indiquée comme étant la limite
supérieure de concentration, correspondant à 2,99 fois la sensibilité analytique si l’on suppose une distribution de Poisson des
structures sur le filtre [3].

RéSULTATS

1. Identification des agents dangereux : les échantillons prélevés contenaient des fibres d’amiante chrysotile et crocidolite
(traces d’amosite) [4].

Estimation des expositions :

La population exposée est estimée à 80 riverains, jusqu’à 120 en fonction de l’urbanisation et de 3 500 à 35 000
promeneurs par an.
Niveaux d’exposition : la campagne de mesure s'est déroulée du 23 juillet au 26 août 1998 (23 août pour un capteur en
rupture d'alimentation électrique), sans incident et dans des conditions météorologiques caractéristiques d'une période
estivale malgré des précipitations inférieures à la moyenne.

A la sensibilité analytique de 0,3 fibre par litre d'air, aucune fibre d'amiante n'a été décelée dans chacun des six prélèvements ce
qui correspond à une concentration en fibres inférieure à 0,9 fibres/litre (IC) en tout point échantillonné [5].

DISCUSSION

Interprétation

Les concentrations en fibres d'amiante en six points du village, sont toutes inférieures à la limite de détection alors qu'elles ont
été observées lors d'une période propice au ré-envol des fibres. On peut estimer que les concentrations sont toujours
inférieures à 0,9 fibres/litre (borne supérieure de l’IC à 95 %) c’est à dire caractéristiques d'un site rural classique où les
concentrations observées s’échelonnent potentiellement de 0 à 1 fibre/litre [2]. Rappelons que la réglementation applicable à
l'intérieur des locaux d'habitation impose une surveillance renforcée à partir de 5 fibres/litre et des travaux à partir de 25
fibres/litre. La seule estimation des niveaux d’exposition permettant de conclure, il n’a pas été jugé pertinent de procéder à la
quantification du nombre de décès évitables.

Limites

Les échantillons de matériaux analysés ne sont peut-être pas représentatifs de l’ensemble des résidus du site. Cependant,
l’absence de fibre dans les échantillons atmosphériques analysés limite la portée de cet inconvénient.

Les mesures effectuées sont caractéristiques de l'état actuel du site mais ne présagent pas des immissions (concentration d'une
substance chimique dans l'air ambiant) qui résulteraient de travaux de terrassement ou de réhabilitation de l'ancienne usine.

CONCLUSION

Bien que des déchets confirmés amiantifères soient présents sur le site de l’ancienne filature [6], aucune fibre d'amiante n'a été
décelée dans les échantillons d'air prélevés dans le village de Rochefort, sur les lieux résidentiels et de promenade. Les teneurs
en fibres d'amiante dans l'environnement de l'ancienne filature s'apparentent à celles d'un site rural classique. Séjourner autour
du site ne constitue donc pas un facteur de risque.

En l'état actuel du site industriel, il ne paraît pas pertinent de limiter ces usages. La présence de déchets amiantifères sur le site
doit néanmoins inciter à la prudence quant à d'éventuels travaux.

Cette approche des risques sanitaires autour d’un site industriel fait actuellement l’objet de travaux, financés par les pouvoirs
publics, de la part des auteurs pour examiner la pertinence et la faisabilité d’un élargissement aux anciennes usines de
transformation de l’amiante sur l’ensemble du territoire.

Bibliographie

1.Bard D. Principes de l'évaluation des risques pour la santé publique liés aux expositions environnementales. Revue
d'épidémiologie et de Santé Publique 1995 ; 43 : 423-431
2.INSERM Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante (synthèse) Expertise collective Institut National
de la Santé et de la Recherche Médicale, juin 1996 .
3.AFNOR Détermination de la concentration en fibres d'amiante par microscopie électroniques à transmission. Norme
française X 43-050 1996
4.ITGA Rapport d’analyse 257/97.649, Institut Technique des Gaz et de l’Air, septembre 1997.
5.Bureau de Recherches Géologiques et Minières rapport SMN/PEA/CMI/NT98/133,18 septembre 1998.
6.DRIRE Pays de la Loire Compte rendu d’étude documentaire et visite de l’ancien site industriel de Rochefort
(Mayenne). Bureau de Recherches Géologiques et Minières Rapport R 40239, septembre 1998.